
Canard pc, l’ultime migration ?
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© Crédits photo : Canard PC / Presse Non-Stop _Canard PC_, titre historique sur le jeu vidéo, est aujourd'hui en sursis. En vingt ans d'existence, il en a pourtant vu d'autres
et su s'adapter sans y laisser trop de plumes. S'il devait disparaître, ce compagnon taquin d'un secteur en mutation perpétuelle laisserait un grand vide. Xavier Eutrope
Publié le 03 octobre 2022 _Canard PC_, magazine de référence dans le journalisme vidéo-ludique hexagonal,_ _va mal. « _Notre volatile traverse une zone de turbulences_ », prévenait déjà Ivan
Gaudé, son co-fondateur fin juin. Licenciement de trois journalistes, les derniers arrivés. Arrêt de la collaboration avec un pigiste et non remplacement d’un départ à la retraite… Presse
non-stop, l’éditeur de _Canard PC_,_ _va donc passer de quatorze à une petite dizaine de salariés. La principale cause de cette crise : le prix du papier. « _Lorsque l’imprimeur dit en
décembre que les prix vont augmenter de 15 % et que quelques mois plus tard ils augmentent de nouveau, la situation devient vite complexe _». POTACHE Depuis sa création en 2003, _Canard PC_
se démarque grâce à un ton proche de _Fluide Glacial_, des auteurs aux pseudonymes plus ou moins potaches (Ivan Le Fou, Louis-Ferdinand Sébum…), et des articles parfois expérimentaux dans la
forme, toujours rigoureux sur le fond. C’est aussi une indépendance revendiquée par rapport aux studios, une approche critique du marketing. Ils sont rares aujourd’hui, ces magazines
vidéo-ludiques à forte identité. _JV_, plus artisanal, fondé en 2013 par d’autres anciens de _Joystick_ est publié au compte-goutte, sans visibilité sur le long terme. En ligne, _Gamekult_ a
été racheté par Reworld : un mauvais signe pour de nombreux journalistes, qui craignent de voir la communication prendre le pas sur le rédactionnel. « _Si ces trois titres disparaissent, je
ne sais pas quel média spécialisé sur le jeu vidéo je lirais en France_ », souffle un confrère. [embedded content] _Canard PC_, c’est un certain nombre de crises, bravées les unes après les
autres sans jamais changer de propriétaire. Un exploit dans ce secteur, aujourd’hui dévasté, résultat de choix mal avisés et de la déferlante internet. Ces crises ont aussi façonné son
identité. Un proche de la rédaction évoque une réunion de crise par an depuis sa création. « _C’est un peu exagéré_ », sourit Ivan Gaudé. À tout le moins, le journal est né dans un certain
tourment. EFFONDREMENT 2003, donc. Une quarantaine de publications sur le jeu-vidéo garnissent alors les rayons des maisons de la presse. En vingt ans, les trois-quarts ont disparu.
Impensable aujourd’hui : le magazine _Joystick_, propriété de Hachette Digital, se vend à 60 000 exemplaires minimum, pour un tirage entre 90 000 et 100 000. Ivan Gaudé est alors rédacteur
en chef de _DVD Magazine_, dans la même succursale de Hachette, mais plus pour longtemps : le titre est vendu_ _au groupe Future France. Le journaliste redoute les intrusions du marketing
dans l’éditorial et quitte le navire, un chèque en poche, en compagnie de Jérôme Darnaudet, alors rédacteur en chef de _Joystick _(décédé en 2018), Pascal Hendrickx, Olivier Peron et Michael
Sarfati. « _Nous n’avions pas envie de travailler avec Future France, ils ne connaissaient rien à la presse_ », tranche Ivan Gaudé. [embedded content] Ils créent Presse Non-Stop et montent
_Canard PC_ en un été, persuadés de la fidélité du lectorat de _Joystick_ à leur style. Pour le premier numéro, qui paraît en novembre 2003, 50 000 exemplaires sont imprimés sur du papier
journal. Résultat, moins de 2 000 exemplaires vendus. « _Une catastrophe_ », résume Ivan Gaudé. « _Notre grande erreur, que nous considérions à l’époque comme un atout, c’est d’avoir surtout
investi notre propre argent. Si nous avions eu des actionnaires, on nous aurait dit d’arrêter. _» Le journal continue de barboter, tant bien que mal. ARGENT, TROP CHER En 2006, deux
actionnaires entrent dans le capital de Presse non-stop pour sauver le groupe, apportant 100 000 €. Initialement hebdomadaire, _Canard PC _devient bimensuel début 2007. Et se résigne à deux
licenciements. Le magazine sort le bec de l’eau, mais c’est un coup dur. Épisode suivant : Presstalis. En décembre 2017, le principal distributeur de la presse en France risque la cessation
de paiement. Un quart des sommes dues aux clients sont retenues. Double catastrophe pour les petits éditeurs, qui doivent aussi mettre la main à la poche dans le cadre du plan de sauvetage
du distributeur. Seule solution : faire appel aux lecteurs sur la plateforme de financement Ulule pour Payer Presstalis et basculer sur un rythme mensuel, unique façon de s’en sortir sur le
long terme. La rédaction passe de huit à quatre personnes, la pagination de 84 à 100 pages. 2018 n’est pas une bonne année, 2019 permet d’être optimiste. [embedded content] La pandémie de
Covid-19 prend le monde par surprise : les imprimeries sont à l’arrêt, les kiosques ferment, la poste est déréglée. « _Pendant deux ans, on a géré la misère_, estime Ivan Gaudé. _Avec les
mesures gouvernementales les banques acceptent de nous prêter_. _Ça simplifie les choses, mais rien n’est simple_ ». Il souligne : « _Notre modèle économique a totalement changé en l’espace
de cinq, six ans _». Aujourd’hui, _Canard PC_ vend_ _15 000 numéros par mois (contre environ 20 000 en 2019). En trois ans ses ventes aux numéros ont baissé d'environ 35%, en partie
compensé par un report sur les abonnements. Cependant, moins le magazine se vend au numéro, plus sa présence en kiosque coûte cher à Presse Non-Stop, qui doit assurer la destruction des
invendus (70 % des exemplaires en kiosque aujourd’hui). TWITCH Autre enjeu : trouver un nouveau public, car le lectorat de _Canard PC _vieillit. Ivan Gaudé en est persuadé : « _Il faut aller
chercher les jeunes là où ils sont, c’est-à-dire sur la vidéo_. » Pendant la pandémie, face à l’impossibilité d’imprimer des magazines, _Canard PC _est devenu un temps un média 100 % vidéo.
Il s’est appuyé sur Twitch, la plateforme de streaming prisée des _gamers_, propriété d’Amazon. Contrairement aux premiers pas du magazine sur la plateforme, en 2019, cette fois le virage
de la production vidéo s’avère payant. Il représente aujourd’hu_i « un peu plus que de l’argent de poche _». Être présent sur la plateforme est « _vital d’un point de vue tactique et
stratégique_. _Tout indique que l’on a gagné en notoriété sur cet espace _». Ivan Gaudé en veut pour preuve la courbe de l’abonnement au magazine_, _«_ parallèle à l’augmentation de
l’audience sur Twitch_ ». Le magazine compte aujourd’hui plus de 25 000 _followers _sur la plateforme. De l’aveu du co-fondateur, « _la pandémie a tout accéléré_. _Le modèle du papier a
vécu, c’est une certitude, mais on va le garder jusqu’au bout du bout _». À la mi-septembre, le co-fondateur nous annonce devoir faire face à une nouvelle hausse du coût de fabrication du
magazine… « _Voire à une hausse probable du prix du papier dans les mois à venir ». _En novembre, _Canard PC_ quittera ses locaux pour Arcueil, son nouveau nid.