
« le point » contre wikipédia : mécanique d’un conflit
- Select a language for the TTS:
- French Female
- French Male
- French Canadian Female
- French Canadian Male
- Language selected: (auto detect) - FR
Play all audios:

À la lettre ouverte de Wikipédia, le magazine « Le Point » a répondu par un article puis une pétition. © Crédits photo : montage La Revue des médias Peu satisfait du traitement qui lui est
accordé sur Wikipédia, l’hebdomadaire « Le Point » a entamé un bras de fer avec une partie de la communauté de l’encyclopédie en ligne. Vincent Bresson Publié le 01 mars 2025 Le 10 février
dernier, la page Wikipédia consacrée au journal _Le Point_ s’est enrichie d’une nouvelle section. Son titre : « Tournant populiste après 2015 ». Désormais, un internaute cherchant à en
savoir davantage sur l’hebdomadaire détenu par le milliardaire François Pinault apprend que « _le journal ouvre ses colonnes à un certain nombre d’éditorialistes sulfureux proches de la
mouvance complotiste_ ». Comme le veut l’usage sur la plus grande encyclopédie du monde, cette modification de l’utilisateur FredD — bénévole depuis dix-huit ans — n’est pas définitive et en
appelle d’autres. Sur Wikipédia, « _tout le monde peut interagir de manière constructive avec la communauté pour équilibrer au mieux les points de vue et faire des changements_ », résume
Rémy Gerbet, le directeur exécutif de l’association qui promeut l’encyclopédie, Wikimedia France. Ce processus collaboratif permet aux articles d’être progressivement améliorés, généralement
dans l’anonymat le plus total. Cette fois, les choses ont pris une tournure différente. L’ESCALADE Sept jours plus tard, en effet, la communauté wikipédienne se fend d’une lettre ouverte
contre _Le Point,_ signée depuis par plus de 1 000 utilisateurs. Un journaliste du magazine, Erwan Seznec, y est accusé d’avoir menacé de révéler l’identité de FredD dans un article. Ce
bénévole contribue sur l’encyclopédie sous pseudonymat, une pratique recommandée par le cinquième site le plus visité au monde au point d’être devenue la norme. « _Cet usage permet d’éviter
les arguments d’autorité et de ne pas être constamment exposé à la vindicte populaire_ », détaille FredD. Dévoiler son identité s’apparente donc à ses yeux à du _doxing_, une pratique qui
vise à révéler des informations sur une personne dans le but de lui nuire. Un autre contributeur assure à _La Revue des médias_ avoir, lui aussi, été victime d’intimidations de la part du
même journaliste qui, en décembre, dénonçait déjà la façon dont une poignée de contributeurs distribueraient les bons et les mauvais points sur l’encyclopédie. L’hebdomadaire contre-attaque
le lendemain de la publication de cette lettre ouverte. L’article titré « Wikipédia contre “Le Point” : comment “l’encyclopédie libre” est devenue une machine à calomnier » ne révèle
finalement pas le nom de FredD. Erwan Seznec y pointe le traitement subi, selon lui, par son employeur sur la plateforme : l’hebdomadaire serait depuis plusieurs mois la cible d’« _une
opération de désinformation_ » présentant le journal comme islamophobe et complotiste. Contactés, ni le journaliste ni le directeur de la publication du magazine_ _n’ont donné suite à nos
sollicitations. En revanche, _Le Point _a lancé à son tour une pétition contre le site participatif. Parmi les premiers signataires : le député socialiste Jérôme Guedj, la journaliste
Catherine Nay ou encore Bernard-Henri Lévy — l’un des éditorialistes de l’hebdomadaire. UN CAS UNIQUE EN FRANCE, MAIS PAS À L’ÉTRANGER D’aussi loin qu’il s’en souvienne, Rémy Gerbet n’a
jamais eu à traiter en France un cas similaire. Mais il n’est pas si surpris de la tournure prise par l’affaire : « _Wikipédia est de plus en plus perçu par la presse de droite comme étant
trop à gauche_. _Plusieurs journalistes ont écrit à ce sujet, et ça ne pose pas de problème du moment où on ne brandit pas la menace d’une divulgation d’identité. _» Avant _Le Point_, _Le
Figaro_, _Frontières_ ou encore _Valeurs actuelles_ n’ont en effet pas manqué d’écrire sur la partialité supposée de l’encyclopédie. Ces critiques ne sont pas nouvelles d’après Marie-Noëlle
Doutreix, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Lyon 2 : « _Dans les années 2000, beaucoup de personnalités publiques se sont plaintes
du contenu de leur page Wikipédia, comme l’a fait _Le Point_. Mais c’est mal connaître son fonctionnement. C’est une encyclopédie qui se base sur des sources secondaires, et non sur les
témoignages des premiers concernés. _» Ce conflit étonne doublement la chercheuse. L’article consacré au _Point _est considéré par la communauté wikipédienne comme _« bien construit »,_ même
s’il peut être perfectionné. D’autre part, la couverture journalistique accordée à la plateforme pour ses vingt ans en 2021 semblait indiquer que son fonctionnement faisait désormais
largement consensus au sein de l’univers médiatique. > « Ce projet par essence participatif dérange » Le bras de fer entre l’hebdomadaire et Wikipédia la surprend d’autant plus qu’il
pourrait se poursuivre devant les tribunaux. Une action inédite en France. Selon des informations révélées par _Le Monde_, les avocats du magazine ont adressé une mise en demeure à Maryana
Iskander, la directrice générale de la fondation Wikimedia. Un cas similaire existe en Inde. L’agence de presse Asian News International accuse depuis quelques mois la Wikimedia Foundation
de diffamation à son encontre : un paragraphe sur Wikipédia précisait qu’elle avait _été « accusée d’avoir servi d’outil de propagande pour le gouvernement en place »._ Le média Forward
révélait en début d’année que le think-tank conservateur Heritage Foundation, proche de l’administration Trump, chercherait lui aussi à identifier les contributeurs de Wikipédia qui _«
abusent de leur position »_ sur la plateforme. Dans une conférence en ligne, les dirigeants de la Wikimedia Foundation ont reconnu faire face à une «_ augmentation des menaces à la fois
réglementaires et judiciaires à travers le monde_ ». Des menaces d’autant plus préoccupantes qu’Elon Musk, allié au nouveau président des États-Unis, mène une guerre ouverte depuis plusieurs
années contre la plateforme. «_ Ce projet par essence participatif dérange_, veut croire Rémy Gerbet._ Alors que l’information est de plus en plus aux mains de grandes fortunes et des
patrons de la tech, Wikipédia échappe encore à leur contrôle. _»