
Médias et réseaux sociaux : les think tanks pro-trump avancent leurs pions
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Le chef des démocrates au Sénat, Chuck Schumer, dénonçant le « Projet 2025 » lors d'une conférence de presse le 12 septembre 2024, à Washington. © Crédits photo : Kent Nishimura/Getty
Images/AFP Le « Projet 2025 », élaboré par le think tank conservateur Heritage Foundation, est présenté comme une feuille de route pour le second mandat de Donald Trump. Il préconise
notamment la suppression totale du financement public des médias et souhaite laisser libre cours à la désinformation sur les plateformes. Tom Sallembien Publié le 09 novembre 2024 922 pages
de réformes fournies clé en main à la nouvelle administration républicaine : c’est le « Projet 2025 ». Du démantèlement du ministère de l’Éducation à la suppression des mesures de lutte
contre le changement climatique en passant par la surveillance des avortements, ces propositions ont été présentées comme une feuille de route pour le second mandat de Donald Trump. Rédigées
par le think tank pro-républicain Heritage foundation, en collaboration avec plus d’une centaine d’organisations conservatrices, ces mesures ont fait l’objet d’un tel flot de critiques que
Donald Trump lui-même a tenté de s’en démarquer. Voici ce qu’il prévoit pour les médias, qualifiés d’« ennemis du peuple » par le prochain président lors de son premier mandat. 1.
SUPPRESSION TOTALE DU FINANCEMENT PUBLIC Dans la lignée des desiderata républicains habituels, le think tank préconise au président de couper l’ensemble des fonds alloués à l’audiovisuel
public américain. Et ce _« même malgré l’opposition de certains membres du congrès issus de son parti »._ Aujourd’hui, le réseau public de radios NPR et celui de télévision PBS sont en
partie financés par l’argent fédéral, avec un système à but non lucratif. Mais la Heritage foundation considère que ces chaînes sont des _« forums libéraux »_. Le gouvernement ne devrait
donc pas _« obliger les contribuables conservateurs à financer des opinions qu’ils désapprouvent »_. > « Tout un pan du territoire américain est très mal desservi par > les médias
privés » Si les fonds alloués à la Corporation for public broadcasting (CPB), l’organisme américain chargé de gérer les subventions, n’ont jamais été supprimés par les précédentes
administrations républicaines, c’est parce que _« tout un pan du territoire américain est très mal desservi par les médias privés »,_ analyse Sébastien Mort, chercheur à l’université de
Lorraine et auteur d’_Ondes de choc. Histoire médiatique et politique de la radio conservatrice aux États-Unis_ (éditions de l’Université de Bruxelles, 2024). Une telle mesure reviendrait
donc pour l’administration à perdre un canal essentiel pour parler à son électorat. Mettre fin à la CPB ne serait pas fatal pour les grandes chaînes NPR et PBS _: « La part des subventions
publiques dans leurs revenus est infime [7 % pour NPR et 13 % pour PBS, NDLR] »_, affirme le chercheur. En revanche, cela pourrait l’être pour les 1 500 stations de radio et chaînes de
télévision locales faisant partie de leur réseau et également soutenues par cet argent public. Selon la CPB, ces stations et chaînes captent 70 % de ses crédits fédéraux annuels. _« Cela
viendrait dégrader davantage l’état des médias locaux, qui sont dans une situation de forte crise depuis des années, et rendre leur public encore plus vulnérable à la désinformation »,_
craint Sébastien Mort. 2. TRI DES MÉDIAS AYANT ACCÈS À LA MAISON-BLANCHE Dès le lendemain de la première investiture de Trump en 2020, les reporters accrédités à la Maison-Blanche se sont
vus accorder des bons et des mauvais points par le président lui-même. Dans la _briefing room_, cette pièce dans laquelle le porte-parole du gouvernement s’exprime devant les journalistes,
les médias conservateurs étaient privilégiés dans lors des séances de questions-réponses. Selon Sébastien Mort, _« certains journalistes se voyaient systématiquement refuser des
accréditations pour suivre la Maison-Blanche »._ Alors même que _« des figures très à droite et proches de l’idéologie de Trump se sont vu octroyer des accréditations au même titre que les
journalistes de CNN et du _New York Times_ »,_ raconte-t-il. C’est ainsi qu’avaient été accrédités à la Maison-Blanche les commentateurs de TruNews, site d’information complotiste ayant
qualifié de « coup d’État juif » la première procédure d’_impeachment_ visant Trump en 2019. Mais les préconisations du Projet 2025 vont plus loin. Le cercle de réflexion de Washington
s’interroge sur la présence même de journalistes au sein de la Maison-Blanche, précisant _« qu’aucun droit légal n’existe pour l’attribution d’un espace permanent aux médias dans [son]
enceinte »_. Les auteurs tempèrent plus loin leur propos en évoquant plusieurs très vagues _« réexamens »_ à mener : celui de la relation avec l’Association des correspondants, qui comprend
des journalistes de nombreux médias, y compris Fox News, le_ New York Times_ ou la BBC, et celui de _« l’équilibre entre les demandes des médias et les contraintes d’espace dans les locaux
de la Maison-Blanche »._ 3. INTERDICTION DE TIKTOK ET DES APPLICATIONS CHINOISES La Heritage foundation propose d’interdire toutes les applications de médias sociaux chinoises telles que
TikTok et WeChat. Car celles-ci présenteraient des _« risques importants pour la sécurité nationale et exposent les consommateurs américains au vol de données et d’identité »_. Une mesure
formulée à maintes reprises par un autre think tank conservateur proche de Donald Trump, l’America First Policy Institute (AFPI). Si l’institut a été beaucoup moins prolifique que la
Heritage foundation sur le sujet des médias et des réseaux sociaux, ses propositions sont sensiblement les mêmes. Moins controversée, l’AFPI pourrait être bien plus influente que le Projet
2025. La présidente de son conseil d’administration, Linda McMahon, a même été désignée par Trump pour codiriger l’équipe chargée de préparer la transition avec l’administration Biden.
Aujourd’hui, le sort de TikTok aux États-Unis est déjà en suspens. Biden lui a imposé un ultimatum en avril dernier : soit l’entreprise chinoise ByteDance, propriétaire de TikTok, accepte de
s’en séparer, soit l’application sera interdite dès janvier 2025. La proposition semble donc faire consensus dans les deux camps. Mais c’est sans compter les rancunes personnelles de Donald
Trump. Après avoir essayé de faire interdire l’application chinoise lors de son premier mandat, il a changé d’avis en mars dernier, en prenant position en faveur du réseau social. Le
président craint que son interdiction profite à son rival Meta (Facebook, Instagram, Whatsapp), avec qui il est en conflit depuis la suspension de ses comptes en 2021, à la suite de
l’attaque du Capitole. 4. PROTECTION DE LA DÉSINFORMATION AU NOM DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION L’attachement de Donald Trump au premier amendement de la Constitution, qui interdit à l’État de
porter atteinte à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, est connu de longue date. Prônant une liberté d’expression intégrale et sans limite, Le Project 225 souhaite que des
_« réformes interdisant la discrimination à l’encontre de certaines opinions politiques » _soient appliquées aux géants de la technologie. Ces réformes suivraient l’approche adoptée par le
Texas et la Floride qui postulent que les plateformes ont discriminé certains points de vue en supprimant la désinformation sur le Covid-19. > « Ils n’en resteront pas là » Aujourd’hui,
des dispositions anti-discriminations existent déjà et permettent de garantir que les algorithmes ne discriminent pas les communautés minoritaires ou marginalisées. En appliquant les
réformes du think tank, ces mêmes dispositions pourraient forcer les plateformes à héberger toutes sortes de contenus, de la simple désinformation aux propos les plus discriminatoires.
L’administration Trump ne devrait pas appliquer à la lettre le Projet 2025. Mais selon Sébastien Mort, _« certains ont beaucoup investi dans la présidence Trump à venir, dont la Heritage
foundation, et c’est évident qu’ils n’en resteront pas là »._ Étant donné les pouvoirs conférés au président des États-Unis, Donald Trump détient toute une gamme de possibilités dont les
plus extrêmes pourraient même surpasser celles proposées par le Projet 2025. _« Dans le pire scénario, Trump pourrait déclarer l’État d’urgence en affirmant simplement que le pays est en
état de guerre ou qu’il existe une menace. Cela lui permettrait de prendre le contrôle des médias ou de fermer des stations »_, affirme le chercheur.