«Resistance is futile!»

«Resistance is futile!»


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Le décret présidentiel signé samedi pour imposer les tarifs de 25% — et de 10% sur les produits pétroliers — n’en a que pour les drogues et la migration irrégulière. Le président décrète que


«l’inaction» du Canada pour juguler ces flux illégaux cause une «menace inhabituelle et extraordinaire» à la «sécurité nationale et la politique étrangère des États-Unis». On l’a déjà dit:


le Canada n’est pas une source significative de migrants ou de Fentanyl entrant aux États-Unis. Qu’importe. La vraie motivation de Donald Trump est autre et inscrite ailleurs dans le décret:


«Une nation sans frontière n’est pas une nation du tout.» Comme l’écrit dans son éditorial le _Wall Street Journal_, qui décrit tout ceci comme «la guerre commerciale la plus stupide de


l’Histoire», «M. Trump sonne comme si les États-Unis ne devraient pas importer quoi que ce soit, que les États-Unis peuvent tout à fait être une économie fermée fabriquant tout à domicile.


On appelle cela une autarcie et ce n’est pas le monde dans lequel on vit.» Peut-être. Mais c’est le monde auquel M. Trump aspire. C’est tout l’ordre mondial, basé sur le libre-échange, que


le président veut démolir. Ceci n’est que le premier coup de boutoir. LE CANADA RÉPLIQUE La réplique du Canada se fera en deux temps. Dès mardi, le Canada imposera ses propres tarifs de 25%


sur une liste de 1256 items d’une valeur estimée à 30 milliards. Il élargira ensuite l’assiette à d’autres biens valant 125 milliards, après une consultation de 21 jours. (À titre de


comparaison, les exportations canadiennes vers les États-Unis se sont élevées à 594 milliards en 2023.) La première salve touche des produits aussi variés que les cosmétiques (3,5


milliards), les produits et appareils ménagers (3,4 milliards), le papier (3 milliards), les pneus (2 milliards), le plastique (1,8 milliard), les pierres précieuses (1,7 milliard) et les


meubles (1,6 milliard). Ces produits arrivent en tête en termes de valeur, mais on compte aussi des produits alimentaires, les boissons alcoolisées, le tabac, divers vêtements, même des


bombes et des grenades. Et oui, le jus d’orange. La seconde liste sera dévoilée bientôt. > Les fonctionnaires ont indiqué que les produits avaient été > choisis pour affecter des États


 où se trouvent des alliés de M. > Trump. Ils ont parlé de la Floride (fruits et légumes), la Caroline du Sud et l’Ohio (électroménagers) et la Pennsylvanie (motocyclettes et café), mais


n’ont pas offert plus de détails. Viserons-nous les Tesla du milliardaire Elon Musk? La candidate à la chefferie libérale Chrystia Freeland propose un tarif de 100 %. Les fonctionnaires sont


restés évasifs, mais ont rappelé qu’on ne cible jamais une marque en particulier, seulement une catégorie de produits. Pour atteindre Elon Musk, il faudrait tarifer toutes les autos


électriques américaines. Le Canada répliquera d’autres manières aussi. Le Québec et l’Ontario ont ordonné à leur SAQ et LCBO respective de retirer tous les produits américains de leurs


tablettes. La Colombie-Britannique a seulement ordonné le retrait des boissons provenant «d’États rouges», même si la plupart du vin américain provient de la Californie bien bleue. Elle


commande à toutes ses sociétés de la Couronne et son système de santé de cesser d’acheter des produits américains. POILIEVRE ÉCARTELÉ La situation bouleverse l’ordre politique de tout le


Canada, mais est susceptible de déstabiliser davantage le chef conservateur Pierre Poilievre, qui n’arrive toujours pas à formuler une réponse significative ou solidaire à l’attaque


américaine. Dimanche, il a réclamé le retour du Parlement «maintenant», pour faire adopter un plan de représailles. Comme M. Poilievre s’est déjà engagé à renverser le gouvernement à la


première occasion, on lui a donc demandé s’il s’engageait à ne pas provoquer d’élection pendant ce retour hâtif pour permettre l’adoption d’un plan. Malheureusement, la question a été posée


par une vilaine du diffuseur public et — il faut l’avouer — était mal formulée. Le chef conservateur a eu beau jeu d’attaquer. «CBC me demande si je vais me tasser lors de la prochaine


élection. C’est une requête très étrange. Non, je ne vais pas suspendre la démocratie. Le peuple canadien dirige ce pays et c’est lui qui choisira le prochain premier ministre. Merci


beaucoup et prochaine question.» La proposition de M. Poilievre laisse par ailleurs perplexe. Il demande qu’Ottawa reverse sous forme d’aide tout l’argent qu’il récoltera avec les tarifs de


rétorsion. «Le gouvernement ne doit pas conserver un sou de ces nouvelles recettes.» Le Canada a refusé de chiffrer les revenus attendus de ses tarifs. C’est plus compliqué que de seulement


calculer 25 % de 155 milliards, parce que les comportements des consommateurs vont changer. Mais on sait que ce sera plusieurs milliards. Or, le ralentissement de l’économie pourrait réduire


les recettes générales du gouvernement. Ne serait-il pas normal qu’il conserve une partie des tarifs pour compenser? Cela n’émeut pas Pierre Poilievre, qui demande aussi qu’Ottawa procède à


une «réduction massive» des taxes, en premier lieu la taxe sur le carbone (encore elle!) et celle sur le gain en capital. Ces deux mesures sont déjà condamnées, les meneurs de la course


libérale s’étant engagés à abolir la première, et le gouvernement ayant retardé d’un an la hausse de la seconde. En fait, M. Poilievre profite de l’occasion pour repartir sa cassette


habituelle, tentant de faire croire par quelques ajustements rhétoriques que le programme qu’il propose depuis deux ans est conçu pour répliquer à Donald Trump. Visiblement, il n’est pas à


l’aise. Il est écartelé entre son alliée albertaine Danielle Smith — la moins solidaire du bloc canadien — et les électeurs ontariens dont il a besoin pour prendre le pouvoir. L’Alberta et


la Saskatchewan pétrolières ont 48 sièges à offrir. Les conservateurs en détiennent déjà 44. L’Ontario en a 121, dont seulement 38 sont détenus par les conservateurs. Stephen Harper en avait


eu le double (73) lors de sa majorité de 2011. Pierre Poilievre doit faire des gains là où Doug Ford fait déjà campagne en posant en capitaine Canada copain de Justin. De récents sondages


donnent à penser qu’il se passe peut-être quelque chose en Ontario. Les maisons EKOS et Mainstreet Research y placent désormais libéraux et conservateurs à égalité statistique. Cela fait


encore figure d’anomalie, mais il faudra surveiller dans les prochaines semaines si cela n’annonce pas une nouvelle tendance face à l’incapacité de Pierre Poilievre d’adapter son discours.