Comment la bière corse familiale pietra mise sur l’écologie pour assurer son futur
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L’histoire de la brasserie Pietra a commencé il y a 29 ans presque comme une blague. Armelle Sialelli, normande passionnée de bière, mariée au Corse Dominique Sialelli découvre en soirée
qu’il n’existe pas de bière corse. Ils n’ont qu’à la créer rigole-t-elle. La graine est plantée et l’idée finit par germer. Le couple trouve la bonne idée pour faire adopter ce produit sur
l’île de Beauté plutôt amatrice de vin ou de boissons anisées. Leur bière sera légère, désaltérante, adaptée aux fortes chaleurs, et brassée à partir de malt et de farine de châtaignes
locales. Après quatre ans de développement, la recette est trouvée, et la première bouteille sort en 1996. Devenue un emblème de l’île, presque trente ans plus tard, la brasserie, toujours
installée à Furiani, emploie 48 personnes et réalise environ 30 millions d’euros de chiffre d’affaires, en légère croissance pour 2025. Le fils des fondateurs, Hugo Sialelli (32 ans), en a
pris la direction générale en 2022, et mise sur une plus-value écologique pour ajouter sa pierre à l’édifice familial. CHALLENGES - QUEL A ÉTÉ VOTRE DÉCLIC POUR ENGAGER LA TRANSFORMATION
ÉCOLOGIQUE DE PIETRA ? HUGO SIALELLI - J’ai grandi en Corse dans un territoire magnifique, j’ai fait beaucoup de randonnées. Mes parents m’ont inculqué le respect de ce territoire, la
nécessité d’être le plus propre possible, de tout faire pour le préserver. J’ai un lien quasiment ombilical avec cette entreprise familiale qui est un projet de vie. Quand je suis rentré
dans l’entreprise à 26 ou 27 ans après des études d’économie et finance à Paris, je me suis posé la question de ma valeur ajoutée en me demandant à quoi ressemblerait l’entreprise dans 20
ans. Si on ne change rien, est-ce qu’on pourra toujours produire ? La réponse n’était pas franchement oui. Nous dépendons par exemple de la nappe phréatique de Furiani, qui nous fournit une
eau sublime. Pour une bonne bière il faut une bonne eau. C’est pour ça qu’on ne pourra jamais déménager. Or la Corse connaît de plus en plus de stress hydrique, et si le niveau de la nappe
descend trop, l’eau de mer risque de s’y infiltrer. D’où ma volonté de tout mettre en place pour la préserver. Ensuite ma petite sœur, qui est chercheuse à Zurich sur la captation du carbone
par la biomasse, m’a parlé de la convention des entreprises pour le climat qui était en train de se monter à l’époque. J’ai fait partie des 30 premiers à y participer, et ça a été à la fois
une claque, et un encouragement à aller encore plus vite et plus fort dans notre transformation. Lire aussi COMMENT CELA SE TRADUIT-IL DANS VOTRE STRATÉGIE ? Ma vision pour l’entreprise
c’est d’abord qu’elle soit durable au premier sens du terme, qu’elle dure dans le temps. Pour ça nous avons besoin de travailler sur trois piliers : l’autonomie en termes de matières
premières, la frugalité dans nos consommations de gaz, d’eau et d’électricité, et la décarbonation. Pour y parvenir, il faut voir à très long terme. J’ai la chance d’être un jeune chef
d’entreprise, sans impératif de calendrier, dans un groupe familial non coté. Je peux me projeter à 20 ans et plus. Ce serait même dangereux pour la survie du business de ne pas le faire.
OBJECTIF 1,5 L D’EAU POUR 1L DE BIÈRE CONCRÈTEMENT COMMENT L’APPLIQUEZ-VOUS AU NIVEAU INDUSTRIEL ? Nous avons installé un récupérateur d’énergie pour récupérer la vapeur que nous utilisons,
la recondenser à 80 °C, la stocker, et la réutiliser à d’autres endroits. Ce système nous a déjà permis de réduire de 30 % notre consommation de gaz. Nous récupérons aussi le CO2 issu de la
fermentation pour le réinjecter dans le processus industriel. Nous avons changé notre ligne de conditionnement qui nous permet maintenant d’embouteiller notre bière à 15 °C au lieu de 4°,
c’est autant de calories que nous ne consommons pas. Tous ces efforts nous ont déjà fait économiser 40 % d’électricité et 50 % de gaz pour un litre de bière. > _« L’Ademe et Bpifrance
sont un soutien énorme »_ QUEL EST VOTRE PROCHAIN PROJET ? Nous travaillons sur notre consommation d’eau, pour préserver notre trésor qu’est la nappe de Furiani que nous surveillons de très
près. Quand je suis arrivé, il nous fallait 8 litres d’eau pour produire 1 litre de bière, notamment pour laver les cuves ou produire de la vapeur. Nous sommes parvenus à optimiser les
processus pour arriver à 4,5, mon objectif c’est d’atteindre 1,5 L d’eau pour 1 L de bière. Normalement, nous devrions y arriver en janvier 2027 grâce à la réutilisation de nos eaux usées
qui partent aujourd’hui au tout-à-l’égout, grâce à la méthanisation. En produisant de la bière, nous avons beaucoup de levures comme effluents. Or les levures ont un fort pouvoir
méthanogène. Nous avons développé une solution avec un bureau d’études qui permet de produire du méthane et de nettoyer l’eau. Le méthane se substituera ainsi au propane, et nous pourrons
utiliser l’eau en cycle fermé. Après trois ans de R&D, nous entrons dans la phase d’autorisation. Au total, ce projet nécessite 7 millions d’euros d’investissement, financés sur nos
fonds propres, avec de la dette, et entre 30 et 40 % de subvention. L’Ademe et Bpifrance sont d’un soutien énorme. Lire aussi FRUSTRATION SUR LA CONSIGNE COMMENT CES CHANGEMENTS SONT-ILS
ACCEPTÉS PAR VOS PARENTS ET VOS SALARIÉS ? Mes parents sont encore présents dans l’entreprise, et les acceptent très bien. Ils savaient quand je suis rentré dans l’entreprise que c’était
pour apporter une nouvelle dynamique. Pour les salariés, nous avons été très vigilants à leur dire qu’ils n’allaient rien perdre pour que nous puissions mener ces projets environnementaux.
Cette transition est aussi devenue un argument pour recruter chez les moins de 35 ans. Lire aussi EST-CE QUE VOUS AVEZ RENCONTRÉ DES ÉCHECS DANS CETTE TRANSITION ? Il y a un projet qui me
tient à cœur qu’on n’a pas réussi à mener à bien, c’est la consigne pour les bouteilles consommées en Corse. Environ 40 % de notre bière est vendue en café restauration, en pression, et donc
de fait consignée : nos fûts en inox ont une durée de vie allant jusqu’à 20 ans. Mais pour les bouteilles, c’est plus cher, et très compliqué. Si on se lance dans la consigne, l’impact est
positif en amont de la chaîne sur la production des bouteilles, mais négatif en aval à cause de leur nettoyage. Cela ne ferait sens que si nous avons la méthanisation qui nous permet de
nettoyer et réutiliser l’eau. Mais ensuite il y a la question du retour des bouteilles en grande surface. Est-ce que les clients, qui sont beaucoup de touristes l’été, vont les retourner ?
Surtout s’ils ne font les courses qu’une seule fois ? On a travaillé deux ans sur une ligne pour la consigne, on a discuté avec d’autres acteurs de l’eau, des vignerons pour y aller
ensemble, mais pour l’instant il y a trop de freins opérationnels. C’est ma petite frustration. > _« La croissance à deux chiffres n’est pas un objectif »_ QUELLES SONT VOS PERSPECTIVES
DE CROISSANCE AUJOURD’HUI ? Le secteur brassicole connaît une période difficile, après les années de développement des bières artisanales. Nous allons tout de même être en légère croissance
cette année. Mais nous savons qu’il y a un seuil à partir duquel nous aurons trop d’impact sur la ressource, environ 30 à 40 % de plus qu’aujourd’hui. Nous savons que nous ne produirons
jamais au-delà, et c’est très bien. La croissance à deux chiffres n’est pas un objectif.