
Les nouvelles pratiques de production et de réception télévisuelles
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QU'EST-CE QUE LE TRANSMÉDIA ? - ÉPISODE 5/11 Comment les producteurs de séries se sont-ils adaptés aux profondes modifications du secteur par l'arrivée des nouvelles technologies ?
Avec des narrations toujours plus engageantes pour le téléspectateur, ce sont les pratiques de réception, toujours en évolution, qui sont au centre des nouvelles stratégies. Mélanie Bourdaa
Publié le 22 septembre 2011 L’introduction des nouvelles technologies dans les pratiques de production et de réception a bouleversé le rapport aux médias, et particulièrement le rapport au
média télévisuel. La télévision se transforme en plateforme participative et nous en voulons pour preuve les lancements des télévisions connectées, qui permettent aux téléspectateurs de se
construire « leur » propre environnement télévisuel. Dans ce contexte, les pratiques culturelles des récepteurs se sont largement modifiées. Dans ce nouvel éco-système, et face à une
concurrence de plus en plus accrue, les producteurs de séries télévisées cherchent à développer des narrations de plus en plus engageantes pour le téléspectateur et plus particulièrement
pour le fan. INTRODUCTION DU PRINCIPE DE SÉRIALITÉ DANS LA NARRATION En 1991, _Twin Peaks_, créée par David Lynch et Mark Frost, va changer l’univers sériel et les stratégies de production
des séries télévisées. En effet, cette série marque les débuts d’un mouvement nommé _Quality Television_ par les chercheurs anglo-saxons(1). Ce mouvement, même s’il porte en lui une part de
subjectivité, présente des caractéristiques qui permettent d’en dessiner les contours. La _Quality Television_ implique la réinvention d’un genre (le _space opera_ avec la version
ré-imaginée de _Battlestar Galactica_) et parfois le mélange de genres déjà existants, de suivre de nombreux personnages (on parle alors d’_ensemble cast_), de proposer des arcs narratifs(2)
complexes et des histoires réalistes et de favoriser un engagement de la part des téléspectateurs. _Twin Peaks_ répond alors à ce cahier des charges : la série possède des arcs narratifs
complexes mêlant le rêve et la réalité, elle est un mélange de plusieurs genres (le film noir, le _soap opera_ et l’horreur) et elle avait une solide base de fans qui débattaient déjà sur
les forums en ligne. S’appuyant sur son slogan « _It is not TV, it is HBO_ » (« Ce n’est pas de la télévision, c’est HBO »), la chaîne du câble payante HBO se lance dans la production de ces
séries de qualité à la fin des années 1990 avec _The Sopranos_ et _The Wire_ (_Sur écoute_), ses deux séries phares encensées par les critiques. Aujourd’hui, les séries de qualité sont
l’apanage des chaînes du câble (Showtime, HBO, FX, ou encore AMC), qui ont moins de contraintes en termes de résultats d’audience et de temps de publicités que les chaînes de networks (ABC,
NBC, CBS, FOX et CW) et qui peuvent donc être plus audacieuses dans l’esthétique mais également la construction narrative de leurs séries. Ces séries ont principalement changé la façon de
raconter les histoires, ont modifié les systèmes de narration sérielle. En effet, jusque dans les années 1980, les séries étaient produites sur un modèle épisodique, chaque épisode
représentant une histoire autonome et close sur elle-même. Mais la deuxième saison du _soap opera_ _Dallas_ a changé la donne. Pour la première fois, les téléspectateurs devaient suivre les
épisodes semaine après semaine pour entrer dans la narration et comprendre les différents arcs narratifs déployés par les scénaristes. Cette stratégie s’est renforcée au début des années
1980 avec la série policière _Hill Street Blues_ (_Capitaine Furillo_) puis dans les années 1990 avec _Twin Peaks_ et dans une moindre mesure _The X-Files_ (_Aux frontières du réel_) pour
être aujourd’hui présente dans de nombreuses séries des chaînes du câble, avec quelques exceptions notables sur les chaînes de networks (_Lost_, _Fringe_ ou encore _Pretty Little Liars_, par
exemple). Pour capter et garder l’attention du téléspectateur, et donc pour le faire revenir chaque semaine devant son écran, les producteurs mettent en place des stratégies à l’intérieur
même des épisodes. La plus célèbre est l’intégration de résumés courts des épisodes précédents, appelés dans les séries les « _previously on _», qui permettent de compiler les moments les
plus importants des épisodes ou des saisons passés pour la compréhension de l’épisode à venir. Cette stratégie aide donc à rafraîchir la mémoire des téléspectateurs assidus et permet aux
nouveaux téléspectateurs de s’approprier les arcs narratifs. Une autre stratégie d’accroche relève de la mise en suspens de la narration, grâce à un _cliffhanger_ de fin d’épisode ou de fin
de saison. Cette dernière scène « choc » va laisser les téléspectateurs dans l’attente de la suite. _Fringe_ joue excellemment bien avec cette stratégie lors des _season finale _: dans le
dernier épisode de la saison 1, nous apprenons, grâce à un plan sur les tours jumelles de New York, qu’il existe un univers alternatif au nôtre avec des versions différentes des personnages
de la série ; dans la saison 2, l’agent du FBI, Olivia, reste coincée dans l’univers alternatif et est remplacée dans notre univers par son double alternatif ; et lors du dernier épisode de
la saison 3, l’existence de Peter, un des personnages principaux, est effacée de la réalité. Les structures narratives des séries ont donc évolué pour s’adapter à un environnement sériel de
plus en plus concurrentiel. Les producteurs doivent mettre en place des stratégies permettant aux téléspectateurs de s’engager dans la réception. L’EXTENSION TRANSMÉDIATIQUE DE LA NARRATION
Les producteurs de séries télévisées peuvent également utiliser les potentialités des différentes plateformes médiatiques interactives pour créer des expériences immersives et engageantes
pour les téléspectateurs et plus particulièrement pour les fans. Ces expériences sont qualifiées de « _Transmedia Storytelling _» lorsqu’elles se concentrent sur le processus d’extension de
la narration(3) ou de « _Deep Media _» lorsqu’elles se focalisent sur les récepteurs(4). Une expérience immersive transmédiatique est « un processus dans lequel les éléments d’une fiction
sont dispersés sur diverses plateformes médiatiques dans le but de créer une expérience de divertissement coordonnée et unifiée »(5). Les extensions transmédiatiques permettent donc de créer
un univers sériel complexe, immersif et interactif en tirant partie de toutes les plateformes médiatiques disponibles (jeux vidéos, Internet, comics, livres, séries, films ou jeux en
réalité alternée (_Alternate Reality Game_ ou ARG), par exemple). L’univers de la série se retrouve ainsi fragmenté sur les plateformes et les arcs narratifs forment un puzzle à reconstituer
pour les fans qui souhaitent s’engager et s’immerger dans la réception de la série. Par exemple, pour développer sa narration et donner de l’épaisseur à ses personnages, les producteurs de
_Lost_ ont créé plusieurs sites Web fictifs (le site de la compagnie aérienne Oceanic), des documentaires sur le projet Hanso, un _Alternate Reality Game_ invitant les fans à résoudre
l’énigme du vol 815 en groupe (Find 815), ou encore une université pour percer les mystères de la série (la Lost University). De leur côté, les créateurs de _Fringe_ ont proposé à leurs fans
des_ comic books_ racontant la rencontre entre William Bell et Walter Bishop, un site Internet fictif de la société Massive Dynamic, des disques vinyles d’un groupe fictif dont les paroles
de chanson contenaient des indices. Les réseaux sociaux sont également un excellent moyen pour les producteurs d’entretenir un lien avec les fans et de faire vivre le personnage au-delà du
périmètre de la fiction. Par exemple, les personnages de _The Big Bang Theory_ ont tous un compte Twitter qui leur permet d’interagir entre eux et de discuter avec les fans. Les créations et
extensions transmédiatiques enrichissent donc les univers sériels et favorisent l’engagement et l’immersion des fans. LES NOUVELLES PRATIQUES DE RÉCEPTION DES FANS Les fans sont des
téléspectateurs particuliers : non seulement ils sont experts d’un programme, mais en plus ils sont actifs dans leur réception. Cependant, ce qui les distingue des autres téléspectateurs,
c’est qu’ils possèdent les compétences techniques et technologiques pour participer, interagir et se créer un environnement télévisuel personnalisé. En effet, les fans se créent de nouvelles
temporalités médiatiques qui viennent compléter leurs temporalités de travail, de loisir et quotidiennes. Grâce aux DVD, aux enregistreurs numériques, au streaming, aux téléchargements
légaux (plateformes de VOD) ou illégaux (via les programmes d’échanges _peer to peer_), les fans se créent des temps de visionnage, loin de la programmation rigide des grilles de
programmation. Avec les nouvelles technologies et Internet, les fans peuvent allonger le temps de la réception en s’engageant avant, pendant et après la diffusion. La réception devient une
boucle sans fin(6). Ils cassent en même temps le principe même de la sérialité. Par exemple, avec le DVD, ils peuvent s’adonner à la pratique du _binge viewing_, qui est la consommation
excessive d’épisodes, ou regarder les épisodes les uns à la suite des autres, minimisant ainsi l’effet du _cliffhanger_. Les fans ont également des activités créatives et collaboratives qui
constituent une part importante de leurs pratiques de réception. Les fans se rassemblent en « communautés de pratiques »(7) afin de partager leurs créations. Les activités de fans peuvent
être regroupées en quatre catégories qui peuvent être complémentaires : Les activités de création : les fans mettent en place des sites Internet consacrés à leurs séries ou à leurs
personnages préférés, qu’ils alimentent régulièrement en articles d’analyse ou anecdotes. Outre la création de _fan videos_ ou de _fan arts_, ils écrivent également des _fan fictions_(8). La
_fan fiction_ est une activité d'écriture, et de réinterprétation des fans qui demande un investissement temporel mais aussi personnel de la part du fan. En effet, l'écriture de
_fan fiction_ dévoile toujours un peu de l'identité de l'auteur, leur donnant un espace de présentation de soi. Les _fan fictions_ autour de la série _Xena, Warrior Princess_ sont
extrêmement populaires parmi les fans lesbiennes, et la plupart de ces écrits mettent en scène la relation amoureuse fantasmée entre Xena et sa partenaire Gabrielle. Cette relation est en
_subtext _dans la série mais les fans en ont fait leur texte principal dans leurs écrits. Les créations de lien social : les réseaux sociaux permettent aux fans de prolonger leur expérience
télévisuelle et de recréer une expérience de lien social autour des séries télévisées. En recréant une « télévision cérémonielle », les fans se retrouvent autour d’un objet commun et dans un
lieu commun pour débattre des épisodes qu’ils sont en train de regarder, rejouant les conditions d’un visionnage commun en direct. Les créations de partage : l’activité principale des fans
est de mettre les épisodes de série les plus récents à disposition des autres fans de la communauté. Pour développer une réception transnationale et qui ne dépend pas des contraintes de
diffusion nationale, les fans mettent les épisodes en ligne et des équipes de _fansubbers_ se chargent de proposer les sous-titres, indispensables à la bonne compréhension de la série par le
plus grand nombre. Ces équipes de _fansubbers_ possèdent une hiérarchie établie et chaque personne a des compétences spécifiques : traducteur, relecteur, encodeur. Ils sont les médiateurs
de cette forme de culture, qu’ils rendent légitimes grâce à leur connaissance et à leur sous-titrage. Les créations d’« intelligence collective »(9) : face aux développements des extensions
transmédiatiques et des expériences _Deep Media_, les fans se constituent en force collaborative pour résoudre les puzzles des univers sériels proposés. Pour mutualiser leurs efforts et
mettre en commun leurs découvertes et les théories, ils créent des wikis. Les fans se répartissent également en groupe pour avancer dans leurs recherches : on trouve les organisateurs qui
modèrent la communauté, les détectives qui tentent de résoudre les énigmes, les chasseurs qui récupèrent les données sur l’univers éparpillées sur les plateformes médiatiques, et les «
voyeurs » (_lurkers_) qui regardent les progrès de la communauté sans participer(10). Cette classification des fonctions des fans à l’intérieur des wikis et des forums est d’autant plus
flagrante lorsqu’il s’agit de jouer à un jeu en réalité alternée (_Alternate Reality Game_). NOUVEL ENVIRONNEMENT TÉLÉVISUEL ET SÉRIEL, NOUVELLES RÉCEPTIONS DES FANS Les producteurs de
séries télévisées mettent en place de nouvelles stratégies de production dans les épisodes mêmes ou en profitant du déploiement des plateformes médiatiques. Les fans quant à eux s’organisent
en communautés, dans lesquelles ils créent des activités et du lien social afin de partager, collaborer et débattre. Ces nouvelles stratégies de production et de réception témoignent d’une
entrée dans un nouvel environnement télévisuel, une nouvelle ère télévisuelle, celle de la « techno-télévision »(11). Cette ère est caractérisée par une grande convergence des technologies,
des extensions transmédiatiques interactives, un plus grand engagement des téléspectateurs et des fans, et des stratégies de narrations sérielles immersives. RÉFÉRENCES * Ivan ASKWITH, _This
is ( just) a game. Understanding Alternate Reality Games,_ MIT Convergence Culture Consortium, 2009 * Kim AKASS, Janet McCABE (dir.), _Quality television. Contemporary American television
and beyond_, IbTauris, 2007 * Nancy BAYM, _Tune in, log on. Soaps, fandom and online community (new media cultures)_, Sage Publications, 1999 * Mélanie BOURDAA, _L’interactivité
télévisuelle, ses modalités et ses enjeux. Comparaison de programmes Etats-Unis – France_, Thèse de doctorat, 2009 * Sébastien FRANCOIS, “Fanf(r)ictions. Tensions identitaires et
relationnelles chez les auteurs de récits de fans”, _Réseaux_, vol.27 / 153, 2009, pp.157-190 * Marc JANCOVITCH, _Quality popular television_. _Cult TV, the industry and fans_, British Film
Institute, 2003 * Henry JENKINS, _Convergence Culture. Where old and new media collide_, New York Press, 2006 * Pierre LÉVY, _L’intelligence collective. Pour une anthropologie du cyberspace,
_La découverte Poche / Essais, 1997 * Jason MITTEL, “Narrative complexity in contemporary American television”, _The velvet light trap, _number 58, pp. 29-40, 2006 * Frank ROSE, _The art of
immersion. How the digital generation is remaking Hollywood, Madison avenue and the way we tell stories_, Norton, 2011 QU'EST-CE QUE LE TRANSMÉDIA ? - ÉPISODE 8/11 [ENTRETIEN] Les
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