Quand l'opéra se joue au cinéma

Quand l'opéra se joue au cinéma


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Un décret, publié le 19 janvier 2011 au Journal Officiel, encadre la programmation des spectacles non-cinématographiques projetés dans les salles de cinéma, accordant à certaines d’entre


elles des soutiens financiers de la part du CNC.   Fanny Ankri Publié le 02 mars 2011 Dans le cadre de la loi sur l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques,


le gouvernement français a publié le 19 janvier 2011 au Journal officiel de la République française (JORF) un décret qui étend les engagements de programmation des exploitants des cinémas.


Désormais, la représentation commerciale de spectacles non-cinématographiques bénéficiera de soutiens financiers de la part du Centre national de la cinématographie (CNC). Cependant,


relèveront de cette aide uniquement les projections de spectacle à caractère culturel, tandis qu’en seront exclues « les retransmissions sportives, les émissions de divertissement et de


variétés, les émissions autres que de fiction réalisées en plateau, les jeux. » Le décret vise à inciter les exploitants des salles de cinéma à assurer leur transition vers le numérique, via


la programmation de hors-films subventionnée en partie par le CNC, leur permettant de financer leurs équipements et modernisation. Chaque billet vendu sera ainsi taxé de 11 % par le CNC,


qui reversera ensuite aux exploitants des aides pour le bon fonctionnement de leurs salles1. Ce décret intervient après l’autorisation de projection accordée en 2008 aux programmes dits


hors-film, qui correspondent aux nouvelles pratiques qui font irruption dans les salles de cinéma. CielEcran2, première société à proposer du hors-film en salles, organise depuis 2008 des


rediffusions en direct d’opéras, de pièces de théâtre et de matchs sportifs. Ainsi, en mars 2010, la rencontre de rugby entre la France et l'Angleterre a été projetée dans 22 cinémas à


travers l'Hexagone. Les Français ont aussi pu visionner dans les salles obscures des œuvres représentées au Metropolitan Opera de New York, au théâtre du Bolchoï ou à l’Opéra national


de Paris, ainsi que le concert de Julien Clerc en 3D, ou même le concert filmé des Rolling Stones de 1972 entièrement remasterisé3.4CGR, circuit de salles comptant 387 écrans, a également


créé la société Côté Diffusion, consacrée à la retransmission d'événements, qui se fournit en contenu de « substitution » pour les jours creux et ne propose quasiment que du différé, à


l'opposé de ce que fait CielEcran. Selon Marc Welsink, le directeur de CielEcran, ce marché tout neuf est croissant. L’ensemble du hors-film est estimé à 0,3 % des entrées, une part de


marché qui « pourrait s’élever à 0,8 %, voire 1%.» Ces programmations hors-films, certes émergentes, fonctionneraient donc relativement bien, avec 137 000 entrées en salles en 2009 (2,21


millions d'euros de recettes guichet) et plus de 106 000 entrées sur les sept premiers mois d'exploitation 2010 (1,8 million d'euros de recettes guichet). Même si quelques


opéras ont été programmés, ce sont les matchs sportifs ou bien encore les programmes audiovisuels de flux (variétés, jeux, etc.) qui ont représentés la plus grande part des recettes, des


catégories de programmes désormais exclues de soutiens financiers par le récent décret du gouvernement. La présidente de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, Michelle


Tabarot, qui a présenté à l’Assemblée nationale le 15 juin 2010 le projet de loi, a souhaité rappeler les aspects positifs de l’équipement en numérique des salles de cinéma pour l’industrie


cinématographique. Le numérique autorise ainsi une diversification de l’offre et l’aide à la numérisation constituerait l’une des réponses possibles aux inquiétudes dues au recul de


fréquentation des petites salles de cinéma. Avec cette nouvelle réglementation, la France, qui dispose du 1er réseau de salles de cinéma d’Europe et du 4ème mondial, poursuit


l’investissement dans les technologies numériques et, dans ce prolongement, adapte les salles de cinéma à ces nouveaux outils. Sous l’impulsion du cinéma en 3D, notamment suite au succès du


film Avatar, plus de 1 100 écrans parmi les 5 470 que compte le parc français se sont équipés d'un projecteur numérique. La hausse s’élèverait à 283 % depuis 2007. Grâce à la mutation


numérique, ce sont les programmations des cinémas qui sont désormais étendues. Cette volonté des pouvoirs publics, de poursuivre l’équipement en numérique des salles et de diversifier


l’offre culturelle des cinémas, s’inscrit dans le cadre de la politique de la démocratisation du ministère de la Culture. La salle de cinéma apparaît alors comme un outil efficace, en tant


qu’établissement culturel de proximité, ouvert et accessible, fréquenté par différentes tranches de la population, en terme d’âge et de catégorie sociale. Notons à ce titre que la


fréquentation des salles obscures françaises est aujourd’hui au plus haut depuis 1967 avec 206,5 millions d'entrées tous films confondus en 2010, dont 16 % pour les films en 3D. La SACD


(Société des auteurs et des compositeurs dramatiques), qui a souligné que la numérisation des salles permet la préservation de la diversité de l’offre culturelle, s’est félicitée du choix


des pouvoirs publics « d’une politique ouverte qui ne pénalise pas les exploitants souhaitant diffuser, dans le respect de leurs engagements de programmation, des œuvres du spectacle vivant


et de l’opéra ». Si voir un opéra sur grand écran n’est pas le même type d’expérience artistique que celle qui est vécue sur place dans la salle de l’Opéra de Paris ou du Metropolitan de New


York, ce type de diffusion permettrait néanmoins un renouvellement du public. Un art tel que l’opéra, plus souvent réservé à une élite, voit sa fréquentation en baisse, tandis qu’un million


de spectateurs ont pu visionner dans 600 salles de cinéma à travers 17 pays l’opéra comique de Donizetti « La Fille du régiment », retransmis le 26 avril 2010 en direct depuis le


Metropolitan Opera de New York. Source de revenus non négligeable pour les cinémas, le prix d’un billet pour une œuvre d’opéra est vendu à 20 euros en moyenne, largement plus cher que le


prix d'entrée d’un film. Selon Jocelyn Bouyssy, le directeur général du groupe de cinéma CGR, « les événements proposés amènent des recettes additionnelles. Cela permet de proposer à la


province des spectacles qui coûteraient cher à son public s'il devait se rendre à Paris, à New York ou à Londres pour les voir. » Le projet, bien que salué par la Fédération nationale


des Cinémas, a cependant suscité de vifs débats et inquiétudes, notamment auprès de certains cinéastes émanant de l’ARP (société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs), et du


Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc). Selon l’ARP, cette nouvelle concurrence du marché du hors-film présente le risque de mettre à mal l’exposition déjà difficile de


l’ensemble des films français sur les écrans, avec en moyenne 600 films inédits sortis en France chaque année. Or, dans un contexte de crise des écrans, la rotation des films est accélérée


et la fréquentation concentrée sur quelques titres5. Florence Gastaud, déléguée générale de l’ARP, explique : « Il ne faut pas que le hors-film prenne la place des écrans qui pourraient être


dévolus au film. Or, il y a un risque que, non seulement certains films soient encore davantage surexposés avec les possibilités de la copie numérique, mais que le sport et le spectacle


prennent quant à eux le peu de place restante. » La multiplication de programmations non cinématographiques au cinéma inquiète aussi une partie des distributeurs de films, notamment les


indépendants qui produisent majoritairement des films d’art et d’essai. Certains d’entre eux ont par exemple été scandalisés de voir l’un de leurs films déprogrammé en faveur du match de


football France-Biélorussie ou de l'émission Nouvelle Star diffusée en 3D dans certaines salles parisiennes. Par conséquent, la diversification de l’offre culturelle -objectif de départ


de ces hors-films au cinéma- ne doit pas avoir pour effet de proposer des programmations trop étendues, au risque d’effacer les frontières entre ce qui relève des productions artistiques et


ce qui appartient au champ du pur divertissement. C’est pourquoi le décret limite l’extension de ce type de projection, en choisissant de ne pas encourager les manifestations sportives, les


jeux et les émissions de télévisions, ne soutenant que les représentations de spectacles culturels. -- Crédits photo : woody 1969. * 1Via le fonds de soutien à la création cinématographique


géré par le Conseil national du cinéma. * 2Filiale d’Europalace (alliance de Pathé et Gaumont). * 3Cette avant-première du concert avait été diffusée avant sa sortie en DVD dans une


trentaine de salles de cinéma à travers la France. * 4 * 5Pour comprendre les stratégies économiques de la filière cinématographique, lire économie du cinéma , Laurent Creton, éditions


Armand Colin, 2009.