Ce bon vieux Gilbert
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La réponse était sans appel: «Ben voyons, Bernard* ne ferait jamais ça.» Le ton était sincère, sa mère était convaincue que l’oncle en question n’aurait pas pu poser les gestes que lui
décrivait sa fille. Bernard, un homme si distingué, qui a réussi dans la vie, toujours tiré à quatre épingles, avec un char de l’année en plus. C’est comme ça que mon amie a compris qu’elle
était toute seule là-dedans, qu’elle allait devoir continuer à endurer les caresses et essayer de trouver des prétextes pour ne pas se retrouver seule avec lui. Sa mère le lui a d’ailleurs
reproché, ce n’était pas «bien élevé» de refuser sa compagnie, si agréable. Cette histoire m’est revenue mardi lorsque j’ai lu le résumé des témoignages des personnalités publiques appelées
à défendre Gilbert Rozon dans le procès au civil où neuf femmes l’accusent d’avoir posé sur elles des gestes sexuels allant jusqu’au viol. Pour le défendre, on a fait entendre des gens venus
dire «Ben voyons, Gilbert ne ferait pas ça.» Un homme si gentil, si affable. J’ai sursauté en lisant le témoignage de Pierre Marc Johnson, quand même un ex-premier ministre, mettre toute la
crédibilité que lui confère sa carrière politique pour convaincre le tribunal que ce qu’on reproche à son grand ami est pure fabulation. «L’homme qu’on décrit, une espèce d’ogre, ne
ressemble pas du tout à la personne que je connais depuis 40 ans.» [C’est un homme] «charmant, courtois, poli et respectable», «particulièrement auprès des femmes.» Son ami aurait été, ni
plus ni moins, victime du mouvement #metoo. «Je me suis dit [que] s’il y a quelqu’un qui a assez d’ennemis et est assez charmant pour se faire faire quelque chose comme ça, c’est lui», a
ajouté celui qui présidait par intérim Juste pour rire lors du scandale du manoir Rouville-Campbell en 1998, alors que Gilbert Rozon avait plaidé coupable à un chef d’agression sexuelle. Un
accident de parcours, rien de plus, ça peut arriver à tout le monde. Par ailleurs, on a appris en contre-interrogatoire mercredi qu’il avait conseillé à Rozon – qu’il a décrit comme un
_womanizer_ – de nier les allégations qui sont au cœur de ce procès. > À l’instar de M. Johnson, l’auteur et chroniqueur Guy Fournier > est venu dire au tribunal à quel point son ami
était «charmant», > comme si la chose était un «passez go et réclamez 200 $» pour > courtiser sans retenue la gent féminine. Guy Fournier, connu aussi > pour ses commentaires de
mononcles, a tout au plus admis que Rozon > était «un peu flirt». Devant les journalistes, il a levé son chapeau aux autres qui, comme lui, sont venus dire au tribunal combien Gilbert
Rozon était un bon Jack. «Ça leur prend un courage énorme parce qu’il y a beaucoup d’intimidation, beaucoup de menaces. Il y a tout un mouvement qui essaie de les empêcher de parler», a-t-il
accusé. Le comédien et metteur en scène Serge Postigo, qui a déjà été vice-président de Juste pour rire, devrait aussi se porter aujourd’hui à la défense de Rozon. Mais le problème n’est
pas là. On s’en fout, à la limite, si Rozon est un bon Jack ou pas. Et le fait d’avoir de bons chums qui viennent dire que ça les étonnerait ben gros que leur ami ait pu dépasser la ligne,
ça ne vaut pas grand-chose. Idem pour cet autre argument voulant que rien ne soit parvenu à leurs oreilles, le contraire aurait été étonnant. Jamais la mère de mon amie n’a douté de ce bon
vieux Bernard, même s’il caressait sa fille dans la pièce juste à côté. Déni ou aveuglement volontaire, allez savoir. Le fait est que les bulletins de nouvelles regorgent de témoignages sur
ce «bon voisin sans histoire» dont on ne se serait jamais imaginé qu’il fricotât avec le crime organisé, qu’il mène une double vie, qu’il ait agressé la sœur de son meilleur ami. Le bon
voisin, évidemment, ne l’a pas crié sur les toits. > C’est un peu ce qui se passe au procès de Rozon, c’est comme si > on demandait à ses voisins de nous dire ce qu’ils ont entrevu au
> travers des rideaux, ce qu’ils se sont dit autour du barbecue ou > au mariage du petit dernier. Nous vous le jurons, madame la juge, il ne nous a jamais dit qu’il avait violé une
femme, jamais, il ne peut donc pas être un agresseur. Le tribunal doit faire la lumière autrement. Le fait que Rozon ait appelé ses amis à témoigner pour le disculper en dit long sur sa
volonté d’impressionner le tribunal. Des vieux chums, pas n’importe quels, un ex-premier ministre, un célèbre auteur et chroniqueur et un non moins célèbre comédien et metteur en scène,
primé maintes fois aux Gémeaux et à l’ADISQ. Il faut reconnaître que se porter à sa défense est un pari risqué. Louise Thériault, embauchée par Juste pour rire en 1995, est aussi venue
témoigner. Elle l’a décrit en ces termes: «charmant et charmeur», «séduisant et séducteur » et a confié avoir repoussé deux fois ses avances. «J’ai mis mes limites, et il est parti. Je n’ai
pas été agressée. C’est mon expérience.» Elle n’a pas voulu se prononcer au nom des autres femmes qui poursuivent son ancien patron. «Je ne sais pas, je n’étais pas là.» Voilà. Ses vieux
chums non plus. _*Prénom fictif_ POUR RÉAGIR À CETTE CHRONIQUE, ÉCRIVEZ-NOUS À [email protected]. CERTAINES RÉPONSES POURRAIENT ÊTRE PUBLIÉES DANS NOTRE SECTION OPINIONS.