
Thani Mohamed-Soilihi : « La France reste à l’écoute des sociétés civiles africaines »
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Un vendredi de mai, au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Thani Mohamed-Soilihi nous reçoit dans son bureau, vaste et lumineux, où des objets d'art africains ornent les murs –
certains posés à même le sol – comme un discret manifeste de ses priorités. À quelques heures d'un déplacement au Kenya puis à Mayotte, le ministre délégué à la Francophonie et aux
Partenariats internationaux déroule, avec méthode, les contours d'une politique de développement qu'il souhaite plus lisible, affranchie des clichés d'une aide néocoloniale ou d'un retrait
larvé de la France.
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Alors que les critiques s'accumulent, que les financements américains se contractent et que les récits souverainistes gagnent du terrain en Afrique, il oppose une diplomatie du résultat,
ancrée dans le terrain. Dans cette stratégie renouvelée, l'Agence française de développement s'impose comme un acteur central – levier d'un partenariat repensé, autant avec les États qu'avec
les sociétés civiles.
Le Point Afrique : Vous avez publiquement salué les résultats de l'Agence française de développement (13,7 milliards d'euros en hausse ). Mais au-delà du bilan numéraire, quels objectifs
concrets lui avez-vous assignés ? Et ces résultats sont-ils vraiment à la hauteur des ambitions affichées par Emmanuel Macron pour refonder la relation avec le continent africain ?
Thani Mohamed-Soilihi : L'AFD est un instrument stratégique, le bras armé de notre politique de solidarité internationale. Les résultats publiés ces derniers jours pour ses activités 2024
dépassent nos attentes et tombent à point nommé, alors qu'une partie de l'extrême droite tente de discréditer notre action. Cette polémique s'est retournée contre ses auteurs : elle a permis
de mettre en lumière l'utilité de notre politique pour nos partenaires et pour les Français eux-mêmes, dont deux tiers la jugent nécessaire d'après le sondage sorti cette semaine. Au
passage, je tiens à souligner que notre activité en Afrique progresse de 8 % par rapport à 2023.
Par notre fort engagement, d'abord, au profit de nos priorités géographiques, dont fait partie l'Afrique. Et puis par l'efficacité de nos programmes. J'ai pu le constater sur le terrain, par
exemple lors de déplacements en Côte d'Ivoire, au Cameroun, au Kenya – où je retourne d'ailleurs cette semaine. Il y a une forte demande de France, et un intérêt pour les propositions que
nous mettons sur la table : une coopération respectueuse, gagnant-gagnant, où chacun trouve ses intérêts.
Une confusion persiste pourtant dans l'opinion : beaucoup de Français pensent qu'il s'agit uniquement de dons, ce qui alimente les discours de l'extrême droite. Or, l'essentiel relève de
prêts. Faut-il envisager de changer le nom de l'AFD pour mieux refléter cette réalité ?
Vous touchez là un point crucial. L'AFD, ce n'est pas l'USAID, l'agence américaine, qui reposait quant à elle à 100 % sur du don. L'AFD, c'est 85 % de prêts et 15 % de dons. Et sur cette
part de don, je le dis clairement : c'est une fierté. Une fierté de soutenir l'égalité entre les femmes et les hommes en Jordanie par exemple, de lutter contre la malnutrition à Madagascar
ou ailleurs. Les Français y sont attachés, les sondages le confirment. Quant aux prêts, ils font la force de notre dispositif de financement du développement, car ils permettent des effets
de levier démultiplicateurs ; ils engagent nos partenaires dans des projets structurants, tout en préservant les équilibres financiers. J'ai vu, en Zambie par exemple, les effets concrets
d'une restructuration de dette soutenue par la France : elle a permis au pays de consolider ses finances publiques et de se projeter vers une nouvelle ambition. Même dynamique en Éthiopie.
Ces programmes de prêts sont recherchés, car ils reposent sur une logique gagnant-gagnant. Face aux discours démagogiques, notre réponse, c'est la clarté, l'efficacité et la transparence. Et
surtout : faire en sorte que les Français voient mieux ce que cette politique apporte à notre rayonnement et pour nos partenariats.
Exactement. C'est pour cela que je me rends dans toutes les régions de France, y compris en outre-mer. Je rappelle que, face à un monde en crise, on ne peut pas juste fermer portes et
fenêtres pour espérer que les cyclones, pandémies et crises s'arrêtent à nos frontières. Je multiplie aussi par exemple les vidéos pédagogiques, dont un format hebdomadaire sur les réseaux
sociaux – les « diplo-devs » –, qui permet d'expliquer concrètement ce que nous faisons, et en quoi cela est utile aux partenaires comme aux Français. Le Covid nous l'a prouvé : ces
pandémies ne s'arrêtent pas à nos frontières. Et même si elles ne viennent pas jusqu'à nous, les Français, eux, voyagent et vivent à l'étranger. Pendant que vous saluez les résultats de
l'AFD, les États-Unis, eux, coupent brutalement les vivres de l'USAID en Afrique.
Comment interprétez-vous ce désengagement américain, et que change-t-il pour la France sur le terrain ?
C'est catastrophique. Ce retrait concerne environ 40 % de l'aide humanitaire globale. L'impact est humain avant tout : les décès liés aux pandémies pourraient augmenter de 3,8 % chaque
année, et pour le VIH seul, 1,6 million de personnes pourraient mourir chaque année du fait de cet arrêt brutal des financements.
La France face peut-elle jouer un rôle dans le contexte budgétaire actuel ?
La France se mobilise. J'étais à Bruxelles récemment pour encourager les Européens à réagir vigoureusement. L'Europe est le premier contributeur mondial d'Aide publique au développement. Il
est essentiel de mieux coordonner nos efforts. En mars dernier, lors du sommet sur la nutrition dit « N4G » qui se tenait à Paris, nous avons battu un record précédent en matière
d'engagements. Nous avons obtenu 35 milliards de dollars grâce à une mobilisation renforcée, y compris du secteur privé. Public et privé doivent marcher ensemble. Et le prochain grand
rendez-vous sera le sommet de Séville. Il portera sur la réforme de l'architecture du financement du développement. Ce que nous attendons, ce sont des solutions innovantes. C'est aussi
l'agenda du « 4P » – le pacte pour la prospérité, les peuples et la planète –, une initiative lancée en France il y a deux ans. L'idée, c'est que les pays ne doivent pas choisir entre le
développement et la lutte contre le dérèglement climatique. On peut et on doit faire les deux. Plus de 70 pays du Sud et du Nord ont déjà rejoint le 4P, formant des coalitions pour avancer
ensemble sur les enjeux de notre siècle.
Quand vous avez mis en place le logo unique « France » pour les projets de terrain des opérateurs du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, était-ce aussi une réponse aux discours
antifrançais, notamment en Afrique ?
Pendant longtemps, portés par nos convictions humanistes dans le secteur humanitaire et du développement, nous avons pensé qu'il suffisait d'agir. Mais face à la montée des discours
populistes, des infox et du repli sur soi, il nous a fallu rendre nos actions plus visibles, plus lisibles. Ce n'est pas une réponse spécifique à la situation dans certains pays d'Afrique,
mais une nécessité globale. Et ce logo permettra d'identifier clairement le rôle de la France partout où nous soutenons des projets. Les chiffres montrent que les Français restent fortement
attachés à notre politique de développement. Mais cette politique est encore trop peu connue : 42 % de la population s'estime suffisamment informée de nos actions. L'enjeu est aussi de
rendre nos actions plus visibles sur le terrain. C'est pourquoi nous avons mis en place un logo « France » unique afin que soient identifiées nos actions. Je veux que sur tous les projets
portés par le ministère et ses opérateurs à travers le monde, l'on voie cette identité visuelle : leurs bénéficiaires doivent savoir que c'est la France qui œuvre pour la solidarité
internationale et la stabilité. À LIRE AUSSI Afrique-France : « Il y a comme une situation de “frustration amoureuse” »
En prenant vos fonctions, vous avez voulu impulser un renouvellement du partenariat avec les pays africains. Comment tracez-vous cette nouvelle trajectoire ? Êtes-vous soutenu au plus haut
niveau de l'État français ? Et comment vos partenaires africains vous répondent-ils ?
Nous avons trouvé une trajectoire très claire, notamment dessinée par le discours de Ouagadougou du président Macron en 2017. Ce que je fais aujourd'hui, auprès du ministre Jean-Noël Barrot,
c'est de mettre en œuvre cet agenda de transformation de nos relations avec l'Afrique, afin qu'imprime un logiciel renouvelé, fondé sur des partenariats gagnant-gagnant respectueux de la
souveraineté de chacun. Mon apport personnel vient peut-être du fait que je viens d'Afrique que je connais bien, étant né sur l'île de Mayotte. Je sers la France avec l'objectif de donner
des résultats concrets sur le terrain.
La crise au Sahel a clairement déstabilisé la politique française en Afrique. Certains pays ont pris leurs distances avec les instances multilatérales, quittant la Cedeao, l'OIF, voire
rompant toute coopération. Cela vous oblige-t-il à revoir votre approche ?
Il y a, sur le Sahel, énormément de désinformation. Mais soyons clairs : ce sont les États eux-mêmes qui ont fait des choix souverains, que je ne commenterai pas ici. Ils ont quitté la
Cedeao, la Francophonie, l'OIF – une organisation qui regroupe pourtant plus de 90 États et gouvernements. La France, elle, ne s'est pas retirée de l'OIF. Elle continue de proposer.
S'agissant de la Cedeao que vous mentionnez, il s'agit d'une organisation régionale, dont la France n'est pas membre. Sous l'impulsion du président Macron, nous avons décidé de sortir du
prisme strictement sécuritaire. Non pas pour rompre, mais pour élargir notre offre de partenariat. Pour ceux qui souhaitent maintenir une coopération dans ce domaine – comme c'est le cas de
Djibouti par exemple –, nous sommes présents. Mais au-delà, nous misons sur l'économie, la culture, le sport, l'industrie, les liens avec la jeunesse. La transition climatique et énergétique
passe par une coopération étroite avec l'Afrique. Prenez le Cameroun : le barrage de Nachtigal que j'ai visité, financé avec l'appui de l'AFD, développé et exploité avec EDF, fournira 30 %
de l'électricité du pays. Il générera plus de 23 000 emplois. À Dakar, la France accompagne le Sénégal dans l'organisation des Jeux olympiques de la jeunesse. À Madagascar, en Éthiopie, en
Côte d'Ivoire, en Angola, au Ghana, au Nigeria, en Afrique du Sud… nos partenariats sont actifs, concrets, fondés sur une approche d'égal à égal.
Avez-vous encore des liens, même informels, avec les régimes du Sahel ?
Nous ne sommes pas à l'origine d'une rupture du dialogue. Les ponts avec ces pays ne sont pas coupés dans tous les domaines, tant s'en faut. Nous maintenons les liens avec la société civile,
nous sommes à l'écoute des diasporas qui n'ont pas à pâtir d'une situation dont elles ne sont pas responsables. Notre politique repose sur le respect, mais aussi sur la cohérence. Et nous
regardons vers l'avenir. Cela passe aussi par une politique mémorielle assumée. Avec Madagascar, le Cameroun, le Sénégal, Haïti, nous avons engagé un travail de vérité sur notre histoire
partagée. C'est un processus de réconciliation en profondeur. Le président camerounais Paul Biya lui-même a parlé de « thérapie de groupe » après la publication du rapport de la commission
mixte mémorielle composée d'historiens sur le rôle et l'engagement de la France au Cameroun. Ce travail se poursuit, avec des gestes concrets : restitution d'objets au Sénégal et au Bénin,
bientôt en Côte d'Ivoire et à Madagascar.
Mais ces gestes restent symboliques. Sur le Cameroun, par exemple, on attend encore des décisions fortes…
Je ne partage pas ce constat. Ce travail de mémoire se fait en deux temps. Il y a eu la parole et la production de ce rapport, désormais vient le temps des actes : le ministère examine
actuellement les propositions transmises, que ce soit sur l'intégration de ces récits dans les programmes scolaires, les initiatives artistiques, les engagements sur la restitution. Ce sont
des avancées très attendues par les populations concernées. Il ne s'agit pas seulement de réparer le passé, mais de mieux construire l'avenir.
Par exemple, notre visite récente au Sénégal : nous accompagnons le chantier de la piscine olympique pour les Jeux olympiques de la jeunesse. C'est la première fois que ces jeux se tiendront
en Afrique. La France met son expertise au service de cet événement – infrastructures, organisation, formation. C'est une coopération concrète, utile, visible.
Correction. Le gouvernement français, au service des réseaux et des intérêts privés.
La France a mille projets possibles en Afrique : Electrification, ferroviaire, traitements des eaux, des déchets...
Faire appel au seul argent public a deux inconvénients : d’abord sa rareté, ensuite l’image interventionniste de l’Etat français. Des partenariats avec de grandes entreprises françaises pour
soutenir voire réouvrir des écoles françaises serait plus judicieux et efficace. D’abord pour soutenir l’usage su français, ensuite aider a faire émerger des elites utiles pour ces pays.
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