Financer un magazine gratuit avec des nfts, le pari de « 20 minutes »

Financer un magazine gratuit avec des nfts, le pari de « 20 minutes »


Play all audios:


© Crédits photo : Illustration : 20 Minutes ENTRETIEN AVEC LAURENT BAINIER _20 Minutes_ lance _20 Mint,_ un magazine gratuit et grand public dédié au Web 3.0. Le premier numéro sera financé


par la vente de NFTs — ou jetons non fongibles, en attendant d’attirer des annonceurs. Un signal fort de l’intérêt grandissant des médias pour les technologies issues des cryptomonnaies. 


propos recueillis par Marine Slavitch Publié le 27 avril 2022 Laurent Bainier est le rédacteur en chef de _20 Minutes, _en charge du projet 20 Mint. Les 26 et 27 avril, 999 NFTs représentant


des machines à écrire uniques ont été mis en vente sur la plateforme Ethereum. Si les fonds levés sont suffisants, le magazine imprimé dédié au Web 3.0 sera distribué le 16 juin prochain à


400 000 exemplaires dans les rues des plus grandes villes de France. En partenariat avec le studio Capsule Corp. Labs, _20 Minutes_ est le premier média français à se saisir de cette


technologie pour lancer un projet d’une si grande ampleur. Outre-manche, le _Time _s’apprête à lancer un magazine spécial blockchain tandis qu’aux États-Unis, l’agence de presse AP vend déjà


ses photos iconiques sous forme de NFTs. _COMMENT EST NÉE L’IDÉE DE LANCER UN MAGAZINE SPÉCIAL WEB 3.0 ? _ LAURENT BAINIER : Souvent, les idées dans une boîte viennent d’une ou deux


personnes qui ont des appétits pour des sujets bien particuliers. J’étais personnellement passionné par la blockchain depuis pas mal d’années. Je sentais que cette technologie allait prendre


de l’ampleur avec les cryptomonnaies et qu’il allait y avoir énormément de choses à expliquer. Depuis cinq ans, je me rends compte qu’il y a un intérêt côté lecteurs en regardant les


audiences des papiers sur le sujet. Mais il est souvent assorti d’appréhensions et d’hostilités, comme on peut le constater en lisant les commentaires des articles. Certains s’inquiètent


notamment des arnaques ou des fortes sommes en jeu avec les NFTs, sans différencier ce qui appartient à une forme de révolution et ce qui relève de l’anecdote. On s’est donc mis à réfléchir


à ce que pourrait faire_ 20 Minutes_ autour du sujet. Une journaliste de la rédaction, Laure Beaudonnet, est venue avec un projet très concret au mois d’octobre dernier. Elle voulait vendre


un NFT de _20 Minutes_ dans une maison de vente aux enchères. Après un vote des lecteurs, nous avons lancé en format NFT notre supplément _Futur_, paru uniquement en version numérique en


janvier 2020. Nous l’avons vendu 3 000 euros, avec une plaque d’impression du fameux numéro qui n’avait jamais été imprimé. Nous en avons retenu deux leçons. D’abord, qu’on n’avait pas


forcément choisi la bonne technique pour vendre un NFT. Ensuite, qu’il existe un fossé entre les lecteurs à l’aise avec ces thématiques, qui trouvaient qu’on restait trop en surface, et


notre lectorat moins familier du sujet. Dans tous les cas, ces technologies vont bouleverser nos vies. On n’a plus le loisir de s’en moquer. On a besoin d’une information de qualité et de


pédagogie pour comprendre les mécaniques liées aux blockchains. On a besoin d’alimenter le débat public sans le teinter mais en donnant un maximum d’informations. Pour nous, cela passe par


délivrer des articles. C’est ce qu’on sait faire de mieux. _CONCRÈTEMENT, EN QUOI CONSISTE LE PROJET ? _ Jeudi 16 juin, nous distribuerons gratuitement un magazine dédié au Web 3.0 dans les


rues des plus grandes villes de France à la place du journal _20 Minutes_ classique. Pourquoi un magazine papier ? Parce que le problème du numérique, c’est que les articles s’adressent


majoritairement à celles et ceux qui en font la demande. Une grande partie du trafic provient des moteurs, une autre du filtrage social. Le papier a des vertus insoupçonnées. Il va nous


permettre de toucher des personnes qui ne sont pas sensibilisées à ces technologies. Nous voulons aussi fédérer des personnes qui s’y connaissent déjà afin de créer une communauté autour du


projet. Pour cibler ces personnes, plutôt expertes, il faut utiliser les outils du Web 3.0. Nous, on leur propose d’acheter pour 0,0999 eth, soit environ 280 euros, une carte de membre qui


prend la forme d’une petite machine à écrire en NFT. Le coût de ce NFT, sans être prohibitif, va permettre de financer le magazine. Nous allons donc mettre en vente 999 NFTs sous cette


forme. En bref, on confie le projet à ceux qui savent pour ceux qui s’en moquent. S’il y a un bel engouement, on pourra déboucher à terme sur toute une gamme de produits éditoriaux autour du


Web 3.0. Le modèle est celui du _Bored Ape Yacht Club_, un club avec une utilité et dont tout le monde veut faire partie, mais version grand public. L’idée, c’est de réunir des gens qui


vont nous apporter des idées et nous aider à moderniser le journal en le faisant entrer dans le Web 3.0. _QUELS SERONT LES AVANTAGES, POUR CELLES ET CEUX QUI ACHÈTERONT VOS NFTS ?_ Pour


créer une communauté autour du magazine, il faut donner un peu de pouvoir aux personnes qui le financent. Quand on est journaliste, on ne peut céder ni la plume ni la direction de la


publication. En revanche, on pense que l’on réfléchira un peu mieux en étant entourés de connaisseurs ou du moins de personnes qui ont un intérêt pour cette technologie. C’est pourquoi nous


les inviterons à proposer des sujets qui leur semblent importants, tout en leur demandant de garder à l’esprit notre intention de départ, qui est de s'adresser au très grand nombre pour


leur donner envie de découvrir la blockchain via l'écosystème français. C’est tout l’objet de ce premier numéro. En rencontrant des porteurs de projets français, on va rendre le tout


plus accessible. L’idée sera d’incarner ces technologies qu’on trouve souvent assez lointaines. Ce sera la charge de départ de notre première communauté. Nous recueillerons alors leurs


propositions et les soumettrons au vote avant de lancer les papiers avec la rédaction. _QUI RÉALISERA CES SUJETS ?_ On sort juste un numéro spécial, donc ce sera la rédaction. Bien sûr,


certains journalistes auront des appétences particulières s’ils ont déjà exploré tel ou tel sujet. Si on choisit de faire un papier sur la blockchain de la santé, le service Santé sera


mobilisé. Dans tous les cas, tous les sujets dépasseront ces technologies. C’est l’outil au service d’une thématique. Certes, on a des personnes plus expertes des problématiques techno parmi


nos journalistes, mais je souhaite que l’ensemble de la rédaction s’empare de ces sujets pour que le tout soit parfaitement intelligible. _Y A-T-IL EU DES REJETS DANS LA RÉDACTION ?_ Non,


mais les gens sont polis. Je sais qu'il y a des choses qu'on ne dit pas directement. Je ne vais pas dépeindre un monde dans lequel tout le monde est emballé par chaque projet. Pour


l’heure, il y a surtout eu beaucoup d'indifférence. Des projets, il y en a plein. Et puis, si on vend tout, on récupèrera à peu près 100 000 euros. Ce n’est pas vraiment une somme qui


fait dire «_Waouh, ma vie va changer !_». En tout cas, selon moi, c'est la toute première pierre d'un changement beaucoup plus grand qui est le basculement vers le Web 3.0 et qui


va s'opérer plus vite qu'on ne le pense. Mais je ne suis pas persuadé que cette conviction soit partagée par le plus grand monde dans la boîte. J’ai surtout eu des questions


marrantes de gens qui m'ont demandé s'ils avaient le droit d'acheter ces NFTs. Si ce n'était pas un délit, un peu comme à la Française des Jeux où vous n'avez pas le


droit d'acheter un ticket de loterie si vous travaillez dans l’entreprise. Cela en dit long sur la représentation qu'on peut avoir de ces outils. Dès qu’on inscrit quelque chose


dans la blockchain, on a l'impression que cela devient un peu mystique. Parfois même un peu louche. On verra au moment de la préparation du magazine, quand ils travailleront sur les


sujets : peut-être qu’il y aura de l’opposition. Mais on n'est pas prosélyte de ces technologies. Être dans la nuance, c'est notre boulot depuis des années. _QUELLES SONT LES


PARTICULARITÉS DU FINANCEMENT D’UN PROJET LIÉ À LA BLOCKCHAIN DANS UN MÉDIA TRADITIONNEL ?_ Il y a d’abord eu des questions générales qui sont revenues dans tous les départements. _- « 


Comment fait-on pour mettre en vente son premier NFT ? » _ _- _« _Il faut d’abord un _wallet. » _- _« _Ah bon, mais c’est quoi un _wallet ?_ Qui en a la garde ? Où est-ce qu'on garde


les codes ? Comment est-ce que cela passe en compta ? _» La compta, c’est quand même un des éléments qui est hyper, hyper flou. On ne savait pas si on devait créer un fonds, s’il fallait


l’abonder en crypto, qui pouvait nous aider pour transférer un certain nombre d’actifs en crypto… Même chose pour la pub. On veut financer un magazine qui parle de Web 3.0, on ne va pas


vendre des pages de pub sans se poser de questions. « _Comment faire pour que chaque page de pub bénéficie à la communauté de celles et ceux qui possèdent des NFTs ? _» Chaque problème se


pose en avançant. Il y a un lien très fort entre ce que le projet va rapporter et les galères qu’il va générer. Ces problématiques, autant les aborder le plus tôt possible. Cela permet de


prendre le temps de construire dessus, de bricoler. À terme, j'ai beaucoup d'espoirs. Je voudrais pousser ce projet au maximum mais il faut rester humble. On est _20 Minutes_, pas


le _Time_. _À QUOI RESSEMBLENT LES PREMIERS RETOURS ?_ Ils sont très rassurants. Ceux qui sont déjà dans cet univers forment notre premier public, c’est à eux que l’on va vendre nos 999


NFTs. Ils nous ont déjà bien aidés. Je n'avais aucun partenaire avant de sortir du bois et tout le monde est arrivé d’un coup. À côté de cela, une partie de notre lectorat reste hostile


au projet. « _C’est inutile, qui nous dit ce que vous allez vraiment faire avec vos NFTs… _»_ _Il ne faut pas se tromper sur cette communauté. Elle n'est pas hostile parce qu'elle


ne comprend pas ce qui se passe, mais parce qu'elle a en tête des mécaniques liées aux NFTs qui ne sont pas vertueuses, notamment dans le marché de l’art. On a beaucoup de personnes


bienveillantes qui nous disent «_Surtout, ne faites pas cela_». On a une cote de sympathie. On est un canard gratuit, cela fait vingt ans qu’on est avec nos lecteurs. Ils ne nous placent pas


du tout dans la même catégorie que tous les autres journaux, donc pour certains, c'est une surprise. Mais comme il s’agit de mon second public, celui que je vise pour le 16 juin au


moment de la distribution de magazines, je ne m’inquiète pas. _QUI SE CACHE DERRIÈRE VOTRE PREMIER PUBLIC DE CONNAISSEURS ?_ On ne veut pas que notre communauté ne se compose que de


collectionneurs, de spéculateurs ou d'utilisateurs de telle ou telle blockchain. On souhaite élargir le plus possible le spectre des personnes touchées par l'annonce en se disant


que plus on aura de personnes touchées dans des cercles différents, plus on aura de chances d'avoir une communauté qui les représente. C’est le seul moyen qu’on a de filtrer, car la


vente est libre. On a essayé, via les partenariats qu'on a noués, de taper dans toutes les communautés, de la santé au gaming. L’objectif, c’est d’aller vers des gens qui aiment les


NFTs pour leur utilité, qui jouent avec, les collectionnent et pensent qu’elles sont un bon vecteur pour la décentralisation des technologies actuelles. _LES NFTS PEUVENT-ILS RÉVOLUTIONNER


L’ÉCONOMIE DES MÉDIAS ?_ Ils seront très présents dans l'économie tout court, donc l'économie des médias s'y retrouvera. Avoir des outils d'interaction avec sa communauté


et de délégation de l’autorité, tout le monde en rêve depuis longtemps. La transparence, c'est bon dans tous les domaines. Il n'y a pas trop de doute sur le fait que c'est


quelque chose qu'on va nous réclamer de plus en plus. On va également se reposer des questions liées au consentement et à la gestion des données personnelles pour les médias et la pub.


On a vu avec les mesures RGPD que c’est un sujet porteur. Ce que permet la logique transactionnelle de la blockchain, le fait de se connecter avec son _wallet _et de décider de manière très


active de ce qu'on fait de ses données, c'est révolutionnaire. On va pouvoir réfléchir à des méthodes pour prendre le moins de données possible. C’est un changement de paradigme.


J'ai longtemps connu des éditeurs qui, au contraire, nous encourageaient en permanence à monter des dossiers pour récupérer le plus de données possibles sur nos lecteurs. Pour toutes


ces raisons, le Web 3.0 va forcément révolutionner les médias.