
Ultra-riches : la tentation de la sécession
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La République romaine utilisait la formule _« secessio plebis »_ pour stigmatiser au IIIe siècle avant J.-C. la grève des armes et des urnes du petit peuple citoyen exaspéré par le mépris et
l’injustice des puissants. Mais on connaît moins l’autre sécession civique, fiscale, spatiale : celle, bien plus importante, des ultra-riches romains du IIIe au Ve siècle qui accéléra la
chute de l’Empire d’Occident. DES « GATED COMMUNITIES » SUR MER TRUFFÉES DE VILLAS ULTRA-LUXUEUSES ET DE THERMES EN PAGAILLE Une _« _sécession des patriciens » cousus d’or qui n’est pas sans
rappeler celle des ultra-milliardaires californiens des années 2020. Pas seulement parce que ces super nantis cherchent à passer leurs vacances entre eux, à l’abri des paparazzi et du
_vulgum pecus_. Sous Auguste, Tibère et leurs successeurs, la jet-set romaine se retrouvait aux beaux jours à Baïa à 300 km de Rome. Des _« gated communities »_ sur mer truffées de villas
ultra-luxueuses et de thermes en pagaille. Et des prestations sexuelles toutes catégories qu’ont pu tester tous les Grands de César, à Cicéron, de l’empereur Hadrien, à Ovide, Pline,
Virgile, Tibère ou Caligula… Rien de bien original depuis qu’il y a des riches et des pauvres. Simplement, aujourd’hui, les Baïa se sont multipliés et mondialisés. Il y a Porto Cervo en
Sardaigne inauguré par l’Aga Khan où l’on trouvera la famille Bouygues, l’île de Kauai dans l’archipel d’Hawaï fréquenté par Mark Zuckerberg, l’île de Hvar en Croatie privilégiée par Bill
Gates, Indigo Island dans les Bahamas où Bernard Arnault a ses habitudes… QUAND PATRICIENS ROMAINS RICHISSIMES LAISSENT DÉCRÉPIR CE QU’ON APPELAIT JADIS « LA CHOSE PUBLIQUE » Mais le vrai
séparatisme, c’est celui de l’argent qui s’exile dans l’Empire romain à partir de la fin du IIIe siècle après J.-C., les crises – peste, instabilité politique, migrations – se multiplient.
Les patriciens romains richissimes s’exonèrent alors peu à peu de toute responsabilité sociale et laissent décrépir l’Etat impérial et ce qu’on appelait jadis « la chose publique ». Les
puissantes familles sénatoriales patriciennes se replient alors sur leurs giga-villas sécurisées non plus seulement pour prendre l’air en été mais pour constituer de véritables principautés
territoriales autonomes agricoles. Et de facto des paradis fiscaux. Dans ces enclaves privatives – villa del Casale en Sicile, villa de La Olmeda (Palencia) ou de Santa Lucia (Castille) en
Espagne, le propriétaire devient tout-puissant. Il est promu _« dominus »_. Un boss auquel l’Etat impérial affaibli a octroyé des compétences juridiques et fiscales de plus en plus élargies.
Les « employés » ne sont plus des hommes libres, mais des _« servi terrae »_, des esclaves de la terre… D’un côté les _« potentiores »_ et de l’autre les _« humiliores »_. Et quand les
Empereurs comme Valentinien III s’avisent de leur demander une contribution fiscale vers 450 pour sauver l’Etat, c’est non. Aux yeux de ces patriciens milliardaires, forts de leur assise
foncière, l’intérêt général est une vieille lune. Un concept obsolète. Du coup, la fiscalité impériale se reporte sur les classes moyennes déjà éreintées qui rejoindront les grandes révoltes
des Bagaudes de Gaule. DES CITÉS FLOTTANTES SOUVERAINES, « SEASTEADS » DANS LES EAUX INTERNATIONALES ET AUX CONFINS DES « NOUVELLES FONCIÈRES DE L’HUMANITÉ »… Ce séparatisme des élites
propriétaires du Bas-Empire semble inspirer le projet des deux principaux théoriciens libertariens de la Silicon Valley très en cours dans la galaxie trumpienne : Peter Thiel et Curtis
Yarvin. Peter Thiel, cofondateur de PayPal est en croisade contre l’Etat qui paralyserait l’innovation. Il propose via la Fondation Seasteading Institute qu’il soutient -faites-y un tour,
c’est fascinant- la création de cités flottantes souveraines, _« seasteads »_ dans les eaux internationales et aux confins des _« nouvelles foncières de l’humanité »_… Libres de droit.
Libres de tout. Curtis Yarvin, informaticien et prophète ultra-réactionnaire des « lumières noires » veut lui aussi créer des microféodalités souveraines affranchies de toute contrainte
démocratique. Nom ? Des « patches », gérés comme des entreprises par un conseil d’administration et dotés éventuellement d’un monarque. Lire aussi Pour échapper à toute contrainte, Elon Musk
rêve un peu plus loin. Un peu plus haut. Il nourrit l’ambition d’un séparatisme intégral : spatial ! Tout est mis en œuvre pour échapper à l’attraction terrestre, à l’adhérence des
sociétés, à l’idée même de solidarité… en conquérant Mars. Une sécession planétaire. Par césarienne.