
Comment réguler les comportements nuisibles dans les jeux en ligne?
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Les éditeurs de jeu vidéo sont partagés sur la conduite à tenir face aux dérives verbales et comportementales des joueurs. Vincent Sarrazin Publié le 03 septembre 2015 Le lien entre pratique
des jeux vidéo et comportements violents semble avoir été relégué au rang de vieux marronnier décrépit, aujourd'hui délaissé par les médias de masse. Il existe pourtant, dans le monde
du jeu en ligne, une omniprésence visible des comportements violents. L'anonymat couplé à la composante compétitive de ces jeux donne lieu à des nombreux débordements, regroupés sous
l'appellation de comportements antijeu. Allant de la tricherie au harcèlement moral, ces débordements menacent l'activité des développeurs de jeu en ligne en faisant
potentiellement fuir nombre de joueurs. Comment les éditeurs tentent-ils de lisser l'expérience de jeu en limitant ces dérives ? Quels mécanismes sont mis en place pour inciter les
joueurs à un comportement respectueux et responsable ? Comment, dans des jeux en ligne massivement multijoueurs, limiter l'impact d'un anonymat qui semble autoriser tous les
débordements? ANONYMAT ET COMPÉTITIVITÉ, UN MÉLANGE QUI TEND À DÉBORDER Pour les néophytes découvrant la pratique des jeux en ligne, le premier contact peut s'avérer brutal. Tout
apprentissage, y compris d’un jeu, est progressif et l'inexpérience d'un nouveau joueur est souvent très visible face à la pratique approfondie d'un joueur chevronné. Il
s'agit en soi d'une mécanique fondamentale du jeu, mais qui devient problématique lorsque les erreurs d'un novice deviennent prétextes à des reproches qui peuvent vite tourner
au harcèlement. Présentes dans les sports d'équipe traditionnels1, les critiques au sein d'une équipe peuvent rapidement être perçues comme des agressions, d'autant plus si
elles extériorisent sans recul un sentiment de frustration – courant dans nombre de jeux en ligne très compétitifs (League of Legends, Call of Duty, etc.). Un simple conseil sur le
déroulement du jeu, non suivi par le joueur visé, peut rapidement prendre une tournure agressive. Une pratique fâcheuse lorsqu'un joueur qui peine à prendre ses marques finit en bouc
émissaire de son équipe. [embedded content] Les nombreux débordements verbaux lors du championnat européen de Call of Duty sont exacerbés par l'aspect compétitif omniprésent. On parle
de harcèlement (harassment) pour qualifier l'acharnement verbal en ligne. Si les qualificatifs sont nombreux pour désigner ces joueurs (toxiques, rageux, flamers…), il ne s'agit
cependant pas de la seule forme de comportements problématiques dans les jeux. La pratique du trolling, ou griefing(de l'anglais grief, douleur) consiste ainsi à porter volontairement
préjudice à un joueur non-hostile, comme lorsque l'on ouvre le feu sur ses propres alliés dans un jeu de guerre. Le harcèlement, le griefing et d'autres comportements comme la
tricherie ont en commun de porter un préjudice à d'autres joueurs et d'être grandement facilités par l'anonymat. Une étude menée dans les années 1970 par le psychologue
américain Edward Diener montrait le lien entre anonymat et incivilité chez les enfants (ces derniers se livrant plus facilement au vol et à la délation lorsque leur identité était gardée
secrète). Diener mettait en cause le processus de désindividuation, ou mise à l'écart de la conscience de soi liée au fait d'appartenir à un groupe. Des études plus récentes
laissent planer peu de doutes sur le lien entre anonymat et comportements antisociaux dans les jeux en ligne. L'anonymat encouragerait les débordements verbaux et la tricherie – ces
derniers étant plus courants chez les joueurs de sexe masculin. > Il devient moralement justifiable de contrevenir à une règle > lorsque son non-respect semble omniprésent Il serait
cependant insuffisant de ne considérer les comportements antijeu que par le prisme de l'anonymat. Car les jeux en ligne sont, par essence, des expériences sociales. Les comportements
agressifs, tout comme la tricherie, se répandent par mimétisme et deviennent une norme informelle plutôt que des cas isolés. Il devient moralement justifiable de contrevenir à une règle
lorsque son non-respect semble omniprésent. Et là où la psychologie recommande une prise en charge individualisée pour les cas de comportements antisociaux, les éditeurs de jeux en ligne
n'ont d'autre choix que d'agir sur des leviers collectifs d'incitation. RÉFORMER, PROTÉGER, PUNIR : QUELS OBJECTIFS POUR LES ÉDITEURS DE JEUX EN LIGNE ? Pour un éditeur
de jeux, comme pour toute autre entreprise commerciale, le volume de ventes est une composante majeure du succès économique. Il est ainsi vital pour un développeur de conserver une base de
joueurs la plus large possible, ce qui peut rendre paradoxales les politiques de sanctions des joueurs agressifs. Il s'agit de sanctionner les écarts de manière subtile afin
d'éviter à la fois le départ du joueur sanctionné (écœuré par sa punition) et celui du joueur victime (exaspéré par ces agissements) qui peuvent tous les deux dégrader l’image du jeu.
La sempiternelle pratique du bannissement (on interdit la pratique du jeu à un joueur de manière permanente) est ainsi devenue exceptionnelle et souvent réservée aux cas les plus extrêmes.
Le bannissement temporaire est plus souvent la norme, même si elle s'accompagne désormais d'un large éventail de mesures. Pour beaucoup d'éditeurs, la protection des joueurs
est la priorité dans la lutte contre les comportements antijeu. C'est ainsi que l'éditeur Blizzard a choisi, pour ses jeux Hearthstone et Heroes of the Storm, de limiter au maximum
les canaux de communication entre joueurs. Lors des duels du jeu Hearthstone, la seule communication possible avec son adversaire réside dans une série de 6 phrases prédéfinies entres
lesquelles il faut choisir (la plupart retranscrivant des émotions neutres ou positives). Dans le jeu d'équipe Heroes of the Storm, la communication avec l'équipe ennemie est
impossible, et aucune option de chat n'est proposée une fois la partie terminée. Autant de mesures qui visent à éviter autant que possible les débordements verbaux, en limitant les
canaux, voire le contenu de la communication. La communication est pourtant une partie essentielle des jeux en ligne, d'autant plus si ces derniers requièrent une coordination
stratégique. C'est pourquoi la limitation des possibilités de communication est souvent une mesure punitive, réservée à des joueurs ayant fait preuve de comportements nuisibles aux
autres joueurs. Dans League of Legends, un joueur ayant été sanctionné sera privé de la possibilité d'utiliser la messagerie du jeu durant un certain nombre de parties. DotA 2 va encore
plus loin avec le principe des files de basse priorité : les joueurs ayant été sanctionnés se retrouvent placés, durant un certain temps, dans un système de jeu alternatif. Ils n'y
côtoient que des joueurs ayant, comme eux, fait preuve de débordements. Surnommé la « file prison », le système proposé dans DotA 2 illustre assez bien l'optique des développeurs de
jeux en ligne, basée sur des sanctions visant à la réforme du comportement des joueurs. Car la réforme des comportements semble être l'horizon absolu pour les éditeurs de jeux en ligne.
Il permet de s'assurer une communauté de joueur pérenne, en amoindrissant le risque de voir disparaître les joueurs abusifs comme les joueurs lésés. Le renouvellement constant du parc
des jeux en ligne voit cependant s'affiner de plus en plus les techniques d'incitation comportementales, avec l'arrivée de psychologues comportementalistes au sein des plus
grandes compagnies qui tentent d'articuler sanctions et récompenses pour encourager un environnement de jeu plus sain. L'ÉQUILIBRE SANCTION/RÉCOMPENSE ET LE PRIMING DANS LEAGUE OF
LEGENDS Le jeu en ligne League of Legends propose des parties opposant deux équipes de cinq joueurs. Doté d'un environnement fortement compétitif, le jeu est tristement célèbre pour les
débordements verbaux de sa communauté de joueurs. C'est pourquoi l'éditeur Riot Games a créé une division, la Player Behavior Team, chargée d'assainir l'environnement du
jeu. Les mesures de bannissement temporaire des joueurs et de restriction des canaux de communication, jugées insuffisantes, ont ainsi été complétées par des mécanismes d'incitation
positive. Dans League of Legends, la récompense se joint à la sanction. À la fin de chaque partie, il est possible de laisser un commentaire ou signalement sur les différents joueurs. Ce
signalement peut être négatif (comme dans la plupart des jeux en ligne), afin de dénoncer le comportement du joueur dans l'espoir d'une sanction délivrée par le développeur. Mais
il peut également être positif et louer l'esprit d'équipe ou la sympathie d'un joueur : les individus ayant accumulé suffisamment d'avis positifs peuvent ensuite arborer
une banderole sur leur profil de joueur, permettant de se distinguer – luxe ultime dans un jeu en ligne. Au début de l'année 2015, les joueurs n'ayant jamais reçu de signalement
négatif se sont même vu offrir du contenu supplémentaire en guise de récompense. > Le simple fait d'être exposé à certains messages peut influer sur > les comportements Au
principe de sanctions et de récompenses s'ajoutent des incitations comportementales basées sur le principe du priming (amorçage). Le priming consiste à influencer le comportement
d'individus à partir de stimuli définis. Le postulat est que le simple fait d'être exposé à certaines images ou messages peut influer sur les comportements. Le service
comportemental de League of Legends a ainsi mis en place un certain nombre de messages, affichés sur l'écran avant les parties et invitant les joueurs à un comportement fair-play et
respectueux. Ces incitations positives sont censées stimuler de façon positive les comportements des joueurs qui y ont été exposés. Avec, selon l'employé de Riot Games chargé du
service, un résultat montrant une baisse sensible des comportements antijeu. Les développeurs de Riot Games ont cependant bien compris que le meilleur espoir pour réformer les comportements
résidait dans l'autorégulation par la communauté : permettre au groupe social formé par la communauté des joueurs de juger lui-même les autres joueurs dans une logique de
responsabilisation. GROUPES ET RÉPUTATION : L'AUTORÉGULATION ET LES MÉCANIQUES SOCIALES CONTRE L'ANONYMAT [embedded content] L'omniprésence du harcèlement sexiste dans les
jeux en ligne (ici Modern Warfare 3) montre que l'anonymat peut également faire office de mécanisme protecteur Le système de tribunal dans League of Legends est un exemple de mécanisme
d'auto-régulation du comportement des joueurs. En se connectant sur une page spécifique, chaque utilisateur peut juger le cas de joueurs ayant fait l'objet d'un signalement
négatif. Il s'agit d'examiner l'historique de messagerie de la partie afin de lire ce qu'a pu écrire le joueur, et décider s’il doit ou non être sanctionné.
L'engagement de la communauté est ici à son paroxysme, le but étant toujours d'assainir les rapports entre joueurs. La régulation des comportements via l'engagement de la
communauté pourrait être une solution de choix pour mettre un frein aux comportements problématiques. Bien des jeux en ligne, notamment les MMORPG, utilisent de véritables équipes de
modération qui sont chargées d’infliger des sanctions aux joueurs ne respectant pas les règles. Ces équipes sont souvent bénévoles et recrutées parmi les joueurs (comme Ankama Games qui
utilise près de 100 bénévoles pour ses jeux – Dofus, Wakfu, etc –), parfois encadrées et complétées par des modérateurs professionnels. De manière plus générale, le groupe social constitué
par la communauté des joueurs peut représenter un antidote naturel à l'anonymat. C'est ainsi que certains jeux en ligne (comme EVE Online, du développeur islandais CCP Games) font
le choix de ne pas sanctionner la plupart des écarts de comportements des joueurs. Ainsi les insultes ou le griefing (à travers le vol d'objets virtuels à d'autres joueurs par
exemple) font partie de l'expérience du jeu et sont intégrés dans un univers sans concessions où chaque individu est responsabilisé. Avec comme contrepartie la présence d'un
système de réputation : si vous décidez de voler un autre joueur alors que vous aviez annoncé des intentions pacifiques, vous ne serez pas puni. En revanche, tout le monde saura que vous
êtes un voleur, et plus personne ne voudra marchander avec vous. Certains jeux en ligne reposent presque entièrement sur les comportements antisociaux. Les jeux de survie en ligne, tels DayZ
ou Rust, voient chaque joueur lutter pour sa survie (via la collecte de nourriture, d'eau, d'armes, la construction d'abris). Alors qu'il est possible de s'associer
avec d'autres individus pour augmenter collectivement ses chances de survie, nombre de joueurs font le choix de l'agression et du vol (rappelant le célèbre dilemme du prisonnier
appliqué aux jeux vidéo). Mais il ne s'agit jamais d'un choix gratuit, puisqu'un joueur connu en tant que voleur ou assassin risque fort d'être abattu a vue
lorsqu'il recroisera des membres de la communauté qu'il a lésés. Afin d'inciter à l'autorégulation de la communauté, il est ainsi important de mettre en place un système
de réputation, ou du moins de permettre d'identifier clairement les joueurs considérés comme incivils. Mais à cet égard, la mise en place (avortée) du Real ID par l'éditeur
Blizzard est peut-être allée trop loin dans la lutte contre l'anonymat. L'idée du développeur californien était d'obliger les joueurs à utiliser leur véritable nom et prénoms
afin de poster des messages sur les forums du jeu, avec l'espoir de responsabiliser les utilisateurs et d'assainir leurs relations. Et peut-être de prendre exemple sur les jeux
sociaux comme Farmville, qui grâce à l'utilisation d'identifiants Facebook, évitent les dérives du jeu en ligne anonyme. Le Real ID de Blizzard n'a cependant jamais vu le
jour, suite à une fronde massive des utilisateurs. Le projet de lier l'identité virtuelle des joueurs à leur identité réelle a rappelé aux développeurs que l'anonymat n'avait
pas que des défauts. Avec l'obligation pour les joueurs d'afficher leur véritable nom, la moindre dispute en ligne pourrait se transformer en chasse aux sorcières, avec
l'acquisition d'informations personnelles via les moteurs de recherche... -- Crédit photo : _Game Over_. Thomas Hawk / Flickr * 1Comme lorsque le footballeur Cristiano Ronaldo
s'enrage de voir Álvaro Arbeola marquer un but qu'il estimait lui revenir .