
Inexorable - Causeur
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DANS SON DERNIER FILM, _VORTEX_, LE RÉALISATEUR GASPAR NOÉ FAIT UNE NOUVELLE FOIS PREUVE D’UNE GRANDE FINESSE ET INTELLIGENCE CINÉMATOGRAPHIQUE. IL FILME LA MALADIE D’ALZHEIMER SANS QUE
JAMAIS LE NOM DE LA MALADIE NE SOIT PRONONCÉ. UN FILM GLAUQUE, EN SALLES MERCREDI PROCHAIN. ------------------------- Vortex ? Selon le dictionnaire « vortex » est un terme didactique de
genre masculin, désignant un _« tourbillon qui se produit dans un fluide en écoulement »_. Soit, en océanographie, ce qu’on appelle un «gyre» : un _« tourbillon marin à l’échelle d’un bassin
océanique, formé par la réunion d’un ensemble de courants »_ – je recopie la définition. LA MAUVAISE RÉPUTATION Ce mot qui sonne bien fournit son titre au dernier film de Gaspar Noé,
cinéaste à la réputation si sulfureuse que chaque nouvel opus du réalisateur passe pour une provocation. C’est là une grave erreur d’appréciation : Gaspar Noé ne travaille qu’à l’instinct,
aux tripes. De fait, si _Vortex_ s’ouvre dans la fausse douceur d’un clip de la jeune Françoise Hardy, sur les paroles magnifiques de Cécile Caulier et Jacques Lacome : « _Croit celui qui
peut croire/ moi j’ai besoin d’espoir/ sinon je ne suis rien/ou bien si peu de choses/ C’est mon amie la rose/ qui l’a dit hier matin_ » – c’est pour s’extraire illico de la romance. A LIRE
AUSSI : “EN MÊME TEMPS”: ÉCŒURANT DE SERVILITÉ ET D’OPPORTUNISME Vous vous souvenez du film _Irréversible_, il y a 20 ans ? À la vérité, ce pourrait être le nom de chacun des longs métrages
de Gaspar Noé. Dédié, en épigraphe, « _à tous ceux dont le cerveau se décomposera avant le cœur _», _Vortex_ ne nommera nulle part son sujet de façon explicite : la maladie d’Alzheimer,
dont a souffert sa mère avant de s’éteindre. Lui-même atteint fin 2019 d’une hémorragie cérébrale, il a traversé la pandémie en convalescent, riverain de l’Achéron… A Cannes en 2021,
_Vortex_ était « vendu » à la critique sous un slogan acide : « _la vie est une courte fête qui sera vite oubliée_ ». Après _Amour_ (Haneke) et The _Father _(Florian Zeller), voilà donc une
nouvelle variation sur la fatalité du grand âge et ses séquelles. Une fois de plus, Gaspar Noé s’attaque frontalement à l’expérience, y tramant une expérience-limite de cinéma. Ainsi, pour
décrire la décomposition mentale d’une ancienne psy frappée d’aphasie, en couple avec un vieux critique du septième art travaillant avec peine à un essai sur le rêve, couple dont le fils,
technicien de plateau en situation précaire demeure manifestement vulnérable à une ancienne addiction aux stupéfiants qui lui a valu quelques séjours en asile psychiatrique, le réalisateur
opte pour un parti pris formel radical : le _split-screen_, de part en part. SPLIT-SCREEN Sur l’écran scindé en deux, donc, il instruit un huis-clos étouffant dans un appartement parisien
envahi de livres et de reliques. A LIRE AUSSI : DANSONS! Pour camper ses trois personnages, Noé a choisi deux figures de légende : dans le rôle du mari, Dario Argento, le pape octogénaire du
« giallo » (ce genre 100% transalpin, à la croisée du film d’horreur et du film érotique), dont on a découvert à Berlin cette année l’ultime opus, _Occiali neri_ (le maître n’avait plus
rien tourné depuis dix ans !). Dans le rôle de l’épouse, une légende vivante : Françoise Lebrun, l’héroïne de _La maman et la putain_ (1973), incunable en noir et blanc signé Jean Eustache.
Et dans le rôle du fils, le réalisateur-comédien Alex Lutz, pour le coup dans un contre-emploi total, convainquant contre toute attente. À noter, au cœur du film, ces citations en abyme (car
le critique d’âge canonique visionne sur petit écran ses classiques) : extraits de _Solaris_, de Tarkovski, ou encore tel plan serré sur une légion de crabes invasifs, tiré de _Océans_, le
docu de Jacques Perrin – Ô cinéphilie! Ajoutons que, dixit Gaspar Noé, le scénario tenait en dix pages, et que tous les dialogues ont été improvisés – performance supplémentaire, d’une
admirable virtuosité. Pour le spectateur – et à n’en pas douter c’était bien l’intention de Gaspar Noé – , _Vortex _reste une épreuve. Non tant par la violence de l’image, comme c’était le
cas dans _Carne_, _Seul contre tous_ ou _Climax_, que par l’atroce pesanteur qui pèse sur ces existences parvenues à leur terme : ce qui s’appelle l’inexorable. -------------------------