Israël-hamas : un an après l’attaque du 7 octobre, que retenir de la médiatisation du conflit ?

Israël-hamas : un an après l’attaque du 7 octobre, que retenir de la médiatisation du conflit ?


Play all audios:


Un an après le 7 octobre 2023, nous avons étudié les quatre chaînes françaises d’information en continu (BFM TV, LCI, France Info et CNews) pour déceler les tendances de la médiatisation du


conflit.  © Crédits photo : captures d'écran INFOGRAPHIES. Ce 7 octobre 2024, cela fait un an que la résurgence du conflit israélo-palestinien s’est invitée dans la couverture de


l’actualité internationale. Alors que les tensions au Proche-Orient s’intensifient avec l’escalade entre Israël et le Hezbollah libanais, _La Revue des médias_ vous dévoile des chiffres


inédits sur la médiatisation de ce conflit majeur. Camille Pettineo Publié le 07 octobre 2024 Le conflit israélo-palestinien est-il un conflit comme un autre, médiatiquement parlant ? A-t-il


définitivement supplanté la guerre en Ukraine ? L’un ou l’autre des deux conflits est-il plus couvert sur une chaîne plutôt qu’une autre ? Pour répondre à ces questions, nous avons étudié


les quatre chaînes françaises d’information en continu (LCI, BFM TV, France Info et CNews) entre le 27 septembre 2023 (dix jours avant l’attaque du Hamas en Israël du 7 octobre) et le 30


septembre 2024. Révélations sur les ressorts médiatiques du conflit. LA MOITIÉ DE LA MÉDIATISATION CONCENTRÉE SUR LES DEUX PREMIERS MOIS Entre octobre 2023 et septembre 2024, le conflit


Israël-Hamas est mentionné en moyenne 52 609 fois par mois sur les chaînes info. Premier constat : près de 50 % de la médiatisation est concentrée sur les deux mois suivant l’attaque du


Hamas sur Israël le 7 octobre 2023. Les six premiers mois du conflit sont, eux, deux fois plus couverts (70 482 mentions mensuelles en moyenne) que les six mois suivants (34 736 mentions


mensuelles d’avril à septembre 2024). Un contraste qui n’étonne pas Arnaud Mercier, chercheur au Centre d’analyse et de recherche interdisciplinaire sur les médias (Carism), pour qui nous


sommes face au « _développement normal de la médiatisation d’un conflit avec d’abord un moment de sidération, l’attaque du 7-Octobre, puis dans les semaines et mois suivants la recherche de


compréhension des enjeux, puis la lassitude qui gagne._ » Philippe Corbé, directeur de la rédaction de BFM TV, se souvient : « _Le matin du 7 octobre [2023], on ne mesure pas tout de suite


l’ampleur du moment. _» Il raconte : « _On essaye de joindre des gens à Tel-Aviv pour vérifier les informations, on est pris par la gestion de l’antenne et toutes les questions que cela


suppose en termes de diffusion d’images que nos équipes n’ont pas tourné elles-mêmes, et on tente d’envoyer 18 personnes sur place en renfort des correspondants sollicités. _» Résultat : dès


le lundi 9 octobre au soir, les équipes tournent un premier sujet long sur place et se répartissent la couverture des kibboutz, de Tel-Aviv et de Jérusalem pour assurer les éditions


spéciales tous les soirs. Puis au fil des jours et des semaines, « _on a réduit progressivement le nombre de journalistes que l’on a sur place _», explique Philippe Corbé. Début septembre


2024, avant les bombardements israéliens au Liban, BFM TV n’avait plus d’équipe en permanence sur place et optait, en cas de besoin, pour l’envoi de journalistes à Tel-Aviv (quatre heures


d’avion) en renfort de son correspondant et des images d’agences. Antoine Mercier rappelle également l’actualité nationale très dense depuis juin dernier avec : la dissolution de l’Assemblée


nationale (9 juin 2024), les élections législatives anticipées (30 juin et 7 juillet 2024) et les Jeux olympiques et paralympiques de Paris (du 26 juillet au 11 août 2024). Cependant, le


chercheur note que la couverture du conflit israélo-palestinien diffère d’autres terrains de guerre, « _avec une médiatisation due à l’importation d’un certain nombre de problématiques_ ».


Il relève, par exemple, que « _CNews angle sa couverture sur la thématique de l’importation du conflit en France, sur les polémiques politiciennes…_ » Selon nos chiffres, entre octobre 2023


et septembre 2024, l’antenne de CNews compte pour 22 % de la couverture du conflit israélo-palestinien. Un score qui place la chaîne juste devant BFM TV (18 %), dont Philippe Corbé nous


détaille toute la difficulté pour les journalistes de couvrir pleinement ce conflit : « _pendant très longtemps on n’a pas pu envoyer de journalistes dans la bande de Gaza et quand on a pu


le faire, on a dû faire face à la concurrence d’autres médias comme CNN dans l’ordre de priorité de l’armée israélienne. Elle a fini par nous donner accès au terrain, mais uniquement dans le


cadre d’une visite organisée. _» Pour contourner ce verrou, BFM TV a trouvé des journalistes pigistes à Gaza qui pouvaient filmer et envoyer des images malgré les conditions de travail


difficiles. BFM TV a ainsi pu diffuser le 4 octobre 2024 un long format de 36 minutes « _7 octobre : la riposte à tout prix_ » réalisé grâce à la collaboration de ces journalistes qui ont


filmé au plus près un an de vie de plusieurs Gazaouis. Un témoignage qui corrobore l’analyse d’Arnaud Mercier, pour qui « _la seule présence de reportages diffusés sur les populations


civiles qui subissent les bombardements au Liban prouve que, si les journalistes avaient eu la possibilité d’entrer à Gaza et de faire leur métier, ils l’auraient fait comme ils le font au


Liban actuellement _». Mais l’intensité de la couverture du conflit par CNews et BFM TV reste loin derrière celle de France Info et de LCI (60 % à elles deux), cette dernière confirmant son


positionnement sur l’actualité internationale (et déjà évoqué ici et là). Autre singularité de la chaîne : elle a couvert deux fois plus le conflit russo-ukrainien que la guerre Israël-Hamas


au cours des douze derniers mois. L’international est « _une expertise que LCI a cultivée pour augmenter son audience là où France Info, chaîne de service public, doit tenir à ce titre un


cahier des charges moral, même si ça devait faire un peu baisser leur audience_ », décrypte Arnaud Mercier. La chaîne publique bénéficie également du réseau de médias publics comme France


24, dont elle diffuse des images. UN CONFLIT AUTANT MÉDIATISÉ QUE LA GUERRE EN UKRAINE Alors que, dans le mois suivant l’attaque surprise du Hamas contre Israël, la médiatisation de la


guerre entre la Russie et l’Ukraine avait été divisée par trois, les deux conflits ont ensuite fait l’objet, depuis un an, d’une couverture médiatique comparable dans son intensité. Entre le


7 octobre 2023 et le 30 septembre 2024, le conflit israélo-palestinien est mentionné 1 752 fois par jour (en moyenne) sur les chaînes d’information en continu, quand la guerre en Ukraine


l’est 1 531 fois. Couvrir deux conflits internationaux quasi simultanément n’est pas anodin pour une rédaction, témoigne Philippe Corbé : « _Depuis le 24 février 2022, nous avions en


permanence un journaliste en Ukraine, si bien que nous avions même envisagé d’ouvrir un bureau permanent là-bas. _» _[Avec Le 7-Octobre]_ _on a dû repousser cette hypothèse d’ouverture de


bureau et on n’a pas pu avoir en permanence des équipes en Ukraine. _» Dernier fait marquant : depuis les bombardements israéliens du 23 septembre 2024 au Liban, le conflit


israélo-palestinien est sept fois plus couvert que la guerre en Ukraine. MÉTHODOLOGIE Avec l’aide de Nicolas Hervé, à la tête du service recherche de l’INA, nous avons étudié les antennes


des chaînes d’information en continu BFM TV, LCI, France Info et CNews. Pour le conflit israélo-palestinien, nous avons étudié les journées un peu en amont de l’attaque du Hamas, du 27


septembre 2023 jusqu’au 30 septembre 2024. Pour la comparaison avec la guerre en Ukraine, nous avons regardé la période allant du 14 février 2022 jusqu’au 30 septembre 2024. Les résultats


sont obtenus grâce à un outil d’intelligence artificielle (IA) spécialisé dans la transcription et développé par le Laboratoire d’informatique de l’université du Mans (1). Cet outil


transforme la parole d’un locuteur d’un document audiovisuel en texte. Pour déterminer le nombre de mentions de chaque évènement, nous avons défini chacun d’eux par un ensemble équilibré de


termes géographiques spécifiques déterminés manuellement. Pour le conflit Israël-Hamas, nous avons utilisé 12 termes dont : « Israël », « israélien », « kibboutz », « Palestine », « Gaza »…


Pour la guerre en Ukraine nous avons utilisé 13 termes tel que : « Ukraine », « ukrainien », « Kiev », « Donetsk », « Kremlin »… Puis, pour chaque conflit, nous avons cherché à obtenir le


nombre d’occurrences de ces mots prononcés à l’antenne et détectés par l’IA. Les chiffres présentés ici sont donc à prendre comme des indicateurs de tendance. (1) LIUM ASR systems for the


2016 Multi-Genre Broadcast Arabic challenge, Natalia Tomashenko, Kévin Vythelingum, Anthony Rousseau, Yannick Estève, 2016 IEEE Spoken Language Technology Workshop (SLT)