
Comment je n'ai pas interviewé kylian mbappé
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Kylian Mbappé en conférence de presse à Marseille, le 25 mars 2024, à la veille d'un match de football amical entre la France et le Chili au stade Vélodrome. © Crédits photo : FRANCK
FIFE / AFP L'attaquant prodige est un cas pratique de journalisme. Il est son propre média et sait très bien se raconter en se passant de la presse. Mais nous avons quand même tenté de
l'approcher, avec une question simple : quel regard porte-t-il sur son traitement médiatique ? Ramsès Kefi Publié le 21 avril 2024 ACTE 1 : LE RECALAGE Kylian Mbappé est là-haut, dans
une lointaine galaxie. Mais j’ai quand même tenté le coup pour obtenir un entretien, malgré la distance qui nous sépare. Il dîne à l’Élysée avec Emmanuel Macron et l’émir du Qatar, son
patron, qui lui verse tous les mois des salaires et des primes lunaires. L’affaire est ainsi convenue parmi certains collègues de la presse : c’est Mbappé qui vous choisit s'il a envie
de faire passer un message — à moins de se déplacer en fusée. À la vérité, il est son propre média. Un média jeune, richissime et puissant : ses comptes sur les réseaux sociaux dépassent les
cent millions d’abonnés, plus que tous les canards, les chaînes télé et les radios réunis. C’est lui qui écrit et nous dicte son récit. On prend des notes. Quand il poste un communiqué, des
confrères le traitent comme le courrier d’un roi. Kylian Mbappé, 25 ans, est un cas pratique de journalisme. Il le met face à tous les défis de la com, comme il rend caduque la manière de
raconter la réussite d’un banlieusard. L’habituel conte de fées qui commence en bas des tours ne fonctionne pas : Mbappé est du 93, mais ne vient pas d’une cité HLM. Sébastien Tarrago,
reporter chevronné, en a pris son parti. Il travaille à _L'Équipe_, seul quotidien sportif français et, de fait, une_ _référence en matière de football. « _Je n’attends pas d’interview.
Il n’a pas besoin de nous et d’une certaine façon je le comprends », _se résigne-t-il. Lui pense que le joueur n’en est qu’au début de son ascension. Son dernier documentaire (_Kylian
Mbappé, hors normes_) consacré à l’attaquant du Paris Saint-Germain s’est fait sans le personnage principal. « _Il cherche désormais à s’adresser à l’ensemble des Français, au grand public.
Tout _L’Équipe_ que nous sommes, nous ne sommes pas grand-chose face à cette ambition. Dès le départ, je savais que je ne l’aurais pas, le “Kyky”. Soyons lucides. » _Cet hiver, « Kyky » a
préféré « Envoyé spécial » et Élise Lucet, où l’enfant de Bondy s’est tranquillement livré comme un vieux père, entre son héritage et son amour des enfants. Les portraits de l’attaquant sont
fatalement redondants, faute de failles visibles : ils dessinent tous un surdoué suprême, qui vole au-dessus d’un nid de niais. À la dernière Coupe du monde, Mbappé claque un triplé en
finale devant des milliards de téléspectateurs et un Emmanuel Macron en transe dans les tribunes. Avec le président de la République, il se murmure qu’il est curieux des relations
franco-allemandes. LVMH en a fait l’une de ses égéries phares au travers de ses marques de luxe. À 14 ans, il était déjà sous contrat avec Nike. À 12 ans, il traînait les pieds sur un
terrain de Clairefontaine (Yvelines), alors qu’il jouait sa place, avec des dizaines d’autres gamins, dans cette académie d’élite du football français. Rachid Laïreche, journaliste à
_Libération_, a assisté à cette scène par hasard en mai 2011, alors qu’il enquêtait sur les quotas ethniques dans le foot français : _« J’ai demandé à un recruteur : “Mais pourquoi ce garçon
s’en fout alors que tous les autres sont à fond ?” Il m’a répondu que Kylian savait déjà qu’il était admis.” Il était sûr de lui. »_ Un conseiller en com, dans une tribune pour _Le Monde_,
compare sa stratégie médiatique à celle d’un patron de la Silicon Valley. Face à un micro, sa voix nasillarde ne bégaie jamais. Les questions glissent sur lui. Il répond à tout. Parle
couramment l’anglais et l’espagnol. Fabrique lui-même les suspens pour prolonger les feuilletons quant à ses choix de carrières. Jean-Baptiste Guégan, enseignant, journaliste et co-auteur de
_Révolution Mbappé_, note une prouesse d’ordre politique. Le meilleur buteur de l’histoire du PSG (qu’il n’a pas eu pour le bouquin) a écrasé les crispations identitaires : ses origines
africaines et banlieusardes n’entrent jamais en ligne de compte. > « Qui se souvient du média qui a sorti l’info en premier ? » Depuis le début d’année, _Foot Mercato_, _Le Parisien_,
_L’Équipe_ ou encore RMC annoncent que Mbappé quitte le Paris Saint-Germain, où il est arrivé à l’été 2017 contre un chèque de 180 millions d’euros signé à Monaco. Quatre ans que son départ
de la capitale est un marronnier, avec ses convois de rumeurs, de dramas, d’overdoses de conditionnel et de sous-entendus dans des articles. Il rejoindrait le Real Madrid, le meilleur club
du monde. Chaque détail de ce départ programmé est monté en scoop par des médias — comme le jour où il a averti ses coéquipiers de la fin de son aventure. Et chaque scoop est une poule
pondeuse : les reprises se multiplient partout, de X aux talk-shows, où des éditorialistes se muent parfois en psychologues en interprétant les mimiques, les sourires et les silences de
l’attaquant. Sébastien Tarrago interroge : _« Qui, à part dans le milieu, et encore, se souvient du média qui a sorti l’info en premier ?_ » Des chroniqueurs se réjouissent de la fin du
feuilleton. L’avenir de Mbappé et ses desseins ont, selon eux, écrasé le PSG, son équipe et la part romantique du foot. Là-dessus, Karim Nedjari, directeur général de RMC et de RMC Sport,
prévient : _« On verra ce que les personnes qui se disent soulagées de son départ auront à raconter dans six mois sur la Ligue 1. »_ Le PSG a traité ma demande d’entretien. Il a réclamé un
bref synopsis, qu’il présente (s’il le veut bien) au joueur pour savoir si le sujet le botte. De plus en plus, un footballeur et son entourage s’intéressent à l’angle d’une interview, même
si la plupart y livrent le minimum, avec un pouce en l’air et des réponses surgelées pour prévenir toute polémique. Un bout de phrase sortie de son contexte peut envoyer un footeux célèbre
dans la lessiveuse de X. Mon fil directeur était simple : quel regard Mbappé porte sur son traitement médiatique ? Assis autour d’une table, nous aurions regardé tous les deux des extraits
d’émissions et feuilleté des coupures de presse. Le recalage du PSG fut poli : ce sera non, mais ils seront ravis de lire _« mon contenu »_ — un terme si évocateur. ACTE 2 : UN SCOOP Le
samedi 3 février, _Le Parisien_ annonce le départ de l’attaquant en fin de saison pour Madrid. L’article commence par une précaution : « _Même si rien n’est signé_ ». Et il s’achève, au cas
où, par une autre — _« un nouveau rebondissement est-il possible ? En théorie, oui… »_ Trois journalistes, avec chacun leurs sources, signent le papier. Le quotidien réalise un gros coup :
même s’il ne donne aucun détail, c’est l’explosion de clics. Mbappé est une marque internationale et le Real, la Nasa version foot. Laurent Perrin, chef de service aux sports, appelle ça un_
« combo »._ Il insiste : _« Il faut faire la différence entre un public d’initiés, probablement lassé du feuilleton et le grand public, plus distant avec le foot, qui voit ce joueur comme
une personnalité publique. Pour eux, ça suscite de vraies réactions. »_ L’info n’est pas formellement démentie par Mbappé, ni par le club. Soulagement : huit mois plus tôt, _Le Parisien_ a
sorti la même, mais s’est raté. Mbappé en personne avait répondu sur X : _« Mensonges… »_, avec une croix rouge et quelques mots pour appuyer le coup de poing. 13,5 millions de comptes X
suivent Mbappé : ses messages sont des missiles. _« Ça fait mal »,_ admet Laurent Perrin. Pour l’expliquer, il envisage tous les scenarios, du rebondissement de dernière minute à la
manipulation d’une source mal jaugée ou vérolée. Le PSG, propriété du Qatar, est un aquarium où les poissons se nourrissent de barbaque. Des clans s’y déchirent et les indiscrétions qui
transpirent sont souvent en lien avec ces batailles de pouvoir. Des guerres, même : l’émirat est embourbé dans mille et une histoires commerciales, crapuleuses ou diplomatiques, à des
années-lumière du football. Le club donne très peu à la presse écrite. _« Il estime que les images parlent d’elles-mêmes »,_ note un rédacteur qui écume les matches et les conférences de
presse. Il étaie :_ « Officiellement, le PSG ne nous donne que le minimum. Mais officieusement, il sait nous trouver en faisant passer des messages par des sources liées au club. Depuis
quelques mois, il les a utilisées pour dire aux médias que Paris n’avait plus besoin de Mbappé et qu’à l’avenir, il serait plus fort sans lui. Ce qui se retrouve dans certains papiers. »_
_Le Parisien_, qui suit le PSG à plein temps, n’a jamais pu obtenir une interview de Mbappé, hormis quelques mots à propos de sa fondation — qui accompagne 98 jeunes dans leurs projets
d’avenir. Il a tenté d’approcher son entourage par ses journalistes qui connaissent Bondy. Chou blanc. Son cercle et lui contrôlent tout, distillant au mieux quelques off à quelques relais
médiatiques — le journalisme sportif n’a rien à envier à son cousin de la politique. Les négociations pour un entretien avec le prodige débouchent néanmoins sur un compromis, il y a trois
ans et des poussières. Fayza Lamari, sa mère, se propose pour un face-à-face avec des lecteurs. Un jeu de questions/réponses, érigé en rendez-vous régulier par le journal. Cet exercice est
réservé à des personnalités expertes dans leur domaine. Finalement, _Le Parisien_ accepte. C’est une aubaine : elle est la mère de l’ovni (donc elle l’est un peu aussi) et le visage d’une
communication à l’américaine, made in Seine-Saint-Denis. Un ex-proche de la famille est clair _: « Dès que Fayza sent que quelqu’un peut perturber son fils, elle l’écarte dans la seconde.
C’est aussi pour ça que très peu de choses sortent sur sa vie privée. Elle a tout compris au monde du football. Des journalistes cherchent des défauts à Kylian, des “choses croustillantes”
comme m’a demandé l’un d’eux. Ben bon courage ! »_ L’ancienne handballeuse de haut niveau textote avec des journalistes, les teste, les renseigne, mais pas trop. Des confrères la reniflent,
la glorifient ou a contrario, la craignent sans se l’avouer. Elle discute cash. Se fâche. Argumente. Influence, mais n’y parvient pas toujours. Elle black-liste, mais donne des coups de
pouce, aussi. En octobre 2018, elle facilite un entretien de Kylian Mbappé avec le _Bondy Blog_. Son fils est alors de retour dans son terroir, à Bondy, ville de 50 000 habitants traversée
par la A3 et le RER E. Au stade municipal, c’est le bain de foule. Come-back en majesté : il est devenu champion du monde. Sylvine Thomassin, la maire, lui offre une flûte traversière, en
souvenir de son passage au conservatoire. Lui aussi a un cadeau : un portrait de lui soulevant la Coupe du monde — un genre de Joconde dans un siècle ? J’y étais. Des gamins hurlaient de
joie et des sexagénaires applaudissaient à s’en esquinter les paumes. Et Wilfried Mbappé, le père, a rappelé que Bondy avait plein d’autres modèles de réussite, comme des médecins. À
l’époque, « Kyky » est déjà quasi-intouchable pour la presse. Tout était sous contrôle. Fayza Lamari a même choisi le service de sécurité de l'événement, glisse-t-on dans les couloirs
de la mairie. Ilyes Ramdani, co-intervieweur au _Bondy blog, _aujourd’hui à _Mediapart_, se souvient : _« Les autres médias nous regardaient avec de grands yeux. Quoi ? Ils sont en
tête-à-tête avec Mbappé ? Mais ses parents sont originaires de Bondy et y ont toujours été très ancrés. On avait des personnes en commun, forcément. Pour la mère, il était en tout cas
évident que Kylian Mbappé parle au _BondyBlog_. C’était une façon de mettre la ville en avant_. _»_ > Pourquoi donc livrer des exclusivités aux médias traditionnels ? Bilel Ghazi,
ex-journaliste de _L’Équipe_, fait partie de la garde rapprochée de l’attaquant — le quotidien sportif a fourni quelques communicants au monde du foot. Delphine Verheyden, avocate de
pointures, le conseille — mon mail à son adresse est évidemment resté sans réponse. Wilfried gère la partie sportive. Il est une figure de l’AS Bondy, le club de football local où
l’ascension de la famille a commencé. Ce n’est qu’une partie de l’organigramme : « Kyky »_ _possède ses propres structures pour développer son image, dont l’une produirait en ce moment même
un documentaire sur lui, ce qui en fait un footballeur-acteur. Désormais, le sport est ainsi fait : ses cracks ne s'estiment jamais mieux servis que par eux-mêmes. Alors pourquoi livrer
des exclusivités aux médias traditionnels ? Mbappé a (encore) un avantage sur ses pairs : il se raconte bien. Et il aurait breveté à l’Office de l’Union européenne pour la propriété
intellectuelle (EUIPO) à peu près tout ce qu’il le concerne. Son prénom, ses phrases fétiches, ses célébrations de but. Jean-Baptiste Guégan : _« Il prépare déjà son après-carrière et c’est
une certitude, il ne se ferme aucune porte. » _Ni dans le business, ni en politique. Philippe Goguet, fondateur du site Culture PSG et co-auteur de _Paris dans les veines_, analyse : _«
C’est un joueur de Coupe du monde et cette compétition, ne l’oublions pas, est en clair. Des millions de Français ont vu ses exploits de leurs yeux. C’est ce qui fait la différence. S’il ne
brillait qu’au PSG, son impact dans la société aurait été différent puisque le foot de clubs est presque totalement payant. »_ RMC Sport a passé cinquante minutes avec le joueur en 2021,
quand ça chauffait sévère. Le joueur voulait (encore) partir mais le club l’a retenu. Karim Nedjari : _« On pourrait le croire, mais il n’a pas demandé nos questions avant. On a pu poser
toutes celles qu’on voulait et c’est là, la force de sa communication. S’il avait fait l’inverse avec nous, le grand public aurait vu les grosses ficelles. » _Il lâche les trois lettres
magiques : _« Mbappé est un HPI. » _L’ancien journaliste de Canal +, qui a longtemps suivi Zinedine Zidane, prend les paris : la célébration de Kylian Mbappé (bras croisés et grimace de
boss) pourrait être le logo d’une future marque, à l’image du _dunk_ de Michael Jordan. La réussite des Mbappé a engendré une frénésie aux quatre coins de France. Des familles veulent vivre
le rêve bondynois. Dans les catégories de jeunes, des parents vrillent au bord des pelouses, au point de filmer leurs ados à l’entraînement pour leur repasser les images à la maison. Des
clubs, eux, mettent sous pression des gamins encore à l’école primaire. Ils les évaluent, les formatent sur le terrain, les privent de plaisir pour former, pourquoi pas, la prochaine pépite
mondiale. L’AS Bondy, là où tout a commencé pour l’Américain du 93, a vu les demandes de licences exploser. Sa réputation de labo génial fut définitivement faite après le titre de champion
du monde de Mbappé en 2018. Le club a pourtant souffert de sa surmédiatisation, au-delà de ses passages au JT et des téléphones de ses éducateurs en surchauffe pour un scoop sur « Kyky ».
Sur les terrains, l’attitude de dirigeants et de joueurs adverses s’est mise à changer — un mélange de fascination et de jalousie. Le microcosme du football et les sponsors se sont
rapidement persuadés que l’ASB avait les fouilles pleines grâce aux réseaux et aux moyens colossaux des Mbappé. Après tout, des fresques de l’attaquant habillaient des bâtiments de la ville
comme un saint patron. Le club, en proie à des embrouilles intestines, a plongé. En 2022, l’AS Bondy s’est retrouvé en crise financière profonde. La famille Mbappé a progressivement pris ses
distances. ACTE 3 : LE DEMI-SCOOP L’équipe de _Foot Mercato_ s’est manifestée sur X pour réclamer sa part de lumière. Elle estime avoir été pionnière à propos du départ de « Kyky ». Avant
_Le Parisien_, entre autres. Le dimanche 7 janvier au soir, Santi Aouna signe un papier où il annonce un accord entre Kylian Mbappé et le Real Madrid. Depuis des années, le site Internet
s’est spécialisé dans les transferts, de l’inconnu en galère en Thaïlande jusqu’au gros gibier. Cette fois aussi, X s’agite. Qu’est-ce qui différencie leur article de celui du _Parisien_ ?
Le ton : _Foot Mercato_ affirme sans précaution — son directeur de la publication ne donnera pas suite à nos sollicitations. Les chiffres : _Le Parisien_ donne des estimations, étoffant le
contexte. Les intérêts financiers sont colossaux et les pressions sur les journalistes, d’où qu’elles viennent, de plus en plus fortes — d’où la difficulté de faire parler des collègues pour
ce sujet. Traiter le football de haut niveau à plein temps est un va-et-vient entre deux mondes. Celui du jeu, de la tactique et des mécanismes ténus d’un vestiaire. Celui des coulisses,
qui obéissent à un capitalisme froid, opaque et cruel, où toutes les manipulations sont permises. Une info (vraie ou pas) qui fuite peut perturber un plan com ou pire, des négociations
secrètes. Elle peut aussi les accélérer ou les stopper. Un confrère au fait des dossiers à Paris le résume ainsi : _« Mbappé, c’est une histoire bien évidemment sportive, avec ses records,
ses performances, sa précocité. C’est vrai que des gens nous reprochent de ne parler que d’argent, de transferts. Mais Mbappé, c’est une négociation permanente entre lui et le club. Ça ne
s’arrête jamais_. _»_ Et :_ « Le souci est que le PSG lui-même n’a jamais vraiment su ce qu’il y a dans la tête de Kylian. »_ Les réseaux sociaux ont remodelé la définition même de «
l’information » : selon la façon dont elle est rédigée (en peu de signes et sans contexte) et partagée, une embrouille quelconque de vestiaire (la routine) prend des allures d’acte de
guerre. Des anonymes, doués ou roublards, parviennent à se mêler à la course aux exclus et fédérer une communauté. Ils connaissent un minot au club, un agent qui traîne dans une chicha
huppée, un vigile qui les rencarde ou qui sait, un ponte du PSG dans leur famille. Ils contredisent en ligne des médias et des journalistes à coups de smileys ou émoticônes. Un reporter
spécialisé dans le foot y voit un retour de bâton : _« Dans les grandes rédactions, on a choisi de faire des papiers sur des demi-phrases, qu’on érige en grande polémique. Il se passe
désormais sur les réseaux sociaux ce que nous avons commencé dans la presse traditionnelle. »_ > « Le PSG lui-même n’a jamais vraiment su ce qu’il y a dans la > tête de Kylian » Les
indiscrétions sur Kylian Mbappé valent leur pesant de followers ou à défaut, d’exposition plus ou moins éphémère. _« C’est en quelque sorte un ascenseur social, ce joueur, et sur les
réseaux, et dans la vraie vie »,_ affirme Sacha Tavolieri, passé par _Libération_, RMC Sport ou encore la chaîne L’Équipe. Sur X, le Belge aussi revendique des scoops sur les coulisses du
foot européen. _« Si tu joues bien ta partie sur Kylian, si tu commences à sortir des choses justes, il y a même des rédactions qui te surveillent. Par contre, si tu te trompes, ta
communauté peut t’en vouloir et tu peux disparaître direct. D’où la question à se poser tout le temps sur le PSG et Mbappé : est-ce que cette info-là vaut le coup que tu la divulgues, même
si tu l’as ? Est-ce que ça vaut de jouer sa crédibilité sur Mbappé si tu n’as pas toutes les billes, sachant que des comptes très suivis sur X reprennent ton info presque en direct et
peuvent lui donner une visibilité internationale ? »_ C’est ainsi que Philippe Goguet, de Culture PSG, a choisi d’ignorer le tuyau qui lui est arrivé aux oreilles à l’été 2017. Kylian Mbappé
était encore à Monaco : _« Et on me dit qu’Unai Emery, l’entraîneur du Paris Saint-Germain, s’est déplacé en voiture pour le rencontrer et le convaincre de signer. Je n’y crois pas ! Ça
paraissait tellement improbable ! »_ Si l’info était a priori juste, le risque à prendre était trop grand : c’est son média tout entier qui risquait la mise au ban en cas d’erreur. Sur X, le
football est plus clivant que la politique. On entend ici et là « pro » ou « anti-Mbappé », comme pour un parti ou un candidat à l’Élysée. Le directeur d’une grande rédaction dit : «
_Emmanuel Macron pense pouvoir l’instrumentaliser, mais c’est impossible. Mbappé est trop intelligent pour ça. »_ Je n’ai pas obtenu mon entretien avec Kylian Mbappé, mais je me suis
approché de sa planète. Alors que je venais à bout de cet article, j’ai croisé Nasser Al-Khelaïfi, le président du Paris Saint-Germain — je n’étais pas en fusée, mais en métro. C’était dans
un hôtel de luxe à Paris, où un ami écrivain adore boire un expresso (qui coûte proportionnellement le prix d’un joueur de foot) et observer de près l’aristocratie. Le Qatari est apparu avec
une bonne demi-douzaine d’hommes. Il s’est assis, avant d’allumer son ordinateur portable pour regarder du foot. Un type au visage tranquille tournait autour de sa table comme le soleil
autour de la terre. Drôle de période pour lui : « Kyky » partirait libre cet été — son contrat le lui permet — alors qu’il est probablement l’un des footballeurs les plus cotés du marché.
J’ai glané lors de ce voyage au pays des riches une exclu : Nasser boit du jus de pamplemousse.