
Pologne : entre le président nationaliste et son premier ministre pro-européen, la cohabitation impossible?
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POLOGNE : ENTRE LE PRÉSIDENT NATIONALISTE ET SON PREMIER MINISTRE PRO-EUROPÉEN, LA COHABITATION IMPOSSIBLE ? ENTRETIEN - Entre le conservateur Karol Nawrocki, vainqueur de l’élection
présidentielle, et son premier ministre Donald Tusk, les sujets de divergence ne manquent pas. Ils pourraient toutefois s’accorder sur les questions militaires face à la menace russe,
analyse Amélie Zima, chercheuse à l’Ifri. Publicité _Amélie Zima est chercheuse à l’Ifri (Institut français des relations internationales), experte de la politique et de la défense
polonaises. _ ------------------------- LE FIGARO. - COMMENT INTERPRÉTER LA VICTOIRE SUR LE FIL DU NATIONALISTE KAROL NAWROCKI ? LA POLOGNE EST-ELLE PROFONDÉMENT PARTAGÉE ENTRE DEUX COURANTS
POLITIQUES ANTAGONISTES ? AMÉLIE ZIMA. - Concernant les principaux courants, le PiS, national-conservateur, a comme bastion électoral principal le monde rural et l’est du pays. Deux autres
formations d’extrême droite ont vu leur électorat se diriger principalement vers le candidat du PiS au second tour de l’élection présidentielle : Konfederacja, emmenée par Slawomir Mentzen
(environ 15% au premier tour), et le parti de Grzegorz Braun (6,5% au premier tour). Alors que Konfederacja avait obtenu moins de 7% des suffrages aux législatives de 2023, elle double ici
son résultat. La Plateforme civique (PO) du Premier ministre Donald Tusk dispose de bastions électoraux à l’ouest du pays et dans toutes les grandes villes ainsi que parmi les plus diplômés.
Enfin, la gauche est divisée entre une formation social-démocrate (Lewica) et une autre plus radicale (Razem), chacune ne dépassant pas 5%, ce qui témoigne de leur difficulté à exister
entre les deux grands poids lourds de la politique polonaise, PO et PiS. Les lignes de clivage portent principalement sur l’Europe : la PO est favorable à une intégration plus poussée alors
que le PiS est favorable à « l’Europe des nations ». Les libertés individuelles (avortement, mariage pour tous…) et surtout le respect de l’État de droit constituent également une ligne de
partage majeure. La coalition électorale dirigée par Donald Tusk, qui va des sociaux-démocrates aux chrétiens-démocrates en passant par les libéraux, est unie autour de cet enjeu fondamental
qui distingue très clairement la PO et ses alliés, d’une part, et le PiS d’autre part. QUELS SONT LE PARCOURS ET LE PROFIL DE CE NOUVEAU PRÉSIDENT ? Le nouveau président est issu de la
société civile, en vertu d’un choix du chef du PiS, Jaroslaw Kaczynki. Il a ainsi réédité le choix fait avec Andrzej Duda pour la présidentielle de 2015. Karol Nawrocki est docteur en
histoire, il a présidé le Musée de la Seconde Guerre mondiale à Gdansk et l’Institut de la Mémoire nationale. Il est donc l’un des acteurs de la politique mémorielle promue par le PiS. La
campagne présidentielle a mis en lumière ses zones d’ombre, particulièrement ses liens avec des hooligans, son attirance, voire sa proximité avec la pègre de Gdansk, entre autres. Y A-T-IL
UN RISQUE DE PARALYSIE, LE NOUVEAU CHEF DE L’ÉTAT AYANT PROMIS DE TOUT FAIRE POUR QUE CHUTE LE GOUVERNEMENT DIRIGÉ PAR DONALD TUSK ? La Pologne vit sous un régime de cohabitation depuis la
victoire de Donald Tusk à l’automne 2023 qui doit composer avec Andrzej Duda, président depuis 2015. Ce régime va donc se poursuivre avec le nouveau président. La victoire de Rafal
Traszkowski, l’actuel maire de Varsovie, aurait apporté de la cohérence et de la fluidité. En effet, la Pologne est un régime semi-présidentiel où le président dispose de certaines
prérogatives. Dans le domaine législatif, il dispose notamment d’un droit d’initiative, d’un droit de veto, qu’Andrzej Duda a utilisé à cinq reprises depuis l’arrivée de Donald Tusk au
pouvoir, et de la possibilité de solliciter un contrôle de constitutionnalité. Cela peut freiner et gêner l’action gouvernementale, mais ne l’empêche pas complètement. > Karol Nawrocki a
affirmé qu’il souhaitait la poursuite de > l’aide militaire à l’Ukraine. C’est la ligne du PiS, le parti > conservateur qui l’a soutenu, qui estime prioritaire la défaite > de
l’ennemi commun, la Russie > Amélie Zima De fait, le gouvernement Tusk n’est pas paralysé depuis un an et demi. De nombreuses décisions ont été prises visant notamment à annuler des
politiques du PiS. C’est le cas du financement des fécondations in vitro sur le budget de l’État, de l’annulation du recours du précédent gouvernement visant à se retirer de la convention
d’Istanbul sur les violences contre les femmes et les violences domestiques ou encore de la réintégration des militaires purgés par le gouvernement PiS. Au niveau européen, l’amélioration de
la relation entre la Pologne et l’UE a permis le déblocage des fonds européens du Plan de relance et Varsovie a décidé de rejoindre le Parquet européen. Enfin, il ne faut pas oublier que,
depuis 2023, la PO et ses alliés ont gagné les élections législatives, territoriales et européennes. Le PiS dispose donc de leviers relativement limités pour entraver complètement l’action
du gouvernement Tusk et de ses alliés. La victoire est avant tout symbolique, et partiellement politique. QUE PRÉSAGE CETTE ÉLECTION QUANT À LA POSITION POLONAISE SUR LA QUESTION DE
L’ADHÉSION DE L’UKRAINE À L’OTAN ? Lors d’un meeting, Karol Nawrocki a affirmé que l’adhésion de l’Ukraine aux institutions euro-atlantiques, UE et OTAN, serait conditionnée à l’amélioration
des relations polono-ukrainiennes et notamment la question de la reconnaissance par l’État ukrainien des massacres de Volhynie (il s’agit du massacre de plusieurs milliers de Polonais
durant la Seconde Guerre mondiale par des nationalistes ukrainiens). Nawrocki a aussi affirmé qu’il souhaitait la poursuite de l’aide militaire à l’Ukraine. C’est la ligne du PiS, le parti
conservateur qui l’a soutenu, qui estime prioritaire la défaite de l’ennemi commun, la Russie. EN POLOGNE, LES PRÉROGATIVES DU PRÉSIDENT LUI DONNENT-ELLES UN RÉEL POUVOIR ? EN TANT QUE CHEF
DES ARMÉES, KAROL NAWROCKI JOUERA-T-IL UN RÔLE DÉTERMINANT ? Dans le domaine de la défense et de la politique étrangère, le président est le chef des armées et il nomme le chef d’état-major
des armées, le commandement en chef des forces polonaises en cas de guerre ainsi que les ambassadeurs. Autant de compétences importantes dans le contexte sécuritaire dégradé actuel.
D’ailleurs, le ministre des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, attendait l’élection présidentielle pour changer une cinquantaine d’ambassadeurs. La victoire de Nawrocki va contrecarrer
ce projet. LA NOUVELLE DONNE POLITIQUE POURRAIT-ELLE BOUSCULER LE VASTE PLAN D’ARMEMENT RÉCEMMENT LANCÉ PAR DONALD TUSK ? Le plan d’armement découle de la loi sur la défense de la nation
votée à la quasi-unanimité et entrée en vigueur en mars 2022. Cette loi résulte d’un véritable travail parlementaire, notamment en commission, et il s’agit d’un des rares cas où il a été
possible d’obtenir un consensus entre la PO et le PiS, les deux « frères ennemis » de la vie politique polonaise. Les programmes d’armement lancés par le précédent gouvernement PiS, tout
particulièrement les achats massifs américains et coréens, n’ont pas été annulés par le gouvernement Tusk. De fait, il serait étonnant que le nouveau président entrave ce programme…