
Facebook s'aventure dans la cryptomonnaie avec libra
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© Crédits photo : Ahmed_Altamimi / Pixabay. CC BY-SA. Face aux attaques internes (leadership, gouvernance, etc.) et menaces externes (concurrence, technologie, etc.), l’emblématique patron
de Facebook a choisi de réagir de façon à la fois spectaculaire, technologique et massive. Marc Bidan Publié le 19 juin 2019 Mark Zuckerberg et ses 27 partenaires prestigieux — Uber, Visa,
Booking.com, eBay, Spotify, PayPal ou Iliad (Xavier Niel) — ont en effet commencé à communiquer depuis quelques semaines sur la naissance imminente de la fondation Suisse Libra Association
qui aura la charge de piloter et stabiliser la future cryptomonnaie (Libra). Cette fondation fermée, sa stratégie offensive et son moyen de paiement adossé à la _blockchain_ constitueront un
véritable écosystème d’affaires dont le tiers de confiance principal restera Facebook. UNE VOLTE-FACE SPECTACULAIRE Il s’agit bien là d’une volte-face spectaculaire, technologique et
massive de la part d’un groupe fragilisé, contesté, observé, malmené de l’intérieur par des actionnaires exigeants et dé-crédibilisé à l’extérieur par des scandales à répétition. Même si la
réaction était attendue, elle reste spectaculaire car il s’attaque à la très médiatique crypto-économie adossée à la technologie _blockchain _dans laquelle Facebook avait déjà investi et
recruté mais à propos de laquelle le patron ne s’exprime vraiment que depuis début 2018. Mark Zuckerberg n’avait d’ailleurs jamais montré de réelles appétences pour la _token economy _malgré
les nombreux appels du pied de son entourage, la réorganisation de son organigramme autour des arrivées de David Markus et Mike Schroepfer et ses nombreuses acquisitions de startups au
premier rang desquelles la britannique ChainSpace centrée sur les_ smart contracts_. L’idée est de développer un outil informatique sécurisé, transparent et distribué qui — sur le papier —
permet de se passer d’un tiers de confiance institutionnel comme une banque, un médecin ou un notaire et de garantir la réalité des transactions et/ou paiements. Ce revirement est donc
spectaculaire. C’est également un revirement technologique car il ne se satisfait pas d’un moyen de paiement usuel – PayPal, Visa et MasterCard figurent pourtant dans le tour de table du
consortium Libra Association – et choisit de s’adosser à la technologie disruptive de la chaîne de blocs. Il s’empare ainsi de ses innombrables applications potentielles bien au-delà du
bitcoin pour laquelle elle fut créée en 2009 comme la santé, la votation ou la propriété. Facebook importe aussi quelques questionnements lourds autour de la complexité des algorithmes de
consensus à déployer, de la force de frappe informatique nécessaire au minage/forgeage et de la dépendance à l’électricité pour sécuriser les blocs. > Les 27 membres du tour de table,
dont le ticket d’entrée est à > 10 millions de dollars, ne sont ni des inconnus ni des faire-valoir. Le revirement est enfin massif car Facebook ne part pas seul au combat. En effet, même
si le réseau reste le pivot et l’initiateur de cet écosystème d’affaires, les 27 membres du tour de table, dont le ticket d’entrée est à 10 millions de dollars, ne sont ni des inconnus ni
des faire-valoir. Visa, PayPal, Uber, Stripe, Spotify, Vodafone, Booking.com, MasterCard, Kiva, MercadoLibre, sans oublier le (seul) français Xavier Niel, patron d’Iliad (Free). Ce
revirement concerne donc environ 3,5 milliards d’utilisateurs potentiels au quotidien et des milliards de transactions en cascade (un utilisateur de Booking.com se verra proposer un
transport via Uber vers son hôtel) ce qui est considérable et en fait une réaction massive. POURQUOI CETTE PRISE DE RISQUE ? Outre les questions de leadership qui fragilisaient
l’emblématique patron, le modèle d’affaire de Facebook était vieillissant, car basé sur la simple collecte et revente de données personnelles d’un réseau social devenu trop généraliste et
sur la vente d’espaces publicitaires ciblés aux annonceurs. De plus, le réseau était confronté depuis quelques années à l’arrivée d’acteurs, certes moins riches et moins massifs, mais
beaucoup plus agressifs et innovant (Twitter, Pinterest, YouTube, LinkedIn, Twitch, WeChat,) dont certains furent même rachetés comme WhatsApp, Instagram ou Branch. Le risque de
ringardisation était évident. Le géant californien se devait de réagir et de reprendre la tête avec des propositions technologiquement disruptives. > Il s’agit surtout de ne pas aller
seul sur de tels marchés > terriblement glissants. Mais comment faire pour quitter sa zone de confort ? L’idée du réseau est donc d’en créer une autre bien plus vaste. Il s’agit de créer
son propre marché et de lancer une cryptomonnaie comme outil de paiement et étalon de valeur. Le nom initial était GlobalCoin mais visiblement ce sera Libra ! Cette cryptomonnaie sera
pilotée depuis la Suisse et indexée sur la valeur nominale du pool dollar/euro/livre sterling/yen afin de garantir une certaine stabilité. Face à la masse d’utilisateurs non avertis, l’idée
est surtout d’éviter les soubresauts des bitcoin, éthereum, ripple, litecoin et autres crypto-actifs et sa valeur faciale être proche de celle du Dollar. Ce cryptoprojet sera détaillé sous
peu pour un lancement opérationnel en 2020. Il est probable au regard des utilisateurs et usages ciblés, que cette cryptomonnaie soit présentée plutôt comme un moyen de paiement (stable) que
comme un actif spéculatif (fluctuant). Il s’agit surtout de ne pas aller seul sur de tels marchés terriblement glissants. En effet, d’une part car le réseau quitte la gratuité et la
monétisation des données – même si bien sûr il continuera à le faire au travers de données personnelles tout à fait sensibles (donc aisément monetisables) liées aux paiements – et d’autre
part car il embarque avec lui de lourds acteurs des secteurs des transactions marchandes comme l’hôtellerie et la restauration, le transport, la musique, les télécoms, l’e-paiement, etc. La
stratégie de Facebook est donc de devenir (encore) plus gros et incontournable pour être moins vulnérable (le fameux _too big to fail_) afin de créer, avec ses partenaires, un écosystème
d’affaires quasi fermé au regard des coûts de sortie élevés (pour les membres) et des coûts de réversibilités dissuasifs (pour les utilisateurs) ! Comme pour toutes les plates-formes,
l’expérience de navigation de l’utilisateur (qui n’est toujours pas un client) doit être la plus durable possible pour collecter le plus de données possibles. Donc, ce nouvel écosystème
Libra essaiera de rendre l’utilisateur peu à peu captif – en stockant ses données (Free), ses _paniers_ favoris, ses trajets (Uber), ses hôtels (Booking), ses cordonnées bancaires (Visa)
voire sa playlist (Spotify) – de façon à rendre soit inutile soit compliquée soit coûteuse sa sortie de l’écosystème pour un écosystème concurrent comme Google ou Apple ! Concrètement, le
Libra sera conservé et échangé via une application type porte-monnaie virtuel dénommée Calibra. Il pourrait aussi être échangeable via la plate forme CoinBase qui se trouve être membre du
consortium. Il pourrait aussi se déployer comme moyen de paiement de référence pour valider des achats de biens et services directement sur des applications comme Instagram, Booking, Uber,
Spotify ou même tout simplement sur la propre Marketplace de Facebook. Il pourrait aussi être utilisé comme dispositif de règlement des salaires des milliers d’employés ou de prestataires
des mastodontes du consortium. Dans ce cas il est possible d’imaginer un système d’incitation (prime ?) pour les salariés primo-adoptant afin de créer un effet boule de neige. Il pourrait
également servir comme outil de transferts d’argent via Calibra, Messenger ou WhatsApp (du groupe Facebook) avec des frais a minima comme le prévoyait clairement Mark Zuckerberg en avril
dernier : « Je pense que cela devrait être aussi simple d’envoyer de l’argent à quelqu’un que de lui envoyer une photo ». Dans tous les cas, même si la collecte et la revente de données
resteront au cœur du_ business model_ du réseau, le déploiement du Libra adossé à la technologie de la chaîne de blocs bouleverse son positionnement stratégique en le plaçant au cœur de ce
nouvel écosystème. QUELLE EST LA LOGIQUE DE CET ÉCOSYSTÈME D’AFFAIRES ? La logique qui a prévalu au sein du réseau des réseaux depuis sa création – ouvert, gratuit et anonyme – laisse la
place pour les futurs utilisateurs référencés, indexés et habilités du Libra à une logique tout à fait différente, voire disruptive. Celle d’un Internet fermé, payant et traçable, grosso
modo, celle d’un _closed net_. Néanmoins la force de frappe de Facebook n’est pas négligeable et si l’actuel leader des réseaux sociaux arrive a entraîner avec lui de tels acteurs, c’est que
les arguments sont sonnants et trébuchants et que les synergies _B2B_ et opportunités _B2C_ sont massives. > Le choix d’une cryto-monnaie basée sur la chaîne de blocs est > clairement
disrupti En effet, le groupe Facebook aurait pu se contenter de déployer sa propre monnaie — ou celle de partenaires comme Visa ou PayPal — au sein de sa _marketplace_ déjà en place au sein
du réseau ou via ses applications maison comme Instagram ou Messenger. Il serait ainsi devenu concurrent frontal de Amazon et Alibaba ce qu’il s’était toujours refusé de faire. Mais le
choix d’une crytomonnaie basée sur la chaîne de blocs est clairement disruptif et l’oblige à se positionner techniquement. Il lui impose en effet de développer un protocole de consensus
sécurisé mais moins énergivore que celui basé sur la_ __Proof of Work _du Bitcoin, souple mais plus contrôlable que celui calé sur la _Proof of Stake_ d'Ethereum et enfin, robuste mais
très couplé comme celui basé sur la _Proof of Activity_. Là encore, pour ses protocoles et algorithmes de consensus, Facebook doit innover et redevenir l’inventeur qu’il fut en 2004 ! De
plus, la création d’une fondation avec un écosystème à la fois d’affaire et d’innovation est également une ambitieuse dynamique. Cette fondation d’une petite trentaine de membres aura la
responsabilité _d’inspirer confiance_, elle sera de facto le régulateur et le _tiers de confiance_ du Libra qui ne reposera donc pas exclusivement sur la transparence de la _blockchain_. Ces
deux dimensions transportent Facebook bien au-delà du collecteur et revendeur de données personnelles et du vendeur d’espace publicitaire car elles le replacent au centre du jeu mondial
face aux géants de l’Internet marchand que sont en occident Amazon et en Chine Alibaba et même — via sa monnaie — face aux États. VERS LA FIN D’UN CERTAIN INTERNET ? D’ailleurs, ces deux
plates-formes du e-commerce et de l'économie du Net (AWS est numéro un du cloud !) qui ne proposent pas _leur_ moyen de paiement devront à leur tour réagir. Tout comme Google,
Microsoft, Huawei et autres IBM. Et vite… Dans tous les cas, les mondes virtuels et réels se transforment, les contenus et les contenants interagissent. Ce nouvel écosystème fermé, traçable
et payant signe bien le début de la fin d’un Internet qui était encore (un petit peu) ouvert, anonyme et gratuit. À l’image d’une monnaie privée (Libra) dont l’usage alternatif va contribuer
à fragiliser certaines devises adossées à des économies instables, les géants du Web jouent désormais dans les jardins des États. ----- Cet article est republié à partir de The Conversation
sous licence Creative Commons. Lire l’article original.