Dix ans de sensibilisation aux questions lgbt dans les médias

Dix ans de sensibilisation aux questions lgbt dans les médias


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Alice Coffin et Lucas Armati, alors co-présidents de l'AJL, lors de la première cérémonie des OUT d'or en 2017, et Philippe Mourrat directeur de la Maison des métallos. © Crédits


photo : AJL / Simon Lambert Créée en réaction au traitement médiatique de La Manif pour tous, l'Association des journalistes lesbiennes, gays, bi-e-s, trans et intersexes (AJL) a dix


ans cette année. Elle s'était donnée comme mission de veiller à un traitement plus respectueux des personnes et de sensibiliser les publics aux questions LGBTQIA+. Bilan. Fatine Gadri


Publié le 16 mai 2023 2013. Le débat fait rage, en France, autour du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. _« Atterrés » _par la couverture de cette


actualité et, plus globalement, des sujets LGBT dans les médias, une bande d’amis se réunit chez l’une d’entre eux, Alice Coffin, dans le XXe arrondissement de Paris. Ils et elles sont


journalistes ou photographes, lesbiennes, gays, bi ou trans, et travaillent chez _20 minutes_, _Alternatives économiques_, Arte, _Mediapart_, _Yagg.com… _Leurs expériences se rejoignent.


Dans leurs rédactions, disent-ils, on évite de leur confier des sujets sur ces questions, craignant de leur part une approche militante. C’est pourtant eux que leurs collègues sollicitent


pour obtenir contacts et informations. Ils se constituent en association et publient dans la foulée, le 16 mai, une tribune dans _Libération_. Avec une source d’inspiration : la National


Lesbian and Gay Journalists Association (NLGJA), née aux États-Unis en 1990. Les objectifs de l’Association des Journalistes Lesbiennes, Gay, Bi-e-s, Trans (AJL) : dénoncer les _« propos


injurieux et discriminatoires à l’encontre des homosexuel(les) et des transsexuel(les) […] publiés dans un média sous couvert de "débat" »_, aider confrères et consœurs à éviter _«


 l’écueil des préjugés et des clichés » _sans pour autant devenir _« des sortes de censeurs LGBT [leur] faisant la leçon »_. Et _« contribuer à la visibilité des personnes LGBT dans l’espace


public »._ Dix ans plus tard, l’association compte 150 membres. La plupart de ses fondateurs n’occupent plus une place active dans l’association. Avec le recul, la demi-douzaine de membres


fondateurs que nous avons pu joindre se montrent satisfaits des actions de l’association : signalements à l’Arcom de propos jugés problématiques, interpellations de médias sur les réseaux


sociaux. Mais aussi promotion de « bonnes pratiques » : kit à destination des rédactions, charte contre les LGBTIphobies (signée par une cinquantaine de médias), cérémonie des « Out d’or »,


qui récompense des sujets consacrés aux problématiques LGBT et a permis, nous dit-on, de soutenir les journalistes isolés dans des rédactions, notamment en presse quotidienne régionale


(PQR), pour faire exister ces sujets dans leurs médias. LE TABOU DE TRANSIDENTITÉ Le traitement des questions LGBT leur apparaît globalement meilleur qu’il y a dix ans, mais la satisfaction


se veut discrète : il ne faudrait pas laisser penser que tout est réglé. L’enjeu désormais ? Le traitement médiatique de la transidentité, à laquelle l’association a consacré une étude en


février 2023, selon laquelle _« la moitié des articles n'ont pas un traitement respectueux des personnes trans ». _L’étude relève dans le même temps _« une nette amélioration du


traitement médiatique des transidentités, enfin perçues comme un sujet d’actualité à part entière »_. Si l’association scrute la façon de parler des sujets LGBT dans les médias, elle a aussi


fait évoluer son vocabulaire. _Exit_ le terme _« transexuel(le)s »_de la tribune de 2013, remplacé par celui de « _transgenres »_. Idem pour _« homophobie »_ qui a cédé sa place à _« 


LGBTphobie » _— « _plus fidèle à la réalité tout en n’invisibilisant personne_ », explique Yasmina Cardoze, co-présidente actuelle de l’association. _« Lorsque j’assiste à ma première


assemblée générale, souci : on s’aperçoit collectivement de la sous-représentation des lesbiennes — alors qu’elles sont les plus actives_, raconte Rachel Garrat-Valcarcel, ancienne


co-présidente, aujourd’hui journaliste politique à _20 Minutes_. _On a agi pour régler le problème et obtenu un conseil d’administration paritaire _»._ _Charles Roncier, co-président, avait


accepté de libérer son poste pour ne pas _« rejouer un mécanisme d’invisibilisation des lesbiennes »_, appuie Clémence Allezard, journaliste documentariste à France Culture. _ « DÉFENDRE LES


SINGULARITÉS »_ « _Nous utilisons des outils différents pour toucher des publics différents_ »_._ David Belliard, ancien journaliste et cofondateur de l’association aujourd’hui


maire-adjoint EELV à Paris, salue la réactivité de l’AJL, qui actualise sur ce champ le vocabulaire de son kit. _« Garder et défendre les singularités de tous est un choix militant essentiel


pour une communauté qu’on cherche à invisibiliser »_, défend-il. « _Il faut correctement désigner, nommer les personnes pour les faire exister_ ». De même, le « i » de « intersexes » a été


ajouté au nom de l’association en 2019. En s’étoffant, l’association a pu développer des formations dans les collèges, lycées, et surtout dans plusieurs écoles de journalisme reconnues par


la profession (IPJ , IFP, ESJ, etc.). Un indicateur de la légitimité reconnue à l’association. Pensées par groupes de 5 à 15 personnes, celles-ci sont réactualisées chaque année. Directeur


de publication de Komitid, président de Paris sans sida et ancien membre de l’association, Christophe Martet juge l’AJL toujours utile au journalisme, même dix ans après : _« Nous ne sommes


pas à l’abri d’un retour de balancier, comme cela s’est vu sur la PMA, l’interdiction des spectacles de drag queens ou Bilal Hassani_ _»_. Pour l’heure, l’association en inspire d’autres.


Comme la jeune « Association de journalistes antiracistes et racisé.e.s » (AJAR). _« Enfin ! Je me disais que ça manquait »_, remarque Marie Labory, journaliste à Arte et _« rare lesbienne


out de l’audiovisuel »_. _« L'AJAR est une association sœur, il est essentiel d’en finir avec l’idée qu’on ne voit pas les couleurs, les genres et les orientations sexuelles chez les


individus, comme si nous avions tous la même expérience. Oui, les rédactions sont blanches et bourgeoises, et c’est un problème : on ne peut pas prétendre parler du monde en étant aussi


homogènes »_. Les deux associations se sont rencontrées un après-midi pour échanger. Du haut de ses dix ans d’expérience, l’AJL a pu fournir quelques conseils sur les statuts de


l’association, la non-divulgation des noms des membres (pour ne pas les mettre en difficulté) ou encore les actions de plaidoyer auprès des médias.