
Derrière « Le Radeau de la Méduse », le message caché de Géricault
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DERRIÈRE « LE RADEAU DE LA MÉDUSE », QUEL ÉTAIT LE MESSAGE DE GÉRICAULT ?
Derrière les plus grandes œuvres se cache parfois un message. C'est le cas pour _Le Radeau de la Méduse_, de Théodore Géricault, tableau exécuté en 1819. Petit rappel des faits. En
1816, la frégate _Méduse_ s'échoue sur un banc de sable au large des côtes de Mauritanie, déclenchant une catastrophe qui emporte 160 personnes dans les profondeurs. Parmi les rescapés,
137 s'entassent sur un radeau de fortune, luttant contre la faim et la déshydratation, sombrant peu à peu dans le désespoir et la barbarie, allant jusqu'à recourir au cannibalisme
pour survivre. Seules dix personnes échappent à cet enfer flottant.
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Cette catastrophe maritime, c'est aussi l'histoire d'une déroute politique, due à l'incompétence d'un homme : le commandant Hugues Duroy de Chaumareys. À peine
capable de lire une carte, il est pourtant nommé à la tête de _Méduse_, l'une des plus belles frégates de la Royale.
_LE RADEAU DE LA MÉDUSE,_ « UN TABLEAU QUI FOCALISE LES REGARDS »
Géricault s'empare donc de cette affaire, qu'il découvre dans la presse. Il présente son tableau de quatre mètres sur sept au salon de 1819 à Paris. « Cette année-là, _Le Radeau de
la Méduse_ est vraiment le clou du salon. C'est un tableau qui focalise les regards », nous explique Bruno Chenique, docteur en histoire de l'art et spécialiste de Géricault. Les
premiers témoignages de l'époque racontent que « la foule se précipite devant le tableau de Monsieur Géricault ».
Le radeau est parsemé de corps inertes, certains prêts à glisser dans les flots déchaînés. Au centre de l'embarcation, les survivants aperçoivent un navire à l'horizon. L'un
d'eux, le héros du tableau, selon Bruno Chenique, se dresse sur un tonneau vide, agitant frénétiquement sa chemise au-dessus de sa tête, afin d'attirer l'attention du navire
qui vient les sauver.
La forme triangulaire que prend le groupe de naufragés invite le regard à se poser sur cet homme qui est probablement un marin africain. Paradoxalement, le héros du tableau nous tourne le
dos. « Il est totalement anonyme. Et surtout, c'est un homme de couleur, très probablement noir ou métis. Mais parmi tous les critiques présents à l'époque, personne ne parle du
héros principal de l'œuvre », fait remarquer Bruno Chenique. Silence radio. Il faut dire que, à l'époque, l'esclavagisme est encore répandu et peu d'hommes noirs sont
représentés dans les galeries des musées.
Est-ce un acte militant de Géricault ? « Ça ne peut pas être le fruit du hasard. Charles Blanc, premier biographe de Géricault, écrit justement qu'il a mis un homme noir au sommet de la
pyramide par volonté de parler d'égalité raciale », rapporte Bruno Chenique. D'ailleurs, trois figures d'hommes noirs sont représentées, alors qu'il n'y en aurait
eu en vérité qu'un seul parmi les rescapés.
Pourtant, pendant longtemps, plusieurs personnes refusent de voir le caractère politique du _Radeau de la Méduse_. « C'est comme si on nous racontait que _Guernica_ de Picasso n'a
rien de politique. Personne n'oserait une telle aberration », abonde Bruno Chenique. Or, toute sa vie, Géricault fait partie des rares artistes qui s'intéressent de très près aux
problèmes de l'esclavage. Et pour l'historien de l'art, cela ne fait aucun doute : « Il appartenait au mouvement abolitionniste, avec un regard plein d'humanité sur les
Africains. »
Si des débats ont eu lieu sur le réel message politique de l'artiste, c'est parce qu'il existe malheureusement très peu de traces écrites sur la vie de Théodore Géricault.
Mais beaucoup voient dans ce tableau un geste politique. Pour l'historien Jules Michelet, Géricault peint « le naufrage de la France, ce radeau sans espoir, où elle flottait, faisant
signe aux vagues, au vide, ne voyant nul secours ».
À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre Car c'est aussi le naufrage de la France napoléonienne qui est peint. Très hostile à Napoléon, Géricault choisit de représenter au premier rang
un père, avec sur sa poitrine une croix de la Légion d'honneur. Symbole napoléonien par excellence. Ni vu ni connu, le peintre adresse un petit tacle au souverain corse qui n'est
plus au pouvoir. « Là encore, une liberté qu'a prise Géricault sur les récits officiels du naufrage. Cet homme qu'il représente, totalement désespéré, tourne le dos à l'espoir
de libération, au futur. Avec ce personnage, il affirme que le passé, c'est Napoléon. »
À mesure que le temps s'écoule, le radeau semble prendre le large. Littéralement. Du fait de sa composition, l'huile sur toile souffre d'un assombrissement irréversible, à
cause d'un pigment noir à base de bitume utilisé par Théodore Géricault. Ce pigment n'a jamais séché et s'est répandu dans les couches de la peinture. Le chef-d'œuvre de
Géricault est condamné à disparaître. Dans un article sur le sujet, Bruno Chenique écrit : « _Le Radeau de la Méduse_ connaîtra donc un jour ou l'autre le sort des naufragés : il
disparaîtra, rongé par un mal incurable qui bien évidemment serait la métaphore de ces pauvres victimes qui, pour tenter de survivre, se livrèrent au cannibalisme. »