Le premier Joseph Nye | la revue des médias

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© Crédits photo : DR. Joseph Nye, ancien secrétaire adjoint à la Défense sous l'administration Clinton et théoricien du soft power, est aussi connu pour avoir travaillé dans les années


1970  sur les relations transnationales et d'interdépendance. Nicolas Leron Publié le 04 mars 2019 Joseph Nye, professeur américain de relations internationales, est connu pour avoir


été le secrétaire adjoint à la Défense sous l'administration Clinton et le théoricien du _soft power_. Parmi les spécialistes des relations internationales, il est peut-être davantage


connu pour avoir développé dans les années 1970 avec Robert Keohane le courant théorique néolibéral (à ne pas confondre avec le néolibéralisme en économie), en réaction au néoréalisme


dominant de Kenneth Waltz et de son _Theory of International Politics_ publié en 1979. Deux ouvrages majeurs, publiés avec Robert Keohane, marquent la pensée du premier Joseph Nye qui se


caractérise par une critique du stato-centrisme des relations internationales et par une focale sur les phénomènes d'interdépendance : _Transnational Relations and World Politics_ de


1972 (Cambridge : Harvard University Press) et _Power and Interdependence: World Politics in Transition_ de 1977 (Boston : Little & Brown). ROMPRE AVEC LE STATO-CENTRISME _Transnational


Relations and World Politics_ est une entreprise de décentrement des relations internationales par rapport à la figure de l'État et à l'étude du système international sous


l'angle des relations inter-étatiques. La vue classique stato-centrée de la politique internationale laissait la recherche en relations internationales insuffisamment attentive aux


phénomènes transnationaux grandissants depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Les relations transnationales y sont définies comme le mouvement d'entités tangibles ou intangibles


à travers les frontières nationales lorsqu'au moins un des acteurs n'est pas un agent d'un gouvernement ou d'une organisation intergouvernementale 1. L'objectif de


l'ouvrage est de corriger le biais inter-étatique en analysant les acteurs et les forces transnationales opérants en dehors de la sphère étatique ou dans le cadre d'une interaction


complexe avec l'État. Du paradigme stato-centré, il faut passer au « paradigme de la politique mondiale ». Joseph Nye et Robert Keohane structurent l'ouvrage autour de cinq


grandes questions : * L'effet des relations transnationales sur les capacités des gouvernements à s'occuper de leur environnement et la mesure de leur perte de contrôle ; * Les


implications des relations transnationales dans l'étude de la politique internationale : la mise en question de l'adéquation de l'approche stato-centrée focalisée sur le


système inter-étatique avec la réalité contemporaine ; * L'effet des relations transnationales sur l'allocation des valeurs et les asymétries entre États : la question des


bénéficiaires des relations transnationales, et des perdants ; * Les implications pour la politique étrangère des États-Unis : les dangers et les opportunités offerts par les relations


transnationales ; * Le challenge potentiel des organisations internationales classiques et l'éventuel besoin de leur adaptation aux relations transnationales. _Transnational Relations


and World Politics _se compose de quatre grandes parties : I. La nature des relations transnationales ; II. Les organisations transnationales ; III. Des études de cas par secteur ; IV. La


question de la paix et de la justice. S'agissant d'un ouvrage collectif, Joseph Nye et Robert Kehoanne ont regroupé un aréopage impression d'universitaires, avec toutefois


l'absence notable de juristes en droit international dont certains ont pourtant contribué à la conceptualisation d'un droit transnational et d'un idéal-type


d'organisations transnationales. L'ouvrage se concentre principalement sur les processus économiques transnationaux, mettant en scène en premier lieu les firmes multinationales,


bien que certaines contributions s'intéressent aussi à des acteurs non économiques comme l'Église catholique romaine ou la Fondation Ford. Une des difficultés majeures réside dans


la compréhension des interactions complexes entre le privé et le public. L'étude du syndicalisme international montre par exemple une complexité qui dépasse la simple dichotomie


nationalisme/internationalisme. D'un coté, les mouvements ouvriers luttent contre les délocalisations d'entreprises vers les pays moins développés avec un coût du travail bien


moindre. D'un autre coté, les unions syndicales internationales ont intérêt à ces transferts de production, du fait qu'ils permettent le rattrapage économique des pays pauvres sur


les pays développés, y compris au niveau des conditions salariales. Toutefois, en dépit des jeux complexes découlant des relations transnationales, les études de l'ouvrage constatent la


prévalence des liens nationaux sur les liens transnationaux en cas de conflits directs. PENSER L'INTERDÉPENDANCE COMPLEXE DU MONDE _Power and Interdependence_, dans la lignée des


réflexions de Joseph Nye sur les relations transnationales, questionne la compréhension classique des acteurs non-étatiques, le rôle des techniques étatiques non militaires, et le rôle des


variables économiques – le premier choc pétrolier de 1973 étant passé par là – dans la politique internationale. Plus ambitieux mais aussi plus nuancé dans ses conclusions et sa distance à


l'égard du néoréalisme que _Transnational Relations and World Politics_, il s'agit dans _Power and Interdependence _de proposer une alternative théorique à l'approche réaliste


ou néoréaliste alors dominante. Joseph Nye et Robert Keohane posent deux questions centrales : * Quelles sont les caractéristiques majeures de la politique internationale lorsque


l'interdépendance, notamment l'interdépendance économique, est importante ? * Comment et pourquoi changent les régimes internationaux ? Les auteurs y répondent en divisant le


système international en deux grandes catégories : le réalisme et les interdépendances complexes. Le concept d'interdépendance complexe renvoie à l'idée que tout acteur est


sensible et vulnérable aux comportements des autres acteurs du système, et réciproquement. Derrière cette définition, Joseph Nye et Robert Keohane poursuivent l'idée libérale selon


laquelle « l'attractivité du recours à la violence à des buts politiques diminue au fur et à mesure qu'augmente l'interdépendance » 2, même s'ils tempèrent cette vision


optimiste en soulignant les coûts de l'interdépendance qui peuvent se révéler selon les cas de figure plus élevés que les potentiels bénéfices d'une coopération. Ces deux


catégories s'appuient sur trois dimensions fondamentales : 1) la proportion selon laquelle les États, agissant comme unités cohérentes, sont les acteurs dominants ; 2) la proportion


selon laquelle la force militaire est un instrument étatique effectif et possible ; 3) la proportion selon laquelle la sécurité militaire nationale domine l'agenda de la politique


étrangère. En situation d'interdépendances complexes, les sociétés nationales interagissent selon des canaux multiples, sans logique hiérarchique et proprement ordonnée autour d'un


agenda politique donné, la force militaire étant par ailleurs peu utile. Sur la question du changement des régimes internationaux, l'ouvrage retient quatre modèles explicatifs fondées


respectivement sur les processus économiques, la structure globale du pouvoir, la structure du pouvoir au sein des domaines sectoriels, les capacités de puissance telles qu'affectées


par l'organisation internationale. Ces quatre modèles explicatifs qui parfois se combinent sont appliqués à des études de cas : les relations monétaires internationales, la politique de


la mer, les relations américano-canadiennes, les relations américano-australiennes. Les qualités de _Power and Interdependence _sont multiples : il s'agit en premier lieu d'une


démonstration des limites explicatives des approches théoriques classiques des relations internationales, notamment le néoréalisme stato-centré et focalisé sur les questions d'asymétrie


de puissance. En deuxième lieu, l'ouvrage souligne l'importance d'une approche multiscalaire et le domaine de l'analyse. En troisième lieu, l'ouvrage trouve un


juste équilibre entre la théorie et l'empirique. Enfin, la rigueur et le sérieux intellectuel infusent l'intégralité de l'ouvrage, même si l'on pourra regretter une


relative faiblesse conceptuelle autour de la notion de puissance alors comprise en terme de contrôle sur les résultats. Ces deux premiers ouvrages de Joseph Nye, co-dirigés avec Robert


Keohane, posent le point de départ fondamental de la pensée de Joseph Nye et de ses travaux subséquents, notamment sur le _soft power_. Sa pensée, dès les années 1970, se distingue par son


opposition à la vision égoiste et sécuritaire du néoréalisme et intègre, dans l'étude des relations internationales, les dimensions non-gouvernementales et non-militaires, soit la prise


en compte de l'importance stratégique des activités transnationales, ouverture théorique et analytique dont on mesure aujourd'hui l'acuité précoce. * 1 * 2J. de Wilde, cité


in Dario Battistella, Théories des relations internationales, Presses de Sciences Po, 2e éd., 2006, p. 198.