
Pour combattre la post-vérité, les médias condamnés à innover
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DE QUOI LES FAKE NEWS SONT-ELLES LE SYMPTÔME ? - ÉPISODE 3/9 Fake news et autre faits alternatifs prospèrent lors des dernières campagnes électorales. Face à cette pollution de
l’information, les médias ont un rôle essentiel à jouer dans cette cacophonie post-vérité. Comment font-ils face à ce phénomène d’une ampleur inédite ? Jean-Marie Charon Publié le 21 avril
2017 _Fakes news_ et « faits alternatifs » ont émaillé les campagnes du Brexit en 2016, de la présidentielle américaine, en 2017. Ils se retrouvent aujourd’hui au cœur de la présidentielle
française. Ils prospèrent dans les déclarations des uns et des autres et, surtout, dans les messages diffusés sur divers supports, à commencer par les réseaux sociaux. Il peut s’agir
d’événements imaginaires, tel un massacre dans le Kentucky qui n’a jamais existé. Ce sont des chiffres erronés, tels ceux des participants à l’investiture de Donald Trump (20 janvier 2017)
ou des manifestants en faveur du candidat Fillon, place du Trocadéro (meeting du 5 mars 2017). Ce sont des données inventées ou déformées, comme les prétendus millions de personnes
irrégulières ayant voté aux élections américaines du 8 novembre 2016. Des attentats sont annoncés ici. Des faits divers sont déformés. Dans cette ère dite de la « post-vérité », ces mêmes
acteurs/auteurs soutiendront que le traitement des faits par les médias n’est qu’une opinion comme les autres. N’est-ce pas ce que suggère précisément la référence à la notion de « faits
alternatifs » ? Parmi eux figurent des leaders politiques tels que les tenants du vote en faveur du Brexit ou le candidat devenu président, Donald Trump. Parmi eux sont particulièrement
actifs des groupes, des réseaux, situés à l’extrême droite de l’échiquier politique. Ce que d’aucuns qualifient de fachosphère. Comment comprendre cette prospérité d’un tel phénomène au
moment où jamais les sources d’information n’ont été aussi abondantes et diversifiées ? Quelle peut être la place et le rôle des médias, les anciens, comme les nouveaux, pour démêler le vrai
du faux dans cette cacophonie ? Quels sont les moyens dont ils se dotent ou pourraient prendre l’initiative, afin de faire référence et reconstruire la confiance avec leur public ? Telles
sont les questions auquel cet article tente de répondre. LE BASCULEMENT VERS LA RECHERCHE « HORIZONTALE » DE L’INFORMATION Si les phénomènes d’intoxication et de désinformation ne sont pas
nouveaux en revanche le paysage des médias, les manières de s’informer ont changé. Il est courant, à ce niveau, de mettre en cause l’internet et, singulièrement, les réseaux sociaux. Il
paraît plus juste de partir du phénomène qui est en train de se produire sous nos yeux : le basculement dans les manières de s’informer. Autrement dit, le passage d’une relation verticale
entre le public et les rédactions des médias, à une recherche horizontale de l’information, de proche en proche, en s’appuyant sur les réseaux sociaux et les plateformes d’information. Le
basculement est en cours. Il n’est pas complet. Il ne le sera peut-être jamais. En revanche, il est substantiel, touchant plus particulièrement le public jeune. Certes, les chiffres varient
d’une étude à l’autre selon la méthodologie. Une étude du Pew Research Institute de 2015 indiquait qu’aux États-Unis, 63 % des abonnés à Twitter et Facebook citaient ceux-ci comme leur moyen
de s’informer. Plus récente et plus sophistiquée, une recherche de mars 2016, du même institut, place les réseaux sociaux au même niveau que les sites d’information dans les pratiques
d’information (35 et 36 %), auxquels se surajoutent les moteurs de recherche pour 20 %. Autrement dit, les « infomédiaires » seraient l’accès à l’information pour plus d’une personne sur
deux aux États-Unis. > Toutes les sources d’information se retrouvent au même niveau : > médias, institutions, entreprises, influenceurs, partis, etc. Un > média est une source
parmi d’autres, comme, tendanciellement, une > information pourrait être une opinion parmi d’autres, comme le > suggère la référence aux faits alternatifs En quoi cette transformation
des moyens de s’informer aurait-il un lien avec la place prise par les _fakes news_ ou les faits alternatifs ? En premier lieu, elle opère une forme d’aplatissement. Toutes les sources
d’information se retrouvent au même niveau : médias, institutions, entreprises, influenceurs, partis, etc. Un média est une source parmi d’autres, comme, tendanciellement, une information
pourrait être une opinion parmi d’autres, comme le suggère la référence aux faits alternatifs. En second lieu, les réseaux sociaux apportent un effet supplémentaire à cette mise à plat des
sources, en inversant en quelque sorte les facteurs de la crédibilité. Un article du _Monde_ de Luc Vinogradoff résumait parfaitement le propos en titrant : _Sur les réseaux, on fait
davantage confiance à la personne qui partage, qu’à la source de l’information_ . En effet, sur les réseaux sociaux le cheminement de proche en proche n’est pas que le fruit de la pure
intuition ou du hasard, à l’image du zapping en télévision. Il est guidé par les personnes que nous avons choisies pour être nos amis sur Facebook, nos followers sur Twitter, etc. Cette
recommandation bénéficie donc à la fois de la crédibilité que nous accordons à des personnes de notre choix et de l’émotion, née du sentiment d’appartenance à un réseau. L’émotion contre
l’expertise, le professionnalisme, la distance, pourrait-on dire au regard de la posture revendiquée par les médias. Même si ce n’est pas aussi simple. FACT CHECKING ET MUTUALISATION DES
RÉDACTIONS La question des fausses nouvelles, de la désinformation, des rumeurs n’est pas en elle-même nouvelle et elle a suscité différentes formes de réponses de la part des médias. C’est
ainsi que plusieurs mois après le désastre de l’information qu’avait constitué en décembre 1989 le « vrai-faux charnier de Timisoara », _Libération_ réalisait une contre-enquête. Elle devait
être présentée en bonne place dans le journal, décortiquant les mécanismes qui avaient conduit à cette forme d’erreur collective, dont la rédaction du journal ne s’exonérait aucunement.
Dans ces mêmes années 1990, les livres et débats de journalistes, à l’initiative d’associations telles que RSF (Reporters sans frontières), devaient également traiter du fiasco du traitement
de « la guerre en direct », de 1991 au Koweït. De leur côté, des « _ombudsmen_ » de la presse nord-américaine(1) pouvaient aller jusqu’à refaire une enquête sur le traitement de faits
divers par leur propre journal. Avec le changement de paysage médiatique et, surtout, le changement d’échelle pris par les questions de fausses nouvelles et désinformation, les réponses des
médias devaient également évoluer et se diversifier, tout en tenant compte de contraintes qui ne pesaient pas de la même manière sur eux : à commencer par le bouleversement de modèle
économique face à la mutation engagée par la presse, avec sa baisse des effectifs des rédactions. En tenant compte également de la médiocre qualité de la relation entre les médias et leurs
publics, ce qu’il est convenu d’appeler — depuis déjà près de 30 ans — « crise en confiance »(2). L’apparition de la notion de « _fact checking _» et la création d’une start-up telle que
Politifact aux États-Unis en est une saisissante illustration. Bill Adair, enseignant en journalisme et politique publique à Stanford, son créateur en 2007, met ainsi immédiatement en
perspective le double phénomène de la nécessaire vérification de la parole publique, à commencer par celle des politiques, et l’affaiblissement des moyens des rédactions(3). La décennie 2000
devait, en effet, voir près du tiers des journalistes quitter la profession aux États-Unis. Dès lors, s’imposait l’idée de spécialiser des équipes de journalistes sur la seule fonction de
vérification, au profit de leurs collègues, moins nombreux, devant travailler sur davantage de supports, avec des amplitudes horaires plus longues(4). > Un titre seul a-t-il raison de
proposer sa propre norme de > crédibilité au risque de se voir reprocher une forme de conflit > d’intérêts ou d’approche par trop normative ? Il faudra quelques années pour que des
quotidiens français, _Libération_ avec Désintox, _Le Monde_ avec Les décodeurs, des écoles, des radios, des télévisions, etc. s’engagent ponctuellement ou continûment sur la voie du _fact
checking_. Celui-ci devait se combiner dans des moments particulièrement intenses et dramatiques, avec le live en continu, comme pour _Le Monde_ lors des attentats de janvier puis novembre
2015, en imposant la fameuse formule « Ce que nous savons - ce que nous ne savons pas encore ». S’agissant d’un domaine largement inexploré, où l’expérimentation domine, les médias qui font
le choix de s’y engager procèdent par essai et erreur. C’est l’essai, toujours par _Le Monde_, d’un outil qui qualifierait la crédibilité des différentes sources présentes sur le web, le
Décodex. Un titre seul a-t-il raison de proposer sa propre norme de crédibilité au risque de se voir reprocher une forme de conflit d’intérêts ou d’approche par trop normative (cf. la
critique d’Aude Lancelin) ? La voie du collectif et de la mutualisation est elle-même initiée avec l’annonce de la création de « CrossCheck ». L’échelle est ici différente puisqu’intervient
l’appui de structures internationales telles que FirstDraft (avec Facebook) et le Google News Lab aux côtés de 17 rédactions nationales et locales, telles que France 24, _Le Monde, Les
Échos_, mais aussi _Ouest-France, Nice Matin_ ou Rue89 Strasbourg ou encore Storyful. Le tout est coordonné par l’AFP (Agence France-Presse). Dans son projet, CrossCheck qui bénéficie de son
propre site, reçoit les contributions des différentes rédactions en même temps que celles-ci peuvent s’en nourrir. Les Internautes et citoyens ne sont pas oubliés, qui peuvent poser des
questions ou envoyer des alertes sur des sites ou informations « douteux ». Lancé à la fin février 2017, il est trop tôt pour juger de l’opérationnalité et de l’impact d’une telle démarche
dans laquelle se retrouve cette idée désormais présente également dans le domaine de l’investigation, celle du partage, de la mutualisation de rédactions devenues trop petites, à l’échelle
des problèmes posés, et conduites à s’ouvrir dans leur fonctionnement et leur organisation(5). MAKING-OF ET MÉDIATION POUR LA RECONQUÊTE DE LA CONFIANCE La reconquête de la confiance ne
passe pas que par l’exercice de vérification. cette démarche doit également associer en quelque sorte les publics dans une forme d’explication et d’échange sur les conditions dans lesquelles
l’information est produite. Il s’agit là tout autant de transparence que de pédagogie, susceptible de permettre une connaissance et une compréhension de ce que sont les contraintes et
conditions dans lesquelles travaillent les rédactions. C’est l’optique que devait adopter l’AFP en créant, en 2012, un blog qui constitue un _making-of_ de l’activité des journalistes de
l’agence. Le Making-of AFP (« Correspondent » en version anglaise, « Focus » en version espagnole) offre, au rythme de deux à quatre billets par semaine, les témoignages de journalistes de
l’agence. Dans ceux-ci, les journalistes racontent et expliquent les conditions dans lesquelles ils ont traité les événements qu’ils suivent. Ils témoignent des dilemmes, des dangers, des
difficultés qui sont les leurs dans leur travail. Avec cette démarche, l’agence fait le pari inédit de s’adresser directement au grand public. Elle y consacre des moyens permanents, soit
deux journalistes dédiés, pour interviewer leurs collègues et mettre en forme, éditer ces contenus, en partant selon le cas du texte ou de l’image. Une autre forme de _making-of_ s’est
développée en France depuis les années 1990, sans revendiquer explicitement cette fonction, c’est celle des « médiateurs », appellation locale de « l’_ombudsman_ ». Qu’il s’agisse de
journaux ou de radios et télévisions, tels _Le Monde_, Radio France, France Télévisions, voire TF1, ces journalistes sont chargés d’accueillir les demandes ou critiques du public et de les
porter à la connaissance des rédactions. Au fil des années, les médiateurs ont transformé les espaces ou moments qui leur étaient réservés pour expliquer, ou faire expliquer, le travail et
les contraintes des journalistes concernés. Les documents publiés par les médiateurs de France Télévisions, chaque année, en sont une bonne illustration(6). Force est en même temps de
constater, au gré des rencontres organisées régulièrement par le petit groupe de ces médiateurs, que leur nombre et leurs moyens évoluent peu et restent par trop limités, au regard de
l’ampleur du doute et des critiques exprimés dans le débat devenu récurrent sur la qualité de l’information. L’INTERACTION AVEC LE PUBLIC SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX Jon Henley, journaliste
senior du _Guardian_, l’expose sans ambages pour son journal : le public est source d’information. Il peut être producteur de contenu, en même temps qu’il va être une forme d’ambassadeur de
celui-ci(7). Et ce n’est donc pas étonnant que le quotidien britannique soit fort d’une équipe d’une vingtaine de journalistes, ayant à sa tête un rédacteur en chef adjoint, pour prendre en
charge cette relation cruciale au public. > Les rédactions doivent être présentes là où se développe la > conversation, sur les réseaux sociaux eux-mêmes À l’heure de la recherche
horizontale d’information et de la post-vérité, il ne suffit plus de publier les meilleures argumentations, validant ou invalidant une information ou un fait. Les rédactions doivent être
présentes là où se développe la conversation, sur les réseaux sociaux eux-mêmes. Il ne s’agit pas seulement de « pousser » des articles, mais d’identifier des points de vue, des sujets
d’interrogation, des témoignages ou assertions qui font le buzz. Il s’agit aussi de plus en plus d’identifier, cultiver un réseau de relais qui, dans la communauté du public, vont porter
l’analyse des faits produits par les rédactions. La question concerne chaque rédaction, qui doit rechercher les modalités qui lui permettront de traduire sur le terrain le fruit des
démarches de mutualisation évoquées plus haut. L’enjeu n’est pas de délivrer un message estampillé « journaliste professionnel », mais de prendre en charge le débat susceptible d’assurer la
crédibilité de l’activité de vérification auprès des publics les plus larges et, notamment, ceux qui sont davantage gagnés par la confusion entre information et opinion. RÉCEPTION ET LIMITES
DE L’IMPACT DU FACT CHECKING Suffit-il cependant de produire les meilleures argumentations possibles, de publier les enquêtes ou dossiers les plus étayés, d’être omniprésents dans les
discussions sur les réseaux sociaux pour gagner la confiance ? C’est tout le volet de la réception des messages envoyés par les médias et de leurs effets qui s’ouvre. Une dimension que les
rédactions connaissent mal, voire sont réticentes à investir. Une dimension qui suppose bien plus que des intuitions, mais un travail de recherche, d’enquête, d’analyse de terrain, demandant
des moyens, des compétences, de sociologues notamment. L’un des ateliers « recherche » de l’édition 2017 des Assises du journalisme en fournissait une nouvelle illustration à propos du
_fact checking_. Laurent Bigot maître de conférences associé à l’École publique de journalisme de Tours (EPJT) et Jason Reifler de l’Université d’Exeter, à partir de leurs recherches
réciproques, soulignent, qu’en fait, le _fact checking_ « renforce plutôt les convictions des convaincus », voire de ceux qui à priori étaient les plus neutres à l’égard des faits analysés,
de ceux aussi qui sont les plus informés. À propos de la campagne présidentielle nord-américaine, Jason Reifler observe que les personnes qui fréquentaient les sites de _fact checking_
dénonçant les « _fake news_ » de Donald Trump étaient les personnes se disant plutôt de sensibilité démocrate. Les autres ne les fréquentaient tout simplement pas. Une fois encore se trouve
confirmé que, dans la réception d’un message et les effets de celui-ci, ce qu’apportent le récepteur et le contexte dans lequel il reçoit sont essentiels dans le décryptage et
l’interprétation qu’il va faire du message. Jason Reifler rappelait ainsi que les révélations sur l’absence d’armes de destruction massive en Irak, en 2003, avaient eu plutôt un effet de
renforcement de leur conviction pour les tenants d’une position pro-guerre aux États-Unis. Ne pouvait-on trouver meilleur argument pour valider l’approche en faveur de l’interaction avec les
publics, sur les lieux même des échanges à propos des informations ? Encore faut-il que les rédactions trouvent les moyens d’échapper au piège que leur tendent les réseaux sociaux. Ce
piège, c’est celui de l’enfermement au sein de communautés rassurantes et confortables, puisque partageant les mêmes valeurs, les mêmes engagements. FACE À LA COMPLEXITÉ, LA RECHERCHE ET
L’EXPÉRIMENTATION En conclusion, confrontés à des situations largement inédites et évolutives, il ne faut pas attendre des médias qu’ils imaginent et mettent en œuvre instantanément des
réponses simples et efficaces. La complexité et l’ampleur de la mutation que traversent nos sociétés et leurs systèmes d’information appellent humilité et engagement. L’humilité demande de
développer des dispositifs de recherche qui évaluent les effets produits par les principales options développées par les médias. L’engagement se situe à la fois dans la volonté de donner les
moyens nécessaires à cette recherche et dans la détermination à réfléchir et expérimenter des approches éditoriales, des démarches journalistiques susceptibles de redonner crédit à
l’information journalistique, et de redonner confiance dans les médias et le traitement de la réalité qu’ils proposent. DE QUOI LES FAKE NEWS SONT-ELLES LE SYMPTÔME ? - ÉPISODE 5/9 Durant la
campagne présidentielle, les réseaux sociaux se sont retrouvés au centre du débat. Alors que certains prétendaient pouvoir y prévoir l’issue du 1er tour d’autres, des militants, s’en sont
servis pour propager rumeurs et propagande. Rencontre avec Nicolas Vanderbiest. DE QUOI LES FAKE NEWS SONT-ELLES LE SYMPTÔME ? - ÉPISODE 4/9 L’engouement récent pour la « post-vérité »
interroge. Des réalités nouvelles seraient-elles apparues pour que de nouveaux mots aient été créés afin d’en rendre compte ? Ou un phénomène ancien, le mensonge, a-t-il su trouver d’autres
masques à l’ère des médias numériques ? DE QUOI LES FAKE NEWS SONT-ELLES LE SYMPTÔME ? - ÉPISODE 2/9 En 2016, après le Brexit et l’élection de Trump, les fake news font leur apparition
médiatique. Facebook et Google sont mis au ban. Si ces fake news font soudain polémique, c’est parce qu’une relation d’interdépendance s’est installée entre réseaux sociaux et médias.