Effets spéciaux : comment technicolor s’est effondré après avoir dominé hollywood
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Fin mars, le tribunal de commerce de Paris s’est prononcé. Et le groupe, formé de trois sociétés spécialisées dans les effets spéciaux et d’une quatrième dans le cinéma d’animation, doit
être vendu par appartements. TRENTE ANNÉES D’ERRANCES STRATÉGIQUES La fin est douloureuse pour TCS qui emploie encore 5 000 personnes à travers le monde, notamment à Paris où se situe son
siège, mais aussi à Los Angeles, Londres et Bangalore. Ces cessions permettent de préserver 220 emplois sur les 500 salariés que compte le groupe en France. Mais les négociations avec la
direction ne se sont pas faites en douceur, comme le rapporte un délégué syndical :_ « En janvier, la direction assurait que nous avions encore une autonomie, mais nous étions déjà en
cessation de paiements. Alors que l’urgence était de trouver un repreneur, les candidats à la reprise ne parvenaient pas à avoir toutes les informations du côté de Technicolor. »_ Dans un
courrier adressé aux salariés, l’actuelle directrice générale du groupe, Caroline Parot, évoque une _« série de vents contraires externes »._ Cette décision de justice marque l’épilogue de
près de trente années d’errances stratégiques. Pour comprendre la longue agonie de TCS, il faut remonter à 2001, quand Thomson Multimedia, alors criblé de dettes, rachète Technicolor pour
2,1 milliards d’euros. L’entreprise vient d’être recapitalisée par l’Etat. Quelques années plus tôt, Alain Juppé, Premier ministre, avait dressé ce sinistre constat : _« Thomson vaut 1 franc
symbolique après recapitalisation, parce que, dans l’état actuel des choses, cela ne vaut rien. »_ Mais le PDG de Thomson, un certain Thierry Breton, voit grand. Il veut devenir _« leader
de la transition du monde analogique vers le numérique »._ Dès 2004, le groupe rachète Moving Picture Company (MPC), spécialisé dans les effets spéciaux, et s’endette à hauteur de 2
milliards d’euros, ce qui le contraint en 2008 à entamer une procédure de sauvegarde et un plan de restructuration de la dette. « LA SCISSION A MARQUÉ LE DÉBUT DE NOS DÉBÂCLES » Dans les
années 2010, Technicolor reprend des couleurs. _« L’activité de réplication de DVD était un élément majeur du business de l’entreprise, jusqu’à ce que les gens arrêtent d’en acheter,_
souligne Josh Stinehour, analyste pour Devoncroft Partners._ Elle a également connu un succès incroyable dans le domaine des licences technologiques. »_ Entre 2009 et 2014, Technicolor est
passé de 342 millions d’euros de pertes à 128 millions d’euros de bénéfices. Thomson est aussi fournisseur de matériel télécoms. En 2012, Orange met fin à son contrat pour la fabrication de
ses Livebox, et des effectifs sont touchés sur le site d’Angers. Puis un nouveau PDG français, Frédéric Rose, est nommé. Il croit fort au potentiel du VFX, les effets visuels postproduction,
et rachète The Mill, puis Mikros. Déjà fragilisée, l’entreprise, lourdement endettée, subit une nouvelle chute en Bourse en 2018. Vient alors le temps des restructurations, avec la
nomination d’un spécialiste de ce genre d’opération à la tête du groupe, Richard Moat, en 2019. Le Britannique, bien connu dans le monde des télécommunications, va tenter de redresser la
barre. Avec sa petite équipe de _cost killer,_ ils coupent le groupe en deux entités qu’ils introduisent en Bourse : Vantiva pour les box connectées et les DVD, et Technicolor Creative
Studios, consacré aux effets visuels, de l’autre. _« Cette scission a marqué le début de nos débâcles »,_ assure un ancien salarié. La manœuvre est un échec, acté par la nouvelle patronne,
Caroline Parot, ex-directrice générale d’Europcar, qui décide de sortir TCS de la Bourse en février 2024, après dix-huit mois de dégringolade. « IL FAUT QUE L’ON SAUVE LES TALENTS FRANÇAIS »
Le problème est en réalité plus global : le secteur de l’audiovisuel, et plus particulièrement la postproduction, est actuellement _« atone »_ avec des marges plus faibles et des risques
opérationnels très difficiles à gérer, selon un bon connaisseur, bien que les investissements restent nombreux. _« Technicolor a vu trop gros et trop compliqué,_ résume un acteur du secteur.
_Les actionnaires étaient des financiers et non des entrepreneurs. »_ Car, depuis dix ans, le fleuron français est passé sous la houlette de fonds américains qui détiennent de concert plus
de 90 % du capital et des droits de vote de TCS. D’ailleurs, l’un des repreneurs, TransPerfect, est aussi américain. _« Nous avons pu réembaucher l’ensemble des salariés de MPC et The Mill
France,_ se réjouit Cécile Rouveyran, directrice générale adjointe de TransPerfect Media._ La division média de notre groupe représente 10 % de notre activité totale et l’arrivée de ces deux
nouvelles structures apporte une belle complémentarité. »_ Plusieurs offres ont été soumises pour la reprise de Mikros, notamment celle présentée par le producteur Tarak Ben Ammar,
propriétaire des Studios de Paris, au nord de la capitale : _« Arnaud Montebourg m’a appelé en me disant : « Il faut que l’on sauve les talents français », évidemment j’ai dit oui,
_explique_ _Tarak Ben Ammar._ Nous devons préserver notre exception culturelle tricolore qui est mise à mal par le contexte politique international, notamment américain. »_ Les deux hommes
se sont finalement retirés du projet, après que Paramount a brusquement rompu un contrat qui représentait, selon eux, 90 % du chiffre d’affaires de Mikros. Une occasion manquée de garder un
bout de Technicolor sous bannière française. Lire aussi UN CONCURRENT À LA RESCOUSSE Outre-Atlantique, l’arrêt a été brutal pour les salariés de The Mill. Le temps d’un week-end, les bureaux
ont été fermés. Les collaborateurs licenciés se sont alors associés à Dream Machine, le principal concurrent, pour lancer Arc Creative. _« Tout ceci s’est fait en quelques jours »,_ raconte
David Li, président exécutif de Dream Machine. Fondé en 1990, The Mill est devenu une référence mondiale en matière d’effets visuels et de création dans les domaines de la publicité et des
jeux vidéo, avec de nombreux prix à la clé. Arc Creative a ainsi pu reconduire une centaine de personnes, plus de la moitié de l’équipe américaine de The Mill. L’entreprise travaille
actuellement dans des locaux temporaires en attendant de trouver des bureaux permanents à Los Angeles et à New York. _« The Mill US s’est cassé la figure alors même que c’était l’antenne la
plus rentable,_ raille David Li._ Avec Dream Machine, je savais que je pouvais offrir aux équipes ce qu’elles cherchaient. Contrairement à Technicolor, nous ne sommes pas criblés de dettes.
»_ Les salariés américains des deux autres entités de TCS, Mikros Animation et MPC Advertising, également licenciés, n’ont pas eu la même chance.