Jean-louis margolin: «les massacres du hamas ou le retour de la banalité du mal»

Jean-louis margolin: «les massacres du hamas ou le retour de la banalité du mal»


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FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour l’historien, co-auteur notamment d’un livre sur les génocides au XXe siècle, la popularité du Hamas dans le monde musulman et les réactions d’une partie de la classe


politique à leurs exactions prouvent la persistance de l'acceptation du Mal. Publicité _Jean-Louis Margolin est un spécialiste reconnu de l'Asie du XXe siècle._ _Il a consacré


l'essentiel de son travail à l'analyse du crime politique de masse en Asie de l'Est._ _Il a notamment collaboré à l'ouvrage collectif_ Comprendre les génocides du XXe


siècle_ (2007, Bréal)._ ------------------------- Vous vous demandiez sans doute, tout comme moi, comment il avait été possible que des millions d'Allemands, militaires et civils,


dûment informés du génocide des Juifs - femmes, vieillards et enfants compris, n'en aient éprouvé aucune aversion ; et que les bourreaux (tous des volontaires) aient presque toujours


continué de dormir sur leurs deux oreilles ; et qu'on ait souvent refusé les candidats à se joindre à eux. Les photos ne manquent pas de ces spectateurs, en uniforme ou non, paraissant


se réjouir du rare spectacle d'une fusillade de masse. Il y a une ample littérature là-dessus, ce sont des faits définitivement établis. Or nous y voilà, à nouveau. Des centaines de


jeunes, pacifistes et désarmés, sont tirés un à un, comme des lapins, et les plus «chanceux» entraînés vers les tunnels de Gaza. Des familles entières, bébés compris, sont exterminées chez


elles. Des enfants de cinq ans, des vieillards de 85 sont emmenés, violentés, houspillés par des foules en liesse. Ce sont là encore des faits d'autant plus avérés et connus de tous


que, à la différence des années 1940, l'image est désormais partout. Le Hamas ne cache rien de ses exactions, dûment répercutées sur ses médias, tels de hauts faits d'armes (les


Nazis, moins sûrs de l'approbation générale, avaient au contraire rapidement interdit les photographies). Et, nous dit-on, les images d'extermination dans les kibboutzim renforcent


considérablement la stature et la popularité du Hamas, non seulement à Gaza, non seulement en territoire palestinien, mais un peu partout dans le monde musulman. En atteste le fait que ce


soient les lieux de culte juifs, et non musulmans, qui doivent faire l'objet d'une protection policière en Europe. En atteste aussi le fait que, parmi les dizaines de pays à


majorité musulmane, seuls les Émirats arabes unis aient eu le courage de condamner le Hamas, et que plusieurs - dont la Tunisie, l'Algérie, ou encore la lointaine et prospère Malaisie -


ont cru bon de se borner à approuver la «Résistance», en taisant ses crimes. > Même parmi les non-musulmans, même en France, la réaction > d'horreur est fort loin d'être 


unanime. > Jean-Louis Margolin Quels organismes communautaires, quels intellectuels musulmans ont fait retentir leur voix dans le sens d'une condamnation formelle de ces derniers, à


la hauteur de leur gravité ? Le Hamas semble devenu intouchable – non pas malgré ses crimes atroces, mais à cause d'eux. Qu'on ne prétende pas qu'il en aille de même de


l'autre côté : la gauche israélienne, certes minoritaire mais à la voix puissante (médias, artistes, intellectuels…), sait critiquer de manière impitoyable les fautes et les crimes de


son pays, tout en demeurant impeccablement patriote. Même parmi les non-musulmans, même en France, la réaction d'horreur est fort loin d'être unanime. Certes ceux qui soutiennent


explicitement les hauts faits d'égorgeurs d'enfants travestis en «Résistants» et appellent à manifester pour eux sont assez rares (Nouveau Parti Anticapitaliste, unions


départementales CGT du Nord et des Bouches-du-Rhône cependant). Mais la position d'un Mélenchon (le renvoi dos à dos des assassins et des victimes) est bien plus largement partagée. Des


lecteurs des grands journaux, se disant éloignés de LFI, soutiennent pour une fois son discours «équilibré». Et _l'Humanité_, quotidien communiste, croit bon de mettre en image de sa


première une après le massacre les seules destructions de Gaza. France Inter utilise, de manière répétée, le terme péjoratif de «fêtards» pour qualifier les jeunes assassinés en masse de la


rave party. > Bon nombre de spécialistes cherchent aussi à nous persuader qu'il > ne s'est rien passé, ni de si nouveau, ni de si grave – bref, des > centaines de civils 


délibérément massacrés, c'est « business as > usual ». > Jean-Louis Margolin On laisse clairement entendre que, si des Palestiniens ont pu manifester une telle haine meurtrière,


c'est parce que leur douleur était immense, et qu'elle ne peut donc être condamnée sans réserve. On serait atroce parce qu'on est très malheureux, et de ce fait à plaindre. Et


l'on entend déjà les premières notes des grandes orgues pour déplorer la «tragédie» des Gazaouis privés de tout (mais pas du plus important stock de missiles du monde – qui


d'autre pourrait en tirer au moins trois mille en 24 heures, et continuer ensuite sans trêve ?) Bon nombre de spécialistes cherchent aussi à nous persuader qu'il ne s'est rien


passé, ni de si nouveau, ni de si grave – bref, des centaines de civils délibérément massacrés (ce que n'a jamais fait Israël, en tout cas depuis 1948), c'est «business as usual».


Au total : incompréhension, insensibilité, indifférence (combien de non Juifs sont le 9 octobre descendus dans la rue ?), tentatives frénétiques de trouver des «raisons», voire des


«excuses» aux bourreaux. On pourra remercier le Hamas d'avoir prouvé, non seulement la banalité du Mal, mais surtout la banalité de l'acceptation du Mal. Et l'hypocrisie


absolue des «plus jamais ça» convenus.