
Vendée globe : 40 skippers, et autant de producteurs de contenu
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Les skippers du Vendée Globe doivent envoyer photos et vidéos à la société organisatrice de la course, mais possèdent aussi leur propre canal de communication, le plus souvent Instagram. ©
Crédits photo : montage La Revue des médias Les marins participant à la 10e édition de cette course en solitaire sont tenus de partager photos et vidéos de leurs aventures. Si certains sont
très à l’aise avec l’exercice, d’autres regrettent une course aux images. Virginie de Rocquigny Publié le 08 novembre 2024 Manœuvrer, scruter les fichiers météo, réparer la casse, essayer
de dormir, de manger, le tout à bord de voiliers ultrapuissants (Imoca) et sans oublier d’appuyer sur le bouton Rec. Le 10 novembre, les 40 marins qualifiés pour le Vendée Globe quittent les
Sables-d’Olonne en solitaire, prêts à partager leur aventure au jour le jour. Le suivi médiatique de la plus exigeante des courses au large repose en partie sur les skippers, à coups de
vidéos tournées à bout de bras et tachées d’embruns. La communication a toujours fait partie de la course au large. Les marins s’y prêtent avec plus ou moins d’aisance et de plaisir.
Clarisse Crémer excelle naturellement : confinée ou en mer, la skippeuse sait faire de la caméra sa compagne et le public le lui rend bien. Les plus taiseux trouvent leur ton au fil des
expériences, conseillés par leurs équipes de communication. Ceux qui ont navigué en équipage avec des reporters embarqués (communément appelés « médiamans ») ont glané auprès d’eux pas mal
d’astuces. Chacun connaît ses propres limites. Benjamin Dutreux refuse de pleurer devant la caméra quand Éric Bellion le fait sans difficulté. En 2016, il est rentré de son premier Vendée
Globe avec 55 heures de rushs, dont il a fait un film, _Comme un seul homme_. _« Il faut sortir la caméra malgré la fatigue, dans les moments inconfortables, ce n’est pas anodin, mais filmer
a aussi des vertus : ça permet de prendre du recul, ça donne du carburant. »_ Pour cette dixième édition, une partie des bateaux seront connectés via le réseau Starlink. Une révolution. Ce
réseau satellitaire permet d’obtenir en pleine mer un débit proche de celui des réseaux terrestres. De quoi fournir des images quasiment en direct. _« Ce sera encore plus facile et rapide
qu’en 2020 »_, confie Charlie Dalin, l’un des favoris, équipé sur son monocoque de caméras fixes et mobiles. _« Sur la console du bord, je choisis quelle caméra j’utilise, je peux tourner
une vidéo avec plusieurs plans d’une traite. Ça part à terre sans même avoir besoin de compresser les images. »_ Les skippers sont tenus contractuellement d’envoyer trois vidéos de deux
minutes par semaine et six photos. Cette mesure a été mise en place lors de la précédente édition, en 2020, par la Saem Vendée, organisatrice de la course. Une pénalité de 1 000 euros est
prévue en cas de manquement. _« C’est une formalité, les skippers ont plutôt tendance à en envoyer plus naturellement »_, indique-t-on du côté de l’équipe de communication. « LOFT STORY »
Sur les pontons des Sables-d’Olonne, à trois semaines du départ, tous les concurrents ne sont pas du même avis. Benjamin Ferré, 33 ans, profil d’aventurier fan de Kessel, pourtant très à
l’aise devant la caméra, déplore cette obligation de quantité. _« C’est à contresens de ce qu’est le Vendée Globe. Il faut faire attention à ne pas priver les gens de leur imaginaire en les
abreuvant d’images. »_ Pour Antoine Cornic, outsider de 44 ans, le volume de vidéos exigé cette année reste raisonnable et correspond à ce qu’il enverrait de lui-même mais la surconnexion
l’interroge : _« Je voudrais qu’on fasse attention, que ça devienne pas “Loft Story”. Plus on aura la possibilité de diffuser facilement des images de qualité, plus on devra fournir.
Partager ce que l’on vit, c’est un plaisir, et ça doit le rester. »_ Lui part sans Starlink, avec 24 gigas de données via le réseau Iridium, suffisants pour ses besoins. Pour se filmer, il a
glissé dans son voilier une caméra mobile, une perche et un smartphone dont l’objectif est souvent sale, au grand désespoir de son chargé de communication. Louis Duc, dans le circuit depuis
quinze ans, se montre plus virulent, même s’il considère que faire vivre les courses au grand public a toujours fait partie du job. _« Quand ça devient une obligation de la part des
organisateurs pour que ça leur profite, je trouve ça insupportable. Si tu préfères t’exprimer seulement quand t’as un truc intelligent à dire, qu’on te laisse faire ! Au moins ta vidéo ne
passera pas inaperçue au milieu de 40 autres ! » _Seuls dans un espace de vie de cinq mètres carrés, les marins reconnaissent qu’il faut parfois se creuser la tête pour trouver des choses à
dire un peu singulières. _« Heureusement, on est aidés par les belles images de couchers de soleil et de tempêtes »_, avoue Charlie Dalin. > « Tu peux pas standardiser les choses, ça ne
marche pas » Louis Duc préfère les « lives ». Pour le grand public et les médias, le suivi de la compétition passe aussi par ces conversations filmées avec les skippers. Au minimum, chaque
coureur s’engage à participer à un live par semaine avec l’organisation de course. S’ajoutent à cela des vacations audio. _« Là, t’as des vrais échanges avec des gens qui savent aller
chercher la bonne info_, confie le skipper normand. _C’est spontané, tu ne dois pas préparer un petit scénario. »_ Jean Le Cam, doyen de la course et chouchou des médias en 2020, avoue ne
pas se préoccuper de ces obligations et ne pas les remplir, même s’il adore depuis toujours la vidéo : _« Certains sont hypers bons élèves mais la question, c’est y a-t-il contenu ? C’est un
autre débat. »_ Afin de préparer les coureurs, l’organisation a concocté une séance de media training. Un intervenant de TikTok est venu présenter les _« nouvelles attentes en termes de
consommation de contenus »_. Ses conseils n’ont pas fait l’unanimité. _« Quelle rigolade ! _se marre Jean Le Cam. _Chacun est différent, tu peux pas standardiser les choses, ça ne marche
pas. »_ ENJEU TACTIQUE Pour les plus compétiteurs, la communication est aussi un enjeu tactique. Charlie Dalin s’efforce toujours de faire bonne figure. _« Je prends un ton enjoué même si
une heure avant j’avais un gros problème technique. »_ Même stratégie pour Nicolas Lunven : _« Si j’ai une petite galère qui ne ternit pas mes performances mais qui peut me conduire à faire
des choix différents, je ne le dis pas. Comme ça, mes concurrents se font des nœuds au cerveau pour tenter de comprendre ! »_ Comme le fait remarquer Paul Meilhat, la course au large est
l’un des seuls sports où le marin est aussi son propre réalisateur. _« On décide ce que l’on montre ou pas : c’est un espace de créativité énorme ! Mais on nous pousse à faire tous la même
chose. Il faut une minute avec le skipper face caméra en vertical et la mer derrière. »_ Il regrette que l’accent soit toujours mis sur l’image, au détriment de l’écrit. Comme d’autres
concurrents, il écrira des chroniques en mer (pour _Ouest-France_ dans son cas). Benjamin Dutreux a lui aussi le goût des mots mais sur son bateau à foils, ultrapuissant, il reconnaît que
l’exercice sera impossible. Trop extrême. Lors du premier Vendée Globe, en 1989, les « telex-océans » des marins, publiés dans _Libération_, ont marqué les esprits. Parce qu’ils étaient
rares, imprévisibles, qu’ils n’obéissaient à aucune règle, ces chroniques du large avaient une saveur particulière. Cette même année, les marins avaient mené une fronde contre les
organisateurs, comme le racontait récemment Titouan Lamazou à l'INA. Il était question de rejoindre des points de passage, pendant la course, pour transmettre des cassettes vidéo
tournées à bord. Ce qu’ils ont refusé. _« J’étais tout à fait contre, _se souvient le vainqueur de cette première édition_. Ou on fait le Vendée Globe, ou on fait du cinéma. »_ Fabienne
Morin accompagne les skippers dans leur communication depuis vingt ans. Elle estime que les images envoyées depuis le bord disent toujours quelque chose du marin. _« Sébastien Josse qui
court nu sur le pont de son bateau, c’était son grain de folie, son bien-être immense ! La caméra, tu lui confies tes bobos, tes moments de sollicitude. Il y a une dimension cathartique. »_
Elle reconnaît que l’abondance d’images bouleverse son métier : _« On est connectées en permanence. Si on veut, on a. »_ Il est loin le temps où elle décrochait le téléphone fixe de l’agence
avec l’excitation de peut-être entendre la voix de Michel Desjoyeaux surgie d’un grésillement. Sans tous ces contenus, 2,25 millions de visiteurs revendiqués par l'organisation
viendraient-ils sur les pontons des Sables-d’Olonne avant le départ ? _« Le Vendée Globe est devenu ce qu’il est grâce aux moyens de communication, _rappelle Nicolas Lunven. _Si on en était
restés au fax, ça ne passionnerait pas autant de monde ! »_ La dernière édition a généré 2 345 heures de diffusion télé et 115 millions de vidéos vues sur les réseaux sociaux. Un record. Les
médias n’ont pourtant pas toujours couvert la course au large. _« On a beaucoup souffert d’un manque de visibilité »,_ rappelle Laurence Caraës, attachée de presse de Jean Le Cam et qui a
commencé dans la communication de la voile en 1996. _«_ _À l’époque, notre seul espoir, c’était “Thalassa” ! » _ « AU REVOIR L’AILLEURS, BONJOUR L’ICI » Pour autant, pas facile d’exister
médiatiquement quand 40 skippers prennent le départ… Aujourd’hui, tous utilisent leur propre canal de diffusion (le plus souvent Instagram). Un atout pour les sponsors. _« C’est notre moyen
le plus direct d’exister auprès du public et des médias,_ reconnaît Bastien Hebras, chargé de la communication d’Antoine Cornic. _En 2023, Antoine a eu la dengue pendant une transat. Il
avait 40 de fièvre, un calvaire, mais il a su communiquer. On est passés sur RMC Sport et tous les médias ont repris en récupérant les images sur nos canaux. C’est malheureux mais si tu veux
qu’on parle de toi, c’est soit tu gagnes, soit il t’arrive des bricoles. »_ Ce n’est pas ce qu’il souhaite à son skipper, qu’il tient à _« faire exister jusqu’au bout »._ Pour combien de
semaines s’engage-t-il ? Le record de la course la plus longue de l’histoire du Vendée Globe revient à Jean-François Coste. En 1990, après 163 jours de solitude, il clôturait ainsi sa
dernière chronique dans _Libération_ : _« Granit gris bleu de Bretagne. Chaleur. Lumière. Bientôt les regards. Au revoir l’ailleurs, bonjour l’ici. Pas de départ, pas d’arrivée, que des
étapes. Allons encore sur la mer, cela me suffit. »_ EDIT LE 8/11/24 À 15 H 40 : PRÉCISION DE LA SOURCE DE L'ESTIMATION DU NOMBRE DE VISITEURS.