
« On est chez nous ! » - Causeur
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Ceux qui comme moi, ont suivi, dimanche soir, la proclamation des résultats de l’élection cantonale de Brignoles sur BFM-TV n’ont pu manquer d’assister à un étrange spectacle. Rassemblés
dans la grande salle de la mairie de la ville, sous la houlette du maire communiste chargé d’annoncer les résultats, les militants frontistes exultaient. Jusque-là, rien à dire : la liesse
républicaine des vainqueurs les soirs d’élection est un signe de bonne santé démocratique. Les rites en sont bien connus, et calqués sur les sorties de match de foot lorsque son équipe
favorite a mis la pâtée à ses adversaires. On agite des drapeaux, on met les doigts en V devant les caméras de télé, on réclame les champions sur l’air des lampions[1. L’air des lampions
date de 1848, lorsque les étudiants révolutionnaires manifestaient dans les quartiers bourgeois de Paris pour exiger que les habitants saluent leur révolte en plaçant des lampions à leur
fenêtre.]. Mais au lieu de scander le banal « On a gagné ! On a gagné ! », les militants du FN de Brignoles, après avoir massacré une « Marseillaise », dont même Marion Maréchal-Le Pen et
Bruno Gollnisch semblaient avoir honte, se sont mis à crier en rythme « On est chez nous ! On est chez nous ! ». Aucun des savants commentateurs présents sur les plateaux parisiens n’ont
relevé cette innovation, et encore moins risqué d’en fournir une interprétation. Voulaient-ils ainsi signifier au maire que l’édifice municipal qui les accueillait allait, dans quelques
mois, devenir la demeure officielle du héros de la soirée, Laurent Lopez, qui brigue la mairie en mars prochain ? S’il en était ainsi, ce ne serait, après tout que de la rodomontade
préélectorale méditerranéenne. Mais il y a fort à craindre que ce cri du cœur soit l’expression de cette « insécurité culturelle » qui pousse de plus en plus de gens à glisser un bulletin FN
dans l’urne. C’est grave. Que l’élection d’un conseiller général Front National soit saluée par les gens comme la récupération d’un « territoire perdu » de la République témoigne du
désarroi d’une population qui sent, à tort ou à raison, son terroir lui échapper. Avoir l’impression de n’être plus chez soi chez soi, c’est peut-être un fantasme, une manifestation de
cette « panique morale », nous assènent les sociologues de la gauche bien pensante. C’est, en réalité, la manifestation populaire de cette « identité malheureuse » magistralement décrite par
Alain Finkielkraut dans son essai qui vient de paraître. Ce « chez nous » n’est pas seulement l’espace de l’intimité que tout régime démocratique garantit à ses citoyens. Il englobe aussi
un espace public où ceux qui viennent d’ailleurs sont admis pour autant qu’ils ne cherchent pas à le transformer radicalement jusqu’à le rendre méconnaissable. La visibilité des femmes,
l’indispensable effort d’adaptation aux normes de sociabilité de la terre d’accueil ne sont pas des exigences exorbitantes, encore moins la manifestation d’un supposé racisme. Si je me sens
bien chez moi, j’aurais d’autant plus de plaisir à découvrir l’autre. _*Photo : Claude Paris/AP/SIPA. AP21469255_000015. _ Vous venez de lire un article en accès libre. Causeur ne vit que
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