Comment les séries judiciaires permettent l'étude du droit

Comment les séries judiciaires permettent l'étude du droit


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Il a fallu attendre une série comme _Engrenages_ pour que les téléspectateurs puissent découvrir une vraie salle d’audience française. © Crédits photo : Engrenages / Canal+, via Youtube. LA


JUSTICE SOUS L'ŒIL DES MÉDIAS - ÉPISODE 3/7 Des années 1930 à nos jours, les séries judiciaires ont connu d’importantes évolutions. Accompagnant les premiers pas des téléspectateurs et


téléspectatrices dans le monde de la justice, elles offrent un rôle pédagogique important dans sa compréhension.   Barbara Villez Publié le 31 janvier 2020 À la télévision française, les


fictions relatives au monde judiciaire ont longtemps pris deux formes : des téléfilms fondés sur des faits divers historiques ou des séries importées des États-Unis. La série judiciaire


trouve son origine dans les romans et les émissions radiophoniques des années 1930 aux États-Unis, tournées pour le petit écran dès la fin des années 1940 — les téléfilms, plus longs dans la


durée et souvent à diffusion unique, se sont développés bien plus tard. Les séries judiciaires ont donc constitué la source fictionnelle la plus fréquente sur la justice à la télévision


étatsunienne. La présence importante de la justice de ce pays sur leurs petits écrans a engendré une certaine confusion chez les citoyens français, qui en connaissent mieux certains aspects


que celle de l’Hexagone. On peut ainsi déplorer que les Français s’adressent au président de la cour d’assise en l’appelant « votre honneur » ou qu’ils invoquent le droit au silence au nom


du cinquième amendement devant un tribunal, même si cela dénote le potentiel pédagogique des séries judiciaires. _PREMIERS PAS DANS LE MONDE JUDICIAIRE_ Contrairement à la série policière,


axée sur l’enquête criminelle et dont l’intrigue prend fin après l’arrestation d’un suspect que toutes les preuves accablent, la série judiciaire est centrée sur la suite de l’arrestation.


Figurent ainsi dans le récit la présomption d’innocence, les règles de procédure et surtout les conséquences juridiques pour le détenu, tandis que sont mis en avant les rôles de l’avocat, du


procureur ou bien du cabinet d’avocats associés. La série judiciaire tourne donc autour de l’un de ces personnages, qui, dans la plupart des cas, va présenter sa version des faits au


tribunal. Le procureur développe dans ses arguments la thèse de l’État (contre) et s’oppose à celle de l’avocat en faveur du client qu’il représente. Chacun essaie de persuader le jury seul


(aux États-Unis) que son interprétation des faits est la bonne. Au fur et à mesure des épisodes, les téléspectateurs fidèles ont acquis une image mentale de l’organisation de la salle de


tribunal, ainsi qu’une idée du rôle de chaque personne intervenant au cours du procès : où siège le juge, comment le procureur présente ses arguments, dans quel ordre chacune des parties


prend la parole, à qui s’adresse-t-on et de quelle manière. À quelques exceptions près, avant les années 1990, les intrigues tournaient autour d’affaires pénales, et la question posée au


centre du récit concernait tout simplement l’innocence ou la culpabilité du justiciable. Avec le temps, une fois acquis les principes de la procédure et l’organisation de la salle


d’audience, le téléspectateur est prêt à accéder à des questions plus complexes, telles que l’admissibilité des preuves, la responsabilité des juges, l’éthique des avocats, quand un prévenu


est-il responsable, s’il est mineur, s’il souffre d’une maladie mentale, si son acte a fait l’objet d’une incitation par un tiers, etc. Peu à peu les récits s’élargissent à d’autres


questions de droit pénal (fraude, viol) et abordent le droit civil (dispute entre parties privés, droit de la famille, la succession, l’adoption, le licenciement abusif, la responsabilité


des sociétés) pour en arriver aujourd’hui à des questions plus techniques (la sélection des jurés) et plus actuelles (le terrorisme ou l’homophobie). Devant l’éventail de sujets, les


juristes sont devenus indispensables dans les équipes de scénaristes. Un nombre surprenant d’auteurs, comme Charles Dickens ou André Gide, ont fait du droit avant de se lancer dans


l’écriture de romans où figuraient des questions de justice. Moins connu peut-être, l’avocat américain, Erle Stanley Gardner a écrit une série de romans autour d’un certain Perry Mason,


avocat malin qui réussit toujours à innocenter le client que tout incriminait. De 1943 à 1955, _Perry Mason_ est devenu une émission radio pour CBS et en 1957 une série télévisée (CBS,


1957-1966). Devant sa popularité, des téléfilms ont suivi au cours des années 1970 et 1980, reprenant le personnage principal évoluant dans sa carrière jusqu’à devenir juge et professeur de


droit. Même si le récit de _Perry Mason_ a toujours été très simple, son évolution et ses discussions avec les procureurs bénéficiaient d’un réalisme que la présence des juristes parmi les


scénaristes était seule capable de fournir. _UNE REPRÉSENTATION DE PLUS EN PLUS COMPLEXE DE LA JUSTICE _ Si les premières séries judiciaires ont offert une source d’information sur la


justice aux « télé-citoyens », d’autres, par la suite, ont développé un regard parfois critique. Ainsi, la représentation des professions judiciaires dans des séries étatsuniennes se


divisent-elles en quatre périodes. Lors de la première, comme on a vu ci-dessus, l’avocat fait figure à la fois de personnage central du récit mais aussi de centre du système judiciaire. Le


juge et le procureur occupent des rôles très minimes au tribunal, et les jurés, lorsqu’ils sont présents, écoutent simplement la plaidoirie. Parfois même, le vrai coupable avoue sa


culpabilité, rendant toute délibération inutile. L’avocat incarne une figure de chevalier servant, de sauveur ou simplement de personne de confiance dédiée à la vérité, même s’il joue un peu


avec les règles pour faire sortir son client dont l’innocence lui est certaine, ôtant là tout dilemme. Il gagne toujours ses procès, et comme tout ange gardien, n’a ni vie personnelle — ou


très peu — ni défauts. Pendant les années 1980, la production de séries judiciaires diminue et des téléfilms inspirés de faits réels font leur entrée dans le paysage télévisuel étatsunien.


Souvent, au centre des récits, une personne se trouve confrontée à un problème juridique auquel elle est incapable de trouver une issue, les lois bloquant sa situation, ne protégeant pas


toujours les démunis, l’avocat se trouve impuissant et le juge lié par des règles de procédure trop rigides. Malgré une production moindre, ces films s’accompagnent de quelques séries dans


lesquels on pouvait voir aussi des avocats non plus anges gardiens mais anges déchus, hommes blessés ou intéressés, luttant malgré tout pour sauver leurs clients des affaires dans lesquels


ceux-ci sont impliqués et dont ils ne sortent pas vainqueurs à chaque fois. C’est dans ces années-là que la représentation du cabinet d’avocats fit une première apparition (_L.A. Law_, NBC,


1986-1994, en français : _La Loi de Los Angeles_, diffusé par La Cinq puis d’autres, 1987-1999). La troisième période, les années 1990-2006, voit presque une cinquantaine de nouvelles séries


judiciaires produites pour la télévision étatsunienne et vendues, pour la plupart, partout dans le monde. Le téléspectateur est maintenant capable de suivre des discussions encore plus


détaillées entre les personnages issus du monde juridique. Comme beaucoup d’anciens avocats écrivent désormais des séries, les récits regorgent d’informations réalistes et techniques. Les


références à la jurisprudence sont fréquentes, les termes spécifiques relevant du droit civil émaillent les épisodes. Parfois, les scénaristes jouent avec la réalité jusqu’à distordre les


comportements au tribunal pour attirer l’attention sur un dysfonctionnement du système judiciaire. Après cette période où le personnel de justice était représenté de façon très varié (des


avocats très dévoués, d’autres hystériques, d’autres véreux), à partir de 2006 font leur apparition des techniciens froids, des requins qui considèrent le procès comme un combat _( Shark_ ,


CBS 2006-2008, en France : Paris Première 2007, M6 2008 ; Justice , FOX, 2006, en France : France 2 2011 ; _Bull_ CBS, 2016, France : M6, 2018- présent), la justice devient fragile et le


droit une science froide. _L’ÉVOLUTION DES FICTIONS JUDICIAIRES EN FRANCE_ Les Français ont suivi cette évolution d’une représentation de la justice étatsunienne, mais leurs productions


locales depuis les années 1960 ont donné une image bien différente des professions judiciaires. L’offre d’émissions portant sur la justice était dominée par des documentaires (par exemple


_La Justice en Question_, Arte, 1997) et des magazines (_Faites entrer l’accusé,_ France 2, 2002- présent) mettant l’accent sur les faits, les victimes, les auteurs des crimes, plus que sur


les métiers ou la procédure judiciaire. Les fictions, au tout début, prenaient la forme de pièces de théâtre ( _Les Plaideurs,_ ORTF 2, 1967), de parodies (_Affaire Suivante_, A2, 1986-1989)


ou de séries de reconstitution de procès célèbres _(En Votre Âme et Conscience_, ORTF 1, 1956-1969). Le petit nombre relatif de vraies séries depuis les années 1950 en France — tout au plus


une quinzaine — et la préférence pour des reconstitutions ou des téléfilms (_L’Affaire Seznec_ , TF1, 1993 ou _L’Affaire_ _Dominici,_ TF1, 2003) en _prime time_ révèlent l’importance de


l’Histoire et des faits divers en France. Les Français aiment les enquêtes, ce qui explique la popularité des séries policières et l’importance du juge d’instruction qui enquête à charge et


à décharge avant de décider de l’opportunité d’une mise en examen. Si le « petit juge » (Julien_ Fontanas, magistrat_, TF1 1980-1989 ; _Alice Nevers_, TF1, à partir de 2002 ou _Engrenages_,


Canal +, 2005- présent, pour n’en citer que trois) est un personnage aimé, c’est loin d’être le cas des avocats, traditionnellement représentés sous une lumière bien moins favorable, voire


négative (_Avocats et Associés_, France 2, 1998-2010). En France, depuis plus longtemps que dans les séries étatsuniennes, des avocates sont au centre des récits. Leur attitude envers leurs


clients a toujours traduit plus d’empathie que celle de leurs confrères. Dans une fiction comme _Avocats et_ _Associés_, les avocats s’intéressaient plus à leur carrière ou à leurs amours


qu’à leurs clients, mais les avocates récentes (_Lebowitz contre Lebowitz_, France 2, 2016-2018, et _Munch_, TF1, 2016- présent) se placent beaucoup plus du côté des gens qu’elles défendent,


très concernées par leur détresse. _Munch_ par exemple, s’oppose clairement à une institution qui ne protège pas les gens, mais le téléspectateur n’acquiert guère plus de connaissances sur


la justice française. Ces séries françaises poursuivent une tradition, centrant les récits sur les aspects sociaux des affaires plutôt que sur les questions juridiques, contrairement aux


fictions judiciaires outre-Atlantique. Bien qu’_Engrenages_ mette particulièrement l’accent sur les problèmes de société, cette série se démarque par le traitement d’autres thèmes peu ou pas


évoqués dans les fictions judiciaires télévisées. Les différents et différentes scénaristes en chef — Anne Landois a notamment occupé ce poste entre 2010 et 2017 —, se sont entourés de


vrais magistrats, avocats et policiers pour l’écriture des épisodes, et cela s’est ressenti au niveau du réalisme et de la vraisemblance des récits. La hiérarchie de l’institution judiciaire


est clairement mise en scène ainsi que l’articulation des services (la police judiciaire et le parquet), comme la diversité du personnel judiciaire (magistrats, greffiers, huissiers etc.).


La série pose aussi un regard sur les dilemmes et leurs conséquences sur la vie personnelle de ces individus appartenant au monde judiciaire, mais aussi sur la pression du travail à la


chaîne des avocats commis d’office ou sur la distinction des fonctions de procureur et d’avocat. Sous le titre de _Spiral_, _Engrenages_ a rencontré beaucoup de succès à l’étranger, offrant


un petit aperçu de la justice française aux téléspectateurs des pays anglophones, où le système judiciaire diffère de l’institution judiciaire française. _LE POTENTIEL PÉDAGOGIQUE DES SÉRIES


JUDICIAIRES_ Il a fallu attendre une série comme _Engrenages_ pour que les téléspectateurs puissent découvrir une vraie salle d’audience française, les téléfilms ou séries plus anciennes


préférant donner de fausses informations. Dans certaines œuvres, le jury se trouvait parfois dans un box séparé d’un unique magistrat du siège, alors qu’aux assises, les jurés s’assoient de


part et d’autre des trois magistrats, le président et deux assesseurs. C’est l’histoire du fait divers qui intéressait les scénaristes et producteurs, pas les détails de l’organisation de la


salle d’audience ni des professions. Ainsi, même les téléfilms inspirés des faits divers étaient remplis d’informations juridiques inexactes. Le recours aux vraies affaires complique


néanmoins le travail des scénaristes et des producteurs, qui doivent éviter certains détails afin de respecter le droit à l’oubli des parties impliquées. S’inspirer de vraies affaires pour


en extraire une problématique juridique, en laissant de côté les détails de l’événement ou des parties, est la politique suivie par les avocats-scénaristes aux États-Unis. Leur objectif


principal, tout au long des épisodes, vise à construire un message particulier sur la justice, en mettant par exemple en exergue la responsabilité individuelle, la judiciarisation excessive


de la société ou des règles de procédure censées protéger les justiciables mais qui finissent par paralyser le système. Les thèmes traités visent à susciter l’attention des téléspectateurs,


et le réalisme des détails de l’organisation de la justice leur fait prendre conscience des enjeux de chaque affaire. Ce style de traitement permet, en outre, de comparer les systèmes et/ou


institutions judiciaires des différents pays produisant ces séries. Ces fictions invitent donc à réfléchir. Aujourd’hui, on voit moins de séries niaises dans lesquelles une partie a


clairement raison alors que l’autre utilise des arguments ridicules. Une série comme _The Good Wife_ (CBS, 2009-2016 ; à partir de 2011 en France sur différentes chaînes du groupe M6) met en


scène des arguments intelligents et convaincants, émis par les deux parties adversaires, invitant ainsi les « télé-citoyens » à suspendre leur jugement, bien écouter et se poser des


questions essentielles. LA JUSTICE SOUS L'ŒIL DES MÉDIAS - ÉPISODE 4/7 Qu’est-ce qu’un grand procès ? Qui décide comment sont archivés ces moments historiques de la justice ? Comment


avoir accès par la suite aux documents ? Tant de questions auxquelles nous allons répondre dans cet article.