
Le jeu vidéo, secteur en pointe dans le big data
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_Publicité ciblée, recommandation algorithmique, nous avons conscience de la manière dont les grands acteurs du web comme Google, Facebook ou Amazon utilisent leurs données. Pourtant, un
autre secteur a pleinement intégré le Big Data dans son modèle économique : le jeu vidéo. Aujourd'hui, les jeux en ligne sont en mesure d'enregistrer la moindre action réalisée par
un joueur, collectionnant ainsi des milliards de données sur des millions de joueurs. Pour gérer une telle masse d'informations, des métiers spécialisés dans l'analyse de données
sont apparus dans les studios de développement. À la croisée des mathématiques et de l'informatique, Thibault Coupart, Johan-André Jeanville et Yves Robin occupent le poste de chargé
d'études statistiques (ou data analyst) respectivementchez DR Studios, Ankama et Ubisoft._ _POUVEZ-VOUS RACONTER VOTRE QUOTIDIEN EN TANT QUE CHARGÉ D’ÉTUDES STATISTIQUES DANS LE MILIEU
DU JEU VIDÉO ? _ THIBAULT COUPART : Le métier de _game analyst_ consiste à analyser les données générées par les utilisateurs lorsqu’ils jouent à un jeu. La technologie permet aujourd’hui de
détecter absolument toutes les actions réalisées par l’ensemble des joueurs durant leur temps de jeu, ce qui signifie que l’information disponible est gigantesque. En tant que _game
analys_t1, je suis en charge de synthétiser cette masse de données, grâce à des procédés statistiques, pour qu’elle soit exploitable. YVES ROBIN : On ne travaille pas de la même manière si
l’on se base sur des données purement objectives comme le nombre d’échecs dans un niveau de jeu, ou sur des données très subjectives comme l’appréciation du jeu par les joueurs. Dans un cas,
on essaye plutôt de collecter des données à l’intérieur du jeu, c’est-à-dire que les consoles chez les joueurs ou les tests consommateurs vont nous renvoyer des données objectives ; dans
l’autre, on utilise des questionnaires, interviews, observations directes : c’est un _feedback_ plus subjectif. JOHAN-ANDRÉ JEANVILLE : Je définis quotidiennement quelles sont les données
utiles avec les équipes de développement : je discute avec eux pour comprendre quelles sont leurs problématiques, les actualités du jeu, les prochaines mises à jour... > C’est joli les
données, mais si l’on ne fait rien avec ce > n’est pas très utile Une fois que nous avons défini ensemble les données susceptibles de répondre à leurs questions, j’exécute les requêtes
correspondantes dans les bases de données et je traite ces résultats avec divers logiciels, comme Excel ou un outil de visualisation. Ensuite, je retourne vers eux et je leur dis : « Voilà
ce que j’ai observé, voilà mon avis sur la question que tu te posais, voici les données, toi, qu’est-ce que tu en penses ? Qu’est-ce qu’il faudrait approfondir ? ». J’essaye de faire des
recommandations et de les inciter à l’action : c’est joli les données, mais si l’on ne fait rien avec ce n’est pas très utile… _CE MÉTIER EST-IL PRÉSENT DANS TOUS LES STUDIOS DE JEU VIDÉO ?_
THIBAULT COUPART : À l’heure actuelle, n’importe quel studio de jeu _free-to-play _- et il y en a de plus en plus, car c’est là où se trouve la croissance - possède au moins un _data
analyst_ ou cherche à en recruter un. La demande est extrêmement forte sur cette profession actuellement : si le jeu vidéo en cherche activement, c’est aussi vrai pour toutes les branches
IT2 et pour toutes les entreprises qui cherchent à se digitaliser. YVES ROBIN : C'est beaucoup plus développé, plus assumé, sur mobile. Je pense qu'on peut dire sans problème que
tous les studios qui développent des jeux mobiles ont dans leurs structures du personnel dédié à l'analyse de données ; ce qui n'est pas forcément le cas sur les jeux console : ça
va dépendre en grande partie de la taille de la structure. > Analyser des données revient cher : ce n'est pas quelque chose qui > rapporte directement de l'argent à
l'éditeur Analyser des données revient cher : ce n'est pas quelque chose qui rapporte rapidement et directement de l'argent à l'éditeur, c'est surtout un coût, le
bénéfice n'est pas toujours visible. Il faut donc qu’un studio atteigne une certaine taille critique pour pouvoir commencer à rencontrer des problèmes de qualité qui sont complexes.
JOHAN-ANDRÉ JEANVILLE : Il n'y a pas forcément de lien entre la taille du studio et le fait qu'un analyste soit présent. En fait, ça dépend plus de la culture de la société, si on
est dans une société qui a plutôt une culture très créative, orientée production, ou si on est dans une société qui a plus une culture marketing, orientée édition. Par exemple, chez Ankama,
qui a plutôt une culture créative, orientée vers la production, nous sommes deux pour travailler sur l'ensemble des données du studio. _QUELLE EST L’INFLUENCE DES BIG DATA__ SUR LA
CONCEPTION ET LA DISTRIBUTION D’UN JEU VIDÉO ? _ THIBAULT COUPART : À l’exception du graphiste, tous les corps de métier travaillent aujourd’hui main dans la main avec les données, de
manière directe ou indirecte. La donnée représente une source d’information vitale pour la prise de décision. JOHAN-ANDRÉ JEANVILLE : Ceux avec qui on travaille le plus ce sont les _game
designer_3, 4. Typiquement sur _Tactiles War_s, on avait une idée de règle de design pour _matchmaking_, c’est-à-dire pour choisir les joueurs qui vont se combattre. En regardant, on a pu
dire : « Cette règle-là c’est une bonne idée, mais à partir de tel niveau elle ne fonctionne plus…» Lors de la phase de tutoriel au début du jeu, on peut savoir qu’un point précis du
tutoriel est trop difficile pour les joueurs et essayer de résoudre ce problème ou s'apercevoir qu’un objet est vendu trop cher et revoir le prix. YVES ROBIN : Notre objectif c’est de
rationaliser les débats. La conception d’un jeu vidéo se rapproche, même si ce n’est pas exactement la même chose, du processus créatif d’un film ou d’une BD : les avis émis restent avant
tout subjectifs. Au niveau de la distribution, ce qui est intéressant, c’est de voir comment nos jeux sont consommés de manière différente selon les pays. Par exemple, nous avons identifié
cinq manières différentes de jouer à un jeu et leurs proportions n’étaient pas du tout les mêmes aux États-Unis et en France. On peut également personnaliser la manière dont on va s’adresser
à chacun des joueurs en fonction de ce qu’il apprécie le plus. Par exemple, je suis beaucoup plus intéressé par l’affrontement entre joueurs que par l’histoire, je passe mon temps à appuyer
sur le bouton “A” pour passer les dialogues. Ça, on est en mesure de le comprendre. _L’INDUSTRIE DU JEU VIDÉO SE DIRIGE-T-ELLE VERS DES PARCOURS UTILISATEURS PERSONNALISÉS ?_ THIBAULT
COUPART : Je pense que c’est un peu tôt, on en entend parler ici et là, mais ça relève surtout du fantasme de gens inexpérimentés avec l’usage des données. La simple exploitation de
milliards d’actions générées par des millions de joueurs représente déjà en soit une performance technologique que beaucoup d'entreprises n’ont pas fini d’apprendre. > Les parcours
utilisateurs personnalisés relèvent surtout du > fantasme de gens inexpérimentés avec l’usage des données Donc pour ce qui est d’adapter le jeu au niveau de l’individu (ce qui serait une
performance technologique encore plus impressionnante), il faudra attendre encore quelques années avant d’avoir des exemples réussis. JOHAN-ANDRÉ JEANVILLE : Dans le cas d’un jeu basé sur
l’affrontement entre joueurs, comme _Clash of Clans _ou _Dungeon Keeper, _il y a ce qu’on appelle du _matchmaking,_ c’est-à-dire qu’on doit mettre en face du joueur un autre joueur assez
fort pour l’objectif déterminé par le jeu. Là, d’une certaine façon, on est un peu dans l’usage de la donnée pour dessiner le parcours du joueur, puisque plus on progresse, plus les joueurs
rencontrés sont difficiles à battre. Je sais que c’était le cas sur _Dungeon Keeper_ : quand on gagne beaucoup de combats à la suite, on va tomber contre un joueur qui est vraiment très
difficile à battre. YVES ROBIN : Il faut prendre des précautions. Je pense à un jeu qui s’appelait _Prey_, c’était les premiers essais de la difficulté adaptative, c’est-à-dire que si le
joueur n’était pas bon, les adversaires étaient plus faciles à tuer. Le problème, c’est que les joueurs s’en sont rendu compte et qu’ils se sont amusés à jouer avec le système pour tourner
en dérision le jeu. Donc à partir du moment où on a trouvé une faille, un _game breaker_, l’expérience qu’on veut donner au joueur est totalement déformée. C’est comme jouer avec un code de
triche. _SELON VOUS, EST-CE QUE LA CONCEPTION D’UN JEU VIDÉO N’EST-ELLE PAS DEVENUE TROP DÉPENDANTE DES DONNÉES AU DÉTRIMENT DE LA CRÉATIVITÉ ?_ JOHAN-ANDRÉ JEANVILLE : Ah non pas du tout !
C’est une crainte qui revient souvent, que je comprends, mais qui n’a pas vraiment lieu d’être. On n’est pas là pour dire aux _game designers _ce qu’ils doivent faire, ni pour entraver leur
créativité. On travaille vraiment en binôme avec eux pour leur offrir une source d’information supplémentaire et un éclairage sur leur travail. Ils restent décisionnaires. THIBAULT COUPART :
C’est une excellente question et la réponse est : ça dépend. Dans la mesure où nous sommes tous en phase d’apprentissage sur l’exploitation des données, il n’y a absolument aucune recette
miracle. Ce qui est sûr, c’est que l’une n’écrasera jamais complètement l’autre, car si l’analyse des données est de plus en plus présente, elle ne peut pas pour autant créer un jeu vidéo :
la créativité, l’imagination, doivent être présents à un moment ou un autre. Si les studios ont raison à l’heure actuelle de rationaliser leur design avec les _analytics_, il ne faut pas
tomber dans l’extrême. Par exemple, le studio à succès Zynga (_Farmville_), pionnière dans les _analytics_, a du mal à se renouveler et à trouver une énergie créatrice sur ses produits. YVES
ROBIN : C’est un débat qui revient souvent. À Ubisoft, ce qu’on a décidé cette année, c’est de rentrer dans une démarche très pédagogique vis-à-vis de l’utilisation des données,
c’est-à-dire qu’on s’est rendu compte que c’était un outil qui pouvait être utile, mais qui ne devrait pas être utilisé « n’importe comment ». Il y a plein de manières de mal l’utiliser,
comme n’importe quel outil finalement. * 1Un des termes utilisés pour désigner la fonction de chargé d’études pour les jeux vidéo. * 2Technologies de l’information. * 3Profession qui conçoit
les mécaniques de jeu. * 4rofession qui conçoit les mécaniques de jeu.