
« fanpage » : le pure player napolitain qui défie giorgia meloni
Play all audios:

« Fanpage », qui s'est fait connaître pour ses enquêtes, est le quatrième site d’information généraliste le plus important d’Italie. © Crédits photo : captures d'écran Fanpage /
montage La Revue des médias À l’origine d’une enquête qui a révélé les sympathies néofascistes des jeunes militants du parti de la Première ministre, « Fanpage » est aujourd’hui considéré un
important journal d’opposition en Italie. Un destin imprévisible pour ce média en ligne qui a construit sa fortune sur Facebook. Beniamino Morante Publié le 24 janvier 2025 _« Dans toute
l’histoire de la République italienne, personne n’avait jamais fait ce que _Fanpage_ a fait avec notre parti. On ne s’était jamais infiltré dans une organisation politique pour filmer
secrètement ses réunions. C’est une nouvelle frontière qui a été franchie dans la lutte politique. À une autre époque, ces méthodes étaient utilisées par les régimes dictatoriaux. »_ Le 28
juin 2024, en marge d’un Conseil européen et après des semaines de silence, Giorgia Meloni prend enfin la parole pour commenter le sujet brûlant du moment en Italie. Deux semaines plus tôt,
le média napolitain _Fanpage_ a publié une enquête sur Gioventù nazionale, le mouvement de jeunesse de Fratelli d’Italia, le parti de la Première ministre. Douze longues minutes d’images
prises en caméra cachée qui montrent des militants et des dirigeants de premier plan de Gioventù Nazionale entonner des chants où l’on se définit comme des _« légionnaires de Mussolini »_,
ou assister à des concerts de groupes identitaires en faisant des saluts fascistes. Acculée, Giorgia Meloni n’a d’autres choix que de condamner ces comportements. Mais tout en affirmant
vouloir se débarrasser des nostalgiques, la leader d’extrême droite dénonce la méthode utilisée par _Fanpage_. CAMÉRAS DISSIMULÉES Cas presque unique en Italie, _Fanpage_ n’hésite pas à
recourir à des journalistes sous couverture pour ses enquêtes. Armés de caméras cachées habilement dissimulées, ils infiltrent pendant des mois (voire des années) les organisations et les
réseaux dont ils souhaitent révéler les pratiques. Une véritable marque de fabrique. Au sein de la rédaction de _Fanpage_, les enquêtes sont l’apanage d’une petite cellule composée de
trois-quatre journalistes qui consacrent l’entièreté de leur temps à ce travail d’investigation. Celle-ci répond au nom de _« Backstair »_. _« C’est une expression qui veut dire “bruits de
couloirs”, mais littéralement ça signifie “escalier de service”,_ explique Luigi Scarano, 33 ans, qui dirige cette équipe. _C’est ce qu’on fait ici, on entre depuis l’escalier de service et
on raconte ce qu’on a vu. »_ Backstair existe depuis 2019, mais l’appétence de la rédaction pour les enquêtes infiltrées est antérieure. Avant de s’en prendre aux grands acteurs de la
politique nationale, le média avait déjà dénoncé plusieurs malversations sur le territoire napolitain, notamment en 2018, lorsque l’enquête « Bloody money » avait dévoilé un système criminel
de gestion des déchets impliquant plusieurs responsables politiques locaux. PRÈS DE TROIS ANS D’INFILTRATION Ce travail journalistique, réalisé grâce à la complicité d’un ancien chef de la
Camorra (la mafia napolitaine) infiltré pour le compte de _Fanpage_, va offrir une crédibilité nouvelle au média, qui va alors creuser ce filon. Quelques années plus tard, le site
d’information frappe un nouveau grand coup. En octobre 2021, à la suite d’une infiltration de presque trois ans, le média napolitain publie « Lobby noir », une enquête vidéo qui dévoile
l’existence d’un réseau néofasciste milanais connecté notamment à un député européen de Fratelli d’Italia, Carlo Fidanza. Celle-ci déclenche une enquête judiciaire pour financement illégal
du parti et blanchiment d’argent (finalement classée sans suite) contre Carlo Fidanza. > « Lorsqu’il y avait d’autres forces au gouvernement, on > agissait de la même manière » À
l’époque déjà, Giorgia Meloni avait réagi en dénonçant un complot : « _Peut-on parler de journalisme lorsqu’on ne travaille pas pour documenter des comportements illicites, mais pour les
provoquer ? », _s’insurgeait alors celle qui n’était pas encore Première ministre. Sur la défensive, la leader de Fratelli d’Italia a toujours laissé entendre que _Fanpage_ serait un média «
ennemi » de son parti et orienté à gauche. Une définition restrictive, dans laquelle le codirecteur du site d’information, Adriano Biondi, ne veut pas se laisser enfermer. _« C’est évident
qu’un journal doit se concentrer sur ceux qui détiennent le pouvoir, mais lorsqu’il y avait d’autres forces au gouvernement, on agissait de la même manière », _revendique l’homme qui
rappelle les enquêtes passées qui ont visé le Parti démocrate, situé à gauche sur l’échiquier politique. SANS « LANGAGE INCOMPRÉHENSIBLE » Dans un contexte où l’extrême droite exerce le
pouvoir, le journal affiche des valeurs qui le situent clairement à l’opposition. Mais pour _Fanpage_, refuser une étiquette politique est aussi un moyen de revendiquer sa différence par
rapport à une bonne partie des titres historiques de la presse transalpine, vus comme des_ « journaux d’opinion », _soucieux d’orienter la pensée des lecteurs et le débat public vers des
thèmes bien précis._ « Nous, nous faisons un autre métier, nous sommes un journal populaire qui fournit un service généraliste »_, souligne le directeur, Francesco Cancellato._ « Un média
qui veut parler à un public très vaste, _insiste Luigi Scarano, _sans utiliser un langage incompréhensible comme d’autres journaux. »_ Pour comprendre cette identité populaire, ce refus de
s’inscrire dans une élite intellectuelle, il faut remonter aux origines de ce média. En 2010, _Fanpage_ n’est encore qu’une idée, celle d’un entrepreneur napolitain, Gianluca Cozzolino
(propriétaire du groupe éditorial Ciaopeople), qui décide de lancer une série de pages d’information thématiques sur Facebook. Dans le jargon, on appelle ça des _« Fanpage »_. _« Il avait
compris la potentialité de Facebook comme hub de diffusion de l’info »,_ retrace Adriano Biondi. _Nous avons alors commencé à développer toute une série de Fanpage : auto-fanpage,
musique-fanpage, football-fanpage etc. » _Biondi évoque là un _« stade embryonnaire »_ du média, qui prend fin avec la naissance officielle du journal en ligne _Fanpage.it_, enregistré
auprès du tribunal de Naples le 26 juillet 2011. 70 JOURNALISTES Dans les années qui suivent, le site d’information commence à construire son identité. À l’opposé des médias traditionnels,
_Fanpage_ veut s’inspirer des principes du « journalisme citoyen », très en vogue à l’époque. _« L’idée, c’était de recourir aux contenus des usagers, mais toujours en vérifiant, en
apportant une médiation, un approfondissement »,_ retrace une bonne décennie plus tard Adriano Biondi, qui se souvient de cette époque comme celle où _Fanpage_ va former sa propre base de «
vidéo reporters ». Le recours à la vidéo, l’habileté dans l’exploitation des réseaux sociaux et cette volonté de rester un média populaire,_ « au service du lecteur, qui ne fait pas de
distinctions entre arguments nobles et moins nobles », _ont été les clés du succès de _Fanpage_, selon Biondi. Au même titre que ses enquêtes qui lui ont donné un surplus de crédibilité.
Aujourd’hui, _Fanpage_ se présente comme un site d’information généraliste classique, le quatrième plus important d’Italie, avec en moyenne 1,6 million de visiteurs uniques par jour
comptabilisés à l’été 2024. Né sur Facebook, il y compte 8,5 millions d’abonnés (3,17 millions sur YouTube, 2,3 millions sur Instagram). Son modèle économique repose sur la publicité et le «
brand content ». Efficace, cette recette permet à Fanpage d’avoir un bilan comptable positif et de salarier une équipe de 70 journalistes répartis sur trois sites : Naples, Rome et Milan.
De quoi satisfaire Francesco Cancellato : _« On fait partie de cette classe de petits journaux digitaux européens qui n’ont pas une histoire centenaire, mais qui ont obtenu une centralité,
grâce à leur courage, à leur indépendance, à leurs enquêtes. Et qui savent parler aux nouvelles générations grâce à leur capacité d’innovation. »_ Federica Angeli, journaliste au quotidien
italien _La Repubblica_, enquête sur les trafics des familles criminelles d’Ostie, près de Rome. Pour sa protection et celle de sa famille, elle doit vivre sous escorte. Rencontre.