« J’ai peur que l’information aveugle autant qu’elle informe » | la revue des médias

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Marc Ferro fut un des historiens majeurs de notre époque, spécialiste notamment de l’histoire du cinéma, auteur d’émissions TV historiques à base d’archives audiovisuelles. Il analysait le


traitement de l’histoire dans les médias avec une liberté de ton et un esprit critique acéré.


Marc Ferro, ancien codirecteur des Annales et directeur d'Études à l'École des hautes études en sciences sociales, fut le premier à prendre le cinéma comme objet d’histoire et à en faire


l’étude sous cet angle. Scénariste, enseignant, essayiste, théoricien, il présenta de 1989 à 2001 l’émission historique à base d’archives Histoires parallèles sur la 7 puis sur Arte.


Ce grand historien est mort ce 21 avril 2021 à l'âge de 96 ans. À cette occasion, nous vous proposons de redécouvrir l'entretien qui suit, initialement publié en 2016.


Marc Ferro : L’histoire en tant que récit, et non analyse, continue à dominer la scène, avec les défauts du récit. C’est-à-dire qu’avec les mêmes documents, on peut, comme Chris Marker l’a


dit bien avant moi, avoir deux versions des mêmes événements. Le récit se renouvelle pour des raisons esthétiques ou commerciales, depuis qu’on a imaginé le « docu-drama », qui permet de


noyer les documents dans l’imagerie qui plaira au plus grand nombre, avec comédiens et stars. Ce qui ne veut pas dire que son principe soit à contester mais les réalisateurs, trop souvent


happés par un besoin de diffusion populaire, tournent des scènes attendues par le public qui relèvent de ce que l’on appelait naguère la petite histoire. Il y a eu quand même de l’histoire


critique. Elle a plutôt commencé dans l’information par le biais de débats contradictoires.


Et puis le film de William Karel montrait bien que François Mitterrand, qui joue les mages, s’est fourvoyé en politique étrangère. Durant la guerre d’Algérie, alors ministre de l’Intérieur,


il a été le pire des massacreurs. Je le savais parce que j’étais en Algérie à cette époque-là, à partir de 1956. Les militants nationalistes du FLN ou d'autres que je connaissais à l’époque


me disaient que Mitterrand, c’était le pire, avec quarante ou cinquante exécutions ordonnées : c’est lui qui en a signé le plus. D’ailleurs Benjamin Stora a écrit un livre là-dessus il n’y a


pas longtemps3. Donc, François Mitterrand cache les exécutions qu’il a ordonnées à cette époque avec la loi contre la peine de mort de 1981. C’est lui qui a fait passer cette loi, mais


c’est lui qui a fait le plus de morts. Il faut le dire. Ensuite, on voit bien qu’il se sert de l’extrême droite contre la droite et qu’il fut lui-même anciennement un homme d’extrême droite.


Il puisait dans le « vivier » de ses amis de Vichy. Il les trouvait facilement. Il n’avait qu’à piocher, il les connaissait tous. Le documentaire montre ensuite comment il a changé de


direction dans sa politique à partir de 1983. Pour le cacher, il avait gardé le même Premier ministre, Pierre Mauroy, qui avait accepté de jouer le dindon de la farce. Pour qu’on se dise que


rien ne changeait alors que tout changeait.


Ce film est un procès, mais un procès malin, un procès bien vu. On y parle aussi de sa fille cachée, mais le fait qu’elle l’ait été est parfaitement compréhensible. Tout en disant ça, le


film raconte comment Mitterrand a traité ceux qui ont voulu en parler... Le film montre que ce qui dominait chez Mitterrand, même s’il avait du talent politique, c’est qu'il était un forban.


C’est donc un film qui a un récit avec un axe. Il ne se borne pas à dire qu’il était né en 1922, qu’il avait épousé Danièle Mitterrand, qu’il avait rencontré une telle auparavant. On fait


donc toujours de bons films...


Ah oui, ça, évidemment. Et je l’ai théorisé. Mais je l’ai théorisé par inadvertance, parce que je ne suis pas théoricien d’origine. Je le deviens tout doucement, il est temps. J’ai 91 ans


après-demain6. Mais je suis devenu théoricien par l’observation. D’autres le sont avant d’observer. Et le premier document qui m’a fait un choc, comme je le raconte dans mon dernier livre,


c’est celui que j’ai trouvé aux archives de Koblenz en 1964, sur les Allemands qui pensent avoir gagné la guerre en 19187. C’est cela qui m’a fait comprendre que les images disent des choses


particulières.


C’est un aveuglement central. Cette menace se caractérise par le fait qu’à la fois on ne l’a pas venue venir et qu'on n’a pas voulu la voir. Il y a les deux éléments. Rappelez-vous, il y a


moins de trois ou quatre mois, quand la menace de Daech s’est manifestée, on a entendu dire : « Ce n’est pas un État ». Pour minimiser, on aborde toujours le problème par le biais des


individus. On en fait des faits divers. Du coup, on accroît le fait qu’ils ont pu être des délinquants avant d’être des extrémistes musulmans ou pas. En faisant de la chasse à l’homme, on


les identifie à des brigands. Et par conséquent, toute la dimension idéologique et théorique de la conquête du monde qui est derrière ces actions armées, ces attentats, n’est pas dite. Elle


n’est ni pensée, ni théorisée. Alors qu'il s'agit d'un point central.


Cela signe la faillite du développement de nos sociétés. Et pas seulement en France. Il faut prendre conscience du fait qu’une révolution libérale en Égypte ne peut créer rapidement du


travail pour les millions de chômeurs qui existent. En Tunisie non plus, ils seront, au mieux, toujours serveurs au restaurant. En Afrique subsaharienne, ils n’auront toujours pas d’eau.


Donc, le réservoir d’hystérie colérique contre ce monde qu’on voit tous les jours à la télévision et qui, à l’écran, est merveilleux d’opulence et de beauté, ce réservoir de colère est


immense. Cela ne peut que multiplier les terroristes dans de très nombreux pays. Même des Français le deviennent maintenant. Ce sont des déracinés, y compris par rapport à leur famille, et


l’on voit que leurs familles sont rarement au courant. Alors qu’en Palestine, les familles le sont. Ici, le déracinement est au deuxième degré. Ces jeunes ont des parents qui sont déjà


déracinés. La génération d’après est plusieurs fois déracinée, de leur famille, de leur milieu, de leur pays. Donc, ça explose.


Durant leur campagne, Kamala Harris et Donald Trump ont tiré parti de tous les médias, notamment les podcasts, pour toucher différentes portions de leur électorat comme les femmes d'âge


moyen ou les hommes blancs. L’analyse de la chercheuse Laurence Nardon.


Un mois après le début de son second mandat, Donald Trump fait figure de casse-tête pour les journalistes français. Comment parler de l’homme le plus puissant du monde sans servir sa


stratégie consistant à inonder l’espace médiatique ? Le débat anime les rédactions.