
La guerre d’après de la russie : un glaçant récit de géopolitique fiction
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Le coup de force a lieu à l’aube d’un jour de mars 2028. Deux brigades russes prennent le contrôle de tous les points névralgiques de la petite ville estonienne de Narva limitrophe de la
Russie, 57 000 habitants en majorité russes, dont certains, armés discrètement depuis des mois par Moscou, aident les envahisseurs. Au même moment, des commandos russes débarquent sur la
petite île estonienne d’Hiiumaa, à peine peuplée mais stratégique pour instaurer un blocus naval. Pour la première fois un pays de l’Otan est directement assailli par la Russie. Ce n’est pas
un assaut global qui pourrait entraîner l’apocalypse nucléaire. Juste une opération ponctuelle avec l’occupation de quelques arpents de territoire, qui vise à tester les capacités de
réaction de l’Alliance. Ce scénario plausible, que nombre d’experts militaires occidentaux jugent même probable, est la trame du récit de géopolitique fiction de Carlo Masala. _« Pour
comprendre ce qui est en jeu et les conséquences des décisions qui peuvent être prises, il faut déterminer ce qui pourrait se passer après si les Russes remportent la guerre en Ukraine »,_
met en garde cet expert allemand des questions militaires qui dirige le CISS (Center for intelligence and security) à l’université de la Bundeswehr, rappelant que _« les ambitions du Kremlin
vont bien au-delà de la seule Ukraine »_. Cet ouvrage - _La guerre d’après, la Russie face à l’Occident (_Grasset) - est un cri d’alarme qui a eu, à la surprise même de son auteur, un
immense succès outre-Rhin. Il a relancé les débats sur la menace russe dans la durée et la nécessité d’un réarmement d’ampleur, y compris moral. L’installation à la chancellerie du
chrétien-démocrate Friedrich Merz a changé la donne et précipité une prise de conscience. _« A la différence de son prédécesseur, il pense que l’Ukraine doit gagner la guerre et non pas
seulement ne pas la perdre. Il ne se fait aucune illusion sur ce que serait un cessez-le-feu et il sait qu’une victoire russe même limitée serait un danger pour la sécurité et la stabilité
en Europe », _explique l’auteur qui se veut un lanceur d’alerte face à ce qu’il considère être une sous-estimation du danger par les élites politiques occidentales y compris au sein de
l’Otan. Les crises internationales ne se terminent pas toujours par des _happy ends_ comme il rappelle dans l’exergue de ce livre à bien des égards glaçant. UN RISQUE BIEN RÉEL Sa force est
dans la vraisemblance du scénario choisi même si ce n’est pas le seul possible. Il se fonde sur nombre de données disponibles en sources ouvertes et sur d’autres qui le sont moins. Il n’est
pas inévitable et le seul fait de l’évoquer et d’en montrer l’implacable logique peut justement empêcher qu’il se réalise. L’opération sur Narva est un risque bien réel, Moscou attisant
depuis des années l’irrédentisme d’une partie de la population russe qui se sent discriminée dans une Estonie qui a reconquis son indépendance, comme les autres pays baltes, après
l’effondrement de l’Union Soviétique. Cela aurait pu être aussi une attaque russe sur une île suédoise de la Baltique ou en arctique. Tout commence avec la paix en Ukraine, en 2025, négociée
à Genève et à bien des égards bâclée. _« La victoire de la Russie serait déjà acquise si elle peut conserver le territoire qu’elle contrôle actuellement »,_ s’inquiète Carlo Masala. Les
Européens sont las de la guerre et les Etats-Unis encore plus. Ils clament certes qu’il est hors de question de reconnaître _de jure_ l’annexion de ces 20 % du territoire ukrainien mais ils
se résignent au fait accompli sur le terrain. A Kiev, cet accord qui est ressenti comme une capitulation, nourrit la colère des soldats démobilisés. Volodymyr Zelensky perd l’élection
présidentielle sur fond de chaos et de crise économique car ni l’Europe, ni les organisations internationales, ne peuvent injecter suffisamment d’aides et de capitaux pour assurer la
reconstruction du pays. La marche ukrainienne vers l’Europe est freinée par les mouvements populistes qui en Pologne comme en Roumanie s’inquiètent de la concurrence de l’agriculture
ukrainienne mais à l’ouest, les réticences des extrêmes droites sont tout aussi fortes. Sur le plan de la sécurité ce n’est guère plus brillant, avec le maintien du veto américain à une
intégration de l’Ukraine dans l’Otan alors que les incidents continuent sur la ligne de cessez-le-feu mal contrôlée par une force internationale chinoise et européenne. Lire aussi A
l’opposé, Moscou exulte après ce que le régime considère être une grande victoire,_ « un jalon historique sur le chemin du retour de la Russie au statut de grande puissance »_. Vladimir
Poutine démissionne sur l’aura de ce succès qui le fait entrer dans la légende mais il reste tout-puissant, poussant pour lui succéder un économiste quadragénaire, formé en Occident. Il doit
incarner un nouveau visage de la Russie et permettre son plein retour dans l’économie globalisée et le concert des nations. _« L’opinion mondiale regarde captivée, voire fascinée, le
nouveau président russe annoncer diverses propositions en vue d’une détente entre l’ouest et l’est »,_ imagine Carlo Masala. Le leurre fonctionne. Nombre de capitales européennes commencent
à s’interroger sur la pertinence de continuer leurs efforts de réarmement alors qu’elles impliquent de douloureux choix budgétaires. Et de telles dépenses de défense ne risquent-elles pas en
outre de fragiliser cette nouvelle détente ? En même temps, la Russie, elle, continue discrètement son réarmement et la modernisation de ses forces, bien décidée à imposer une nouvelle
donne européenne qui serait à son avantage. D’où l’attaque sur l’Estonie. LE PREMIER VRAI STRESS TEST POUR L’OTAN Pour l’Otan, c’est l’heure de vérité, le premier vrai _stress test_ sur la
crédibilité de l’Alliance et de l’article 5, ce « un pour tous et tous pour un » en cas d’attaque à l’encontre de l’un des 32 Etats membres de ce qui est depuis 76 ans la plus importante et
la plus durable des alliances militaires dans le monde. L’attaque russe a néanmoins pris de court les structures otaniennes, y compris les quelque 1 500 militaires de l’Alliance, déployés
sur zone depuis 2022 et l’agression de l’Ukraine. Une bonne partie de la flotte allemande et scandinave avait quitté la Baltique pour aider à la lutte contre une immigration massive via la
Méditerranée, attisée par des régimes africains vassaux de Moscou. Les forces américaines sont de leur côté polarisées sur la mer de Chine où le régime de Pékin, en accord avec Moscou, fait
monter les tensions autour des Philippines et de Taïwan. La Russie clame qu’elle veut simplement défendre les droits d’une population russe et n’avoir pas de volonté d’annexer les pays
baltes tout en laissant clairement entendre qu’ils sont prêts en cas d’attaque otanienne sur leur territoire à recourir à l’arme suprême, c’est-à-dire le nucléaire. Le sommet de l’Otan qui
s’ouvre pour décider de la riposte condamne – et c’est bien le moins – l’attaque russe mais ne réussit pas à définir une riposte commune. Les Américains sont les premiers à expliquer que
l’on ne peut risquer une guerre mondiale pour quelques arpents de terres et une petite ville de l’extrême est européen. Les discours inventés pour le livre sont d’un terrible réalisme. _« Si
les Etats membres ne croient plus à la validité de l’article 5 et à l’engagement d’assistance collective, alors l’Otan est morte car elle ne remplira plus le véritable but de son existence
»,_ pointe Carlo Masala soulignant que «_ si un tel scénario évoqué par le livre se réalisait avec l’annexion par la force d’un territoire même minime d’un pays de l’Otan, Moscou réussirait
à détruire toute l’architecture de sécurité européenne mise sur pied en 1949 pour l’Europe de l’Ouest et après 1990 pour l’Europe de l’Est »_. Les faiblesses occidentales sont évidentes et
notamment la difficulté pour les pays européens malgré le sursaut suscité par l’agression russe en Ukraine d’assumer les coûts d’une dépense efficace et de la préparation des opinions
publiques à ce que cela implique. L’expert ne cache pas son inquiétude : _« Il y a deux erreurs majeures de la part des Occidentaux et de l’Otan : l’une est la peur de l’escalade nucléaire
qui les paralyse ; l’autre est de sous-estimer les ambitions de la Russie »._