
Twitch, nouveau terrain d’expérimentation des médias d’information
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France Télévisions a diffusé une émission sur les vaccins en live sur Twitch le 22 janvier 2021. France Télévisions, _Ouest-France,_ Arte, TF1... Ils se lancent ou envisagent de se lancer
sur Twitch, la plateforme de diffusion en direct (_streaming_) de jeux vidéo. Plus que l'exploration de nouveaux formats, il s'agit pour ces médias d'expérimenter une
interaction directe avec leur public et de construire une communauté. Vincent Carlino Publié le 17 février 2021 Dans les domaines de l’innovation et du journalisme numérique, Twitch
s’inscrit comme une nouvelle tendance du début de l’année 2021. Initialement investie par les _gamers,_ la plateforme s’est plus largement inscrite dans les usages numériques pendant le
premier confinement. Si le jeu vidéo y occupe toujours une place importante, d’autres types de contenus y trouvent désormais leur place : musique, cuisine, activités manuelles, mais aussi
l’actualité. L’arrivée remarquée du journaliste Samuel Étienne sur la plateforme cristallise l’intérêt que la communauté de Twitch porte à l’actualité, mais aussi celui des journalistes
vis-à-vis de la plateforme. En lançant une revue de presse régulière qui rassemble quotidiennement plus de 15 000 _viewers,_ le journaliste et animateur semble ouvrir un nouveau point de
contact entre internet et la télévision. Quelques semaines après son arrivée sur Twitch, France Télévisions diffusait une émission en direct consacrée à la vaccination. D’autres médias,
comme Sciences & Avenir ou Ouest France, y ont également des émissions. Arte et TF1 devraient lancer les leurs en mars. Faut-il y voir un épisode de plus dans les interactions entre
médias et plateformes numériques ? Pas seulement. Au-delà de la diffusion en direct, son principal apport réside dans un espace en marge des vidéos et pourtant central : le chat. Alors que
les autres plateformes numériques ouvrent la voie à de nouveaux formats pour écrire et raconter l’actualité (stories, vidéo face caméra, etc.), Twitch se fonde sur l’interaction avec le
public. Pour les médias, cela implique d’entrer dans une démarche d’expérimentation pour définir ce qu’ils peuvent faire avec leurs publics et comment. LE RAPPORT AU PUBLIC AU CŒUR DES
RAPPROCHEMENTS ENTRE TWITCH ET MÉDIAS Avant la montée en popularité de la plateforme, plusieurs médias s’y sont essayés. _Le Figaro_ a diffusé sur Twitch des contenus de son portail Figaro
Live tandis que _Le Monde_ a créé une chaîne pour sa rubrique Pixels. À l’échelle internationale, le Washington Post a lancé sa chaîne en 2018 pour couvrir des événements en direct et
SkyNews a diffusé plusieurs débats politiques. La plupart de ces chaînes ont en commun d’avoir été actives à la période de l’essor du contenu hors-gaming sur Twitch. Elles sont aujourd’hui
inactives car elles se fondent sur une diffusion d’événements en direct et non sur une expérience de streaming de contenus en lien avec l’actualité. L’intérêt des médias pour Twitch n’est
donc pas nouveau, mais il a été renouvelé par l’arrivée de journalistes qui en ont adopté les codes. Contrairement à d’autres plateformes numériques dont les journalistes ont adopté les
formats dans une démarche d’innovation, Twitch est fondée sur l’interactivité et l’inclusion des publics par l’intermédiaire du chat en direct. Bien que la page d’accueil de la plateforme
propose des streams populaires, son algorithme de recommandation se fait moins fortement sentir que ceux de YouTube ou Instagram. C’est moins l’algorithme qui détermine le succès des
contenus que les mouvements de communautés d’une plateforme à l’autre — les streamers annoncent leurs diffusions sur Twitter et _via_ les notifications de Twitch. Ces mouvements se sont
particulièrement donnés à voir avec le succès de « La Matinée est tienne » qui regroupe des spectateurs qui suivent Samuel Étienne sur Twitter, à travers ses émissions matinales sur France
Info et France 2, mais aussi « Questions pour un champion » ainsi que ses nombreuses participations aux « Nuits de la culture » organisées par le streamer Étoiles. Autrement dit, diffuser
sur Twitch n’implique pas forcément de concevoir un nouveau format, mais de penser ce que l’on souhaite faire _avec_ la plateforme et la communauté que l’on compte bâtir. Pour Jean Massiet,
fondateur de la communauté Accropolis,_ « venir sur Twitch pour un média nécessite de poser la question du rapport qu’on a avec son propre public »_. Il s’agit d’imaginer et de projeter la
place que peut occuper le public dans le stream sans le réduire à une audience (l’intérêt pour les plateformes est souvent motivé par le fait qu’elles sont prisées des jeunes publics) ni à
ensemble d’individus réceptifs au discours du journaliste dans une relation certes participative, mais verticale. Historiquement, Twitch est une plateforme de diffusion en direct
(_streaming_) de jeux vidéo. Les joueurs diffusent leurs parties qu’ils commentent en direct tout en se filmant. La plupart des diffusions comprennent une captation en direct des images du
jeu, ainsi qu’un retour vidéo du joueur ou de la joueuse (_via_ sa webcam) pour observer ses réactions. Le _stream_ ne se limite donc pas à la diffusion de jeux vidéo en direct. Il désigne
une expérience qui allie une ACTIVITÉ, son COMMENTAIRE, et une INTERACTION permanente avec les spectateurs (_viewers_) à travers le chat. La combinaison de ces trois facteurs caractérise les
usages rendus possibles (ou « affordances ») de la plateforme orientée vers la constitution de communautés réunies autour d’intérêts voire de passions communes, expérimentées en direct. Ces
passions se sont limitées aux jeux vidéo, jusqu’à ce que la plateforme ouvre la voie aux contenus « hors gaming » en 2017, avec la catégorie Discussion (_Just Chatting_). D’abord utilisée
pour catégoriser des _streams_ exceptionnellement consacrés à d’autres activités que la diffusion de jeux vidéo, des créateurs investissent la catégorie Discussion pour proposer des contenus
sur d’autres types d’activités. Parmi eux, des journalistes et/ou éditorialistes proposent à leurs _viewers_ des revues de presse généralistes ou thématisées, des commentaires d’actualité
en direct, des débats, voire des émissions spécialement pensées pour la plateforme. C’est le cas de Jean Massiet, révélé avec ses streams sur les débats à l’Assemblée nationale et qui
discute régulièrement d’actualité avec ses _viewers._ Connus pour leur émission « Ouvrez les guillemets » sur la chaîne YouTube de Mediapart, Usul et OstPolitik abordent aussi des
thématiques d’actualité sur Twitch. Le premier propose des revues de presse thématiques ou encore la lecture commentée de longs articles (issus de Mediapart, du Monde Diplomatique, etc.),
tandis que le second a créé une matinale radio spécialement pensée pour être diffusée sur Twitch. Notons aussi que des streamers spécialisés dans d’autres domaines proposent aussi des
rendez-vous matinaux, à l’image de Flonflon musique qui revient sur l’actualité musicale ou encore du Fils de pub qui propose une revue de presse « des bonnes nouvelles ». L’actualité était
donc déjà présente avant que des médias et des journalistes ne décident d’investir la plateforme. Des contenus se sont développés en marge des médias en s’inspirant de codes initialement
développés avec le streaming de jeux vidéo. Sur Twitch, plus que les contenus streamés, ce sont des éléments liés aux streamers qui déterminent la construction de communautés et leur succès
sur la plateforme. Les spectateurs sont ainsi sensibles au style de présentation, à la personnalité, au ton employé, ainsi qu’aux références utilisées qui construisent un rapport authentique
avec leur communauté. Plusieurs streamers se sont lancés pour trouver leur ton et bâtir des communautés autour de l’actualité. Matinalier sur Twitch depuis un an, OstPolitik se réjouit de
cette évolution : _« On attire des publics différents, mais plus il y aura de gens qui lisent de la presse sur Twitch, mieux ce sera. On a chacun notre style, notre communauté, notre façon
de faire. Il y a des angles et des thèmes pour tout le monde. »_ Cette relation permet aussi d’impliquer davantage les publics dans la construction de l’information, si bien que des
journalistes (ré)investissent la plateforme. Ainsi, Aude Favre propose de débunker des « fake news » et théories du complot avec ses _viewers,_ tandis que Hugo Travers a interviewé en direct
la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, en recueillant des témoignages sur la détresse des étudiants au sein de sa communauté. ACCEPTER L’EXPOSITION
DIRECTE AVEC SON PUBLIC La dynamique propre à Twitch rend difficilement réplicable les initiatives de journalistes-streamers d’un média à l’autre. L’enjeu réside dans la capacité à
rassembler les communautés qu’ils agrègent en fonction des plateformes et médias sur lesquels ils s’expriment. Le streaming d’actualité s’effectue à la marge des médias, autour d’individus
qui développent l’intérêt et les compétences nécessaires pour produire du contenu de façon régulière. Comme le souligne Éléonore Gay, directrice adjointe de la rédaction de France
Télévisions, _« Twitch s’inscrit dans l’écosystème de l’information du média. Ce qu’on fait sur les plateformes finit par avoir un impact sur notre façon de concevoir le journal télévisé »_.
Cela implique de penser les connexions et les mouvements entre les diffusions _broadcast_ et les plateformes, comme lors de ce 20 heures de France 2 qui a relié deux journalistes d’espaces
médiatiques différents le temps d’un stream : Samuel Étienne et Laurent Delahousse. Pour les médias d’information, produire du contenu sur Twitch nécessite aussi d’accepter l’exposition
directe avec son public, ainsi que de s’investir pour construire une communauté autour de valeurs communes. Au-delà des enjeux purement économiques (pour l’instant, Twitch ne noue pas de
partenariat avec ces médias), cela nécessite une certaine acculturation des journalistes habitués à produire des contenus « pour » leurs publics, afin qu’ils les produisent « avec » eux.