Senscritique et babelio : comment la lecture sociale évolue-t-elle?

Senscritique et babelio : comment la lecture sociale évolue-t-elle?


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Engagées depuis quelques années sur le web, Babelio et SensCritique sont deux start-up dynamiques. La première est exclusivement dédiée aux livres, tandis que la seconde met en avant


plusieurs univers culturels (livres, cinéma, séries TV, musique, jeux vidéo). Ces plateformes agrègent des avis et des évaluations, mettent les internautes en relation et proposent des


moteurs de recommandation automatisée qui suggèrent des idées d’œuvres à partir de l’identification des préférences. Co-fondateur de Babelio en 2007, Pierre Fremaux travaille sur


l'évaluation des projets de recherche et sur les interfaces homme-machine, tandis que Guillaume Boutin, co-fondateur de SensCritique en 2011, est responsable de la monétisation et des


partenariats. Tous deux nous expliquent le fonctionnement de ces réseaux sociaux de lecteurs. _QUELLE INFLUENCE EXERCE VOTRE RÉSEAU SOCIAL SUR LA TRAJECTOIRE D’UNE ŒUVRE ? AVEZ-VOUS OBSERVÉ


DES EXEMPLES D’ŒUVRES DONT LA NOTORIÉTÉ A EXPLOSÉ GRÂCE AU BOUCHE-À-OREILLE SUR LE SITE ?_ PIERRE FREMAUX : Le bouche-à-oreille est un vecteur historique remarquable de diffusion du livre,


Babelio ne fait que transférer sur Internet ces mécanismes de prescription entre lecteurs. Mais ce faisant, cela rend visible les échanges, cela les inscrit durablement comme écrits


accessibles à tous et permet de faciliter les recommandations entre amateurs de livres. Plus prosaïquement, Babelio exerce une influence d'une double nature : il est pour les grands


lecteurs un outil de découverte via des échanges entre passionnés de livres, et pour l'internaute de passage la première base d'informations sur les livres, avec notamment 500 000


critiques de lecteurs. Nous avons étudié la progression de titres via le bouche-à-oreille et on voit qu'il concerne principalement 3 types d'œuvres : les best-sellers de


littérature générale pour lesquels les lecteurs initient ou entretiennent le succès en parallèle des médias traditionnels (ex : David Foenkinos), des nouveaux auteurs découverts au premier


roman par les lecteurs, comme Joël Dicker, ou encore des auteurs de genre comme Antoine Rouaud avec _Le livre et l'épée_ ou _Avant Toi_ de Jojo Moyes. GUILLAUME BOUTIN : Nous avons


pensé SensCritique en partant du constat que le levier le plus important pour consommer une œuvre culturelle est le bouche-à-oreille. Rien n'est plus efficace que le conseil d'un


proche vous encourageant à voir un film ou à lire un livre. Ainsi le site est fait de telle manière que, si votre entourage, voire la communauté, interagit de manière importante avec une


œuvre, vous serez forcément au courant de l'intérêt qu'il lui porte. On a pu constater récemment ce phénomène avec le film _Her_ de Spike Jonze. C'est le film le plus


populaire de l'année sur SensCritique. Il s'est diffusé grâce au bouche-à-oreille très positif qu'il a reçu. Avant sa sortie, il était déjà attendu par quelques centaines de


personnes, curieuses de l'œuvre, alors même que le distributeur communiquait peu dessus. Les premiers retours ayant été particulièrement positifs, le phénomène s’est amplifié et le film


est devenu le plus populaire de cette année et aussi l’un des mieux notés. _À L’INVERSE, AVEZ-VOUS DÉJÀ ÉTÉ CONFRONTÉ À UN « BAD BUZZ », C’EST-À-DIRE À UN PHÉNOMÈNE DE BOUCHE-À-OREILLE


NÉGATIF QUI AURAIT CONCERNÉ UNE ŒUVRE OU UN AUTEUR ?_ PIERRE FREMAUX : Quelques éléments chiffrés tout d'abord : il y a 7 fois plus de critiques très positives que très négatives sur


Babelio, et les avis positifs sont jugés plus utiles (appréciés par 3,5 lecteurs en moyenne) que les avis négatifs (appréciés par 2,2 lecteurs en moyenne). On peut se risquer à interpréter


ces chiffres en disant d'une part, que la lecture d'un livre est un investissement important en temps, pour lequel les lecteurs sur Babelio se renseignent beaucoup en amont afin


d'éviter la déception et, d'autre part, que les réseaux de lecteurs sont plus un outil de qualification que de disqualification. Un échec éditorial vient d'un livre qui ne


trouve pas son lectorat plus que d'un livre très lu mais qui ne plaît pas. GUILLAUME BOUTIN : Bien sûr, cela peut arriver et ça aide à mettre en garde les internautes contre une œuvre «


 polémique ». Ainsi nous avions noté une très forte attente sur la série _Marvel’s Agent of Shield_. La puissance de la licence Marvel est telle que leurs productions sont toujours très


attendues. Mais en l'occurrence, les premiers retours mitigés sur le site ont clairement fait chuter les attentes des internautes. _COMMENT LES AVIS DES INTERNAUTES SONT-ILS DISTRIBUÉS


SUR VOTRE RÉSEAU ? EST-CE QU’ILS SE CONCENTRENT SURTOUT SUR LE « STAR SYSTEM » OU SUR DES ŒUVRES MOINS CONNUES, QUI BÉNÉFICIENT DU PHÉNOMÈNE DE « LONGUE TRAÎNE » ? _ PIERRE FREMAUX : Nous


n'avons pas réalisé d'étude sur la distribution exacte des avis de lecteurs. Néanmoins les livres les plus critiqués sur Babelio font aussi mécaniquement de très bonnes ventes :


_Hunger Games_ de Suzanne Collins, _Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates_ d'Annie Barrows et _La vérité sur l'affaire Harry Québert_ de Joël Dicker étant


sur le podium. Mais le _star system _des plus critiqués n'est pas le même que celui des plus lus sur Babelio (_Le Petit Prince_ ou _L'Étranger_ par exemple) et reste encore


différent des meilleures ventes : la typologie des livres sur lesquels on s'exprime est particulière. Par ailleurs, il y a clairement un phénomène de longue traîne avec 600 000 œuvres


différentes lues par les membres de Babelio, dans des styles très diversifiés, des sous-genres du manga à la philosophie antique, en passant par la littérature jeunesse. GUILLAUME BOUTIN :


On retrouve la fameuse règle du 80/20, à savoir que 20 % des œuvres concentrent 80 % de l'activité. Néanmoins, on observe de vrais engouements sur certaines œuvres peu connues ou


sorties il y a longtemps, notamment les jeux indépendants ou les grands classiques cinématographiques que les plus jeunes ne connaissent pas. C'est une des forces du site que


d'amener nos membres à s'intéresser à des œuvres moins connues : si un ami vous encourage à voir un film peu connu et/ou sorti il y a longtemps, il y a de fortes chances que vous


suiviez son conseil. _BABELIO ET SENSCRITIQUE PROPOSENT DES SYSTÈMES DE CONTACTS (AMIS, ÉCLAIREURS). DE QUELLE FAÇON LES INTERNAUTES LES UTILISENT-ILS ? _ PIERRE FREMAUX : Historiquement,


Babelio proposait un système asymétrique où l'on pouvait suivre l'activité d'un lecteur (découvrir ses dernières lectures, ses avis littéraires, les chroniques qu'il ou


elle a appréciées, etc.) sans être suivi. Mais les lecteurs souhaitant échanger et converser horizontalement, nous proposons désormais un lien symétrique qui favorise les interactions. Pour


reprendre une métaphore du monde physique, les relations sur Babelio s'apparentent davantage à des amitiés littéraires qu'à la lecture des chroniques d'un journaliste. Et nous


constatons que le système de contact est ainsi largement prolongé, par des messages privés ou publics. GUILLAUME BOUTIN : Concrètement, c'est vous qui choisissez quel est votre


bouche-à-oreille : vous décidez de suivre des membres qui deviennent vos éclaireurs. On commence généralement par suivre ses amis présents sur le site (l'inscription Facebook facilite


leur recherche) et très vite SensCritique vous conseille de nouveaux éclaireurs avec lesquels vous avez de bonnes affinités en livres, en films, en séries, etc. Libre à vous également


d'ajouter en éclaireurs des membres croisés au hasard de la navigation. Ce bouche-à-oreille organisé autour de vos éclaireurs se retrouve partout sur le site : vous suivez leur activité


et êtes ainsi êtes au courant de leurs derniers coups de cœur ou de leurs attentes, mais vous retrouvez aussi les notes et les avis détaillés de vos éclaireurs sur la fiche d'une


œuvre, à côté de sa note globale, par exemple. _DES BLOGS AUX FORUMS DE DISCUSSION EN PASSANT PAR LES AVIS POSTÉS SUR DES SITES D’E-COMMERCE, LES ESPACES DE RECOMMANDATION CULTURELLE ONT


BEAUCOUP CHANGÉ DEPUIS LES DÉBUTS DU WEB. AUJOURD’HUI, LES RÉSEAUX DÉDIÉS À LA CULTURE CONNAISSENT UN SUCCÈS GRANDISSANT ET DIVERSIFIENT LES OUTILS QU’ILS PROPOSENT. QUELLES SONT LES


PROCHAINES ÉVOLUTIONS EN VUE ? _ PIERRE FREMAUX : Nous pensons tout d'abord que ces espaces sont aujourd'hui plus structurés et pérennes qu'ils ne l'étaient par le passé,


à la fois car les usages sont maintenant inscrits durablement dans les habitudes des lecteurs et car des modèles économiques ont été trouvés qui permettent de maintenir et améliorer notre


plateforme. Les prochaines évolutions sont potentiellement de plusieurs ordres. De plus en plus de lecteurs seront amenés à utiliser ces réseaux pour découvrir leur prochaine lecture, nous


prévoyons donc de nous adapter aux différentes plateformes : en mobilité avec des applications dédiées ou au cœur du livre en favorisant les passerelles entre le livre numérique et notre


réseau de lecteurs ; mais aussi aux différents usages : au delà des critiques de lecteurs, nous devons trouver des moyens de découverte qui répondent à des questions plus ouvertes telles


qu'on en pose au-delà d'Internet, permettant par exemple de trouver « les bandes dessinées sur le Moyen Âge qui pourraient plaire à un enfant d'une douzaine d'années ».


Enfin, nous pensons que ces réseaux sociaux seront amenés à dynamiser les échanges entre lecteurs et auteurs. Le défi est autant celui de la technologie que du lien social. GUILLAUME BOUTIN


: SensCritique a pour but de vous accompagner au mieux dans vos découvertes culturelles. La magie opère, mais aujourd'hui nous sommes surtout présents sur le web. Nos évolutions vont


donc être concentrées sur les usages, c'est-à-dire sur l'expérience SensCritique en mobilité, au-delà de la webapp que nous proposons déjà. Une application native smartphone est


prévue bientôt sur iOS et Android, et nous travaillons sur des expériences tablettes (iPad) pour l'année prochaine. Nous souhaitons être présents partout où nos utilisateurs le sont,


donc nous allons également faire une incursion au sein de certaines box TV. En parallèle, nous allons essayer d'accompagner les offres légales de consommation dématérialisée, en donnant


aux internautes la possibilité de visionner une œuvre directement à partir de SensCritique sur l'ensemble des services proposant une offre légale.