Comment la presse locale a dévoilé d’autres bétharram

Comment la presse locale a dévoilé d’autres bétharram


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© Crédits photo : montage La Revue des médias À la suite du scandale de Bétharram, des médias locaux ont mis au jour de nouvelles affaires de violences dans des établissements privés


catholiques. Face à l’afflux des témoignages, ils s’organisent pour poursuivre leurs enquêtes. Tom Sallembien Publié le 14 mars 2025 _« Y aurait-il parmi vous d'anciens élèves internes


du collège de Garaison ? _» Dans la journée du 16 février 2025, un certain Phi S. poste ce message sur le groupe Facebook « 65 ». Bien connu dans le département des Hautes-Pyrénées, on y


trouve habituellement toutes sortes d’informations sur les nouveaux spectacles, les entreprises locales, ou des habitants en demande d’aide. Derrière son écran, Patrick Sacristan tilte. Le


nom du collège résonne dans l’esprit du rédacteur en chef de l’hebdomadaire _La Semaine des Pyrénées_. Plus jeune, il connaissait Garaison comme un établissement catholique où certains


parents envoyaient leurs « _enfants_ _difficiles_ », ayant « _du mal avec les études_ » : « _Ce qu’on entendait, c’est que c’était dur, mais ça avait plutôt une bonne réputation_ »,


résume-t-il. Aujourd’hui quinquagénaire, il se souvient du moment où cette réputation s’est fissurée pour la première fois. Juin 2009 : la cour d’assises des Hautes-Pyrénées condamne Bernard


Gouesbet, ancien surveillant de 52 ans, à quatorze ans de prison pour des atteintes sexuelles et des viols sur plusieurs mineurs. Parfois perpétrés au sein même de l’institution Notre-Dame


de Garaison. _« Je n’avais pas de souvenirs précis de ce procès mais je savais que ça avait existé. On savait qu’il s’était passé des choses à Garaison à une certaine période_ »,


raconte-t-il. Un autre détail attire l’attention du journaliste : l’internaute a publié ce message le lendemain de la rencontre entre l’association des victimes du collège-lycée Notre-Dame


de Bétharram et le Premier ministre François Bayrou, dont _Mediapart_ a affirmé, le 5 février, qu’il était au courant d’accusations visant l’établissement. « IL Y AURA D’AUTRES BÉTHARRAM »


Patrick Sacristan décide de garder un œil sur ce post, « _pour voir ce que ça allait donner_ ». Très vite, de nombreux commentaires apparaissent. On y mentionne un tympan déchiré, des gifles


et des attouchements. Un portrait accablant de l’institution entre 1960 et 1990 se dessine. Le journaliste identifie certaines connaissances parmi les auteurs des différents messages : « 


_Ça n’avait pas l’air d'être des gens qui racontent n'importe quoi. »_ Après quelques coups de fil pour vérifier les témoignages, l’hebdo publie un premier article sur son site


Internet. Trois jours après leur publication, ces révélations trouvent un écho lors d’une conférence de presse nationale, tenue par Alain Esquerre, porte-parole de l’association des victimes


de Bétharram. « _Il y a d’autres signalements sur des établissements voisins de Bétharram ? On parle davantage de Garaison_ », demande un journaliste. Alain Esquerre acquiesce : « _On sait


que là-bas, c’était très dur également _», avant d’ajouter : « _Je pense qu’il y aura d’autres Bétharram qui vont se manifester, parce que la parole est en train de se libérer. _» Lorsqu’il


évoque ensuite d’autres établissements catholiques, dont celui de Cendrillon (Notre-Dame du Sacré-Cœur) à Dax, la rédaction d’Ici Gascogne (ex-France Bleu) entre en alerte, prévenue par des


journalistes en permanence. À Mont-de-Marsan, dans les locaux de la radio publique, Stéphanie Hildenbrandt se charge de chercher des témoignages d’anciens élèves du collège dacquois : « 


_L'idée, c’est d’aller à la pêche_ », explique la journaliste. Une tâche difficile : fusionné en 2003 avec un autre établissement, Cendrillon n’existe plus. Tous les témoignages sur les


réseaux sociaux sont anonymes. Elle lance des « _bouteilles à la mer_ » sur ces mêmes plateformes. En vain. Alain Esquerre lui fournit le contact d’une des victimes de Cendrillon. Au


téléphone, Marc*, 75 ans, se montre très réticent : « _Il tourne autour du pot et a du mal à nommer les choses_ », raconte Stéphanie Hildenbrandt. Son frère et lui, scolarisés à Cendrillon


entre 1960 et 1965, ont porté plainte en 2020 pour des faits prescrits. Marc dénonce à l'époque des agressions sexuelles. Son frère Philippe, des viols. VAGUES DE TÉMOIGNAGES La radio


locale diffuse d’abord le témoignage de Marc. Le lendemain, celui de son cadet et d’un auditeur, qui dénonce des violences physiques dans le même collège. « _Après chaque diffusion, des


auditeurs nous appelaient pour témoigner. Nous avions des nouveaux éléments chaque jour_ », se souvient la journaliste. Elle l’admet : « _Bétharram a délié des langues_ ». Mais au téléphone,


beaucoup restent « _frileux_ » : « _Certains affirment que c’était l’époque qui voulait ça, qu’ils n’en sont pas morts. Et il y a encore cette pudeur. Tout le monde se connaît, et on se


doutait de choses._ » Car à l'instar de Garaison, Cendrillon a aussi sa réputation. « _Quand j’en parle autour de moi, on me dit : “On savait, on a tous été menacés d’aller à Cendrillon


si on n’était pas sage_” », assure Stéphanie Hildenbrandt. > « _Les victimes du territoire viennent peut-être plus facilement > vers le journal local que vers le média national_ »


Dans les Hautes-Pyrénées, le premier article de Patrick Sacristan sur Garaison a aussi déclenché une vague de témoignages. Depuis les premières révélations, une plainte a été déposée pour


viols. Un collectif d’une quarantaine d’anciens élèves se disant victimes de sévices s’est formé. Son enquête est « _pass[é]e à une autre étape_ », depuis que des témoignages dénoncent des


violences exercées par le directeur et certains membres du personnel actuel. L’affaire a vite intéressé les médias nationaux, dont la cellule investigation de Radio France, qui avait déjà


complété l’enquête concernant les faits datant des années 1960. Lorsque la radio demande à Patrick Sacristan les contacts des élèves et professeurs mettant en cause l’équipe actuelle de


l’établissement scolaire, il s’enquiert de leur accord. Mais « _personne n’a accepté de témoigner auprès d’eux_ ». Il suppose : « _Les victimes du territoire viennent peut-être plus


facilement vers le journal local que vers le média national_. » MOBILISATION Face à l’afflux de témoignages, _La Semaine des Pyrénées a_ dû s’adapter. « _On est un petit journal, avec


seulement cinq journalistes. On n’a pas les moyens d’avoir une cellule d’investigation comme les médias nationaux_ », pointe son rédacteur en chef. Certains sujets ont été mis de côté, et


Patrick Sacristan s’est consacré_ _exclusivement à cette affaire_ _pendant une semaine_._ Une mobilisation inhabituelle pour un journal de cette taille : « _Des sujets comme ça, c’est très


exceptionnel_. » Idem chez _Ici Gascogne_. « _En local, on a l’habitude d’être sur plusieurs fronts, plusieurs sujets_ », explique Stéphanie Hildenbrandt. Mais pour une « _histoire délicate_


 » comme celle du collège Cendrillon, la journaliste a eu plus de temps. Afin de « _vérifier les liens et les informations_ », pour être « _sûre de ce qu’elle sortait_ ». « _C’est


gratifiant, de pouvoir prendre le temps de parler avec les victimes, de mener une enquête de fond. On sent qu’on fait un travail d’utilité publique_ », affirme-t-elle. RÉACTION EN CHAÎNE La


réaction en chaîne entraînée par les révélations sur Bétharram touche aussi la Bretagne. Dans la soirée du 21 février, un membre du collectif de Bétharram appelle la rédaction du


_Télégramme_. L’homme affirme qu’après son passage dans l’établissement béarnais, il a « _vécu l’enfer_ » dans un autre collège près de Brest, sans se souvenir de son nom ou de son


emplacement exact. Au même moment, un Brestois poste un message sur les réseaux sociaux, annonçant qu’il envisage de créer un collectif d’anciens élèves du collège Saint-Pierre, au


Relecq-Kerhuon. La victime de Bétharram percute. C’est bien à Saint-Pierre qu’il s’est « _littéralement fait massacrer_ ». « _Le créateur du collectif est quelqu’un que j’avais connu il y a


fort longtemps, quand j’étais à la locale de Brest, et qui me confirme tout_ », raconte Hervé Chambonnière, journaliste au _Télégramme_. Un collègue de la rédaction de Brest publie un appel


à témoignage sur les réseaux sociaux. Il reçoit sept messages. Tout concorde : les noms, les dates, lieux et sévices endurés. Dès l’ouverture de son article, qui paraît le 26 février, Hervé


Chambonnière questionne la comparaison avec l’affaire Bétharram : « _S’agit-il d’échos isolés aux effroyables récits d’anciens élèves de l’école privée de Bétharram, près de Pau, dans les


Pyrénées-Atlantiques ?_ » Il raconte avoir fait « _très attention_ », en l’absence du « _volet sexuel_ » dans le cas de Saint-Pierre. Dans le Finistère, le collectif d’anciens pensionnaires


du collège Saint-Pierre réunit à ce jour plus d’une centaine de membres, affirme Hervé Chambonnière. « _Après Bétharram, je me suis dit que ça allait rapidement faire une envolée à la Metoo.


 »_ Deux semaines après son premier article, le journaliste nous dit recevoir chaque jour de nouveaux témoignages. _*Marc est un prénom d'emprunt._