« Plus c’est crade, plus j’adore » : Mark Daumail réinvente Cocoon

« Plus c’est crade, plus j’adore » : Mark Daumail réinvente Cocoon


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« PLUS C’EST CRADE, PLUS J’ADORE » : MARK DAUMAIL RÉINVENTE COCOON


Lorsque Mark Daumail décroche le téléphone, sa voix tremble légèrement, comme s'il sortait tout juste de l'enregistrement d'un nouveau morceau. Loin des mélodies ensoleillées


qui ont fait sa renommée avec des tubes comme « Chupee », l'artiste livre sous le nom de Cocoon son œuvre la plus personnelle. Viscérale. Résolument sombre, _What We Leave Behind_ 


explore les blessures d'enfance, le divorce, la dépression… bref ses démons intérieurs. Un changement de trajectoire ? Pas vraiment. « Il y a un malentendu. Depuis vingt ans, les gens


pensent que les tubes de Cocoon sont des chansons plutôt guillerettes. Elles sont faussement joyeuses la plupart du temps », nous explique-t-il.


Seul à bord de Cocoon depuis le départ de Morgane Imbeaud, sa partenaire des débuts, Mark Daumail signe là son album le plus intime. Il creuse un sillon sonore singulier, loin des plug-ins


numériques standardisés. Il façonne un univers qui lui appartient : imparfait et profondément authentique. Et abandonne enfin son « masque de clown » pour se révéler entièrement.


LE POINT : Vous avez décrit votre dernier album comme le plus important et le plus intime de votre discographie. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette affirmation ?


MARK DAUMAIL : Je suis là depuis une vingtaine d'années maintenant, mais ce disque-là, c'est mon préféré de très loin. C'est celui que je rêvais de faire depuis que je suis


adolescent, parce que j'ai toujours aimé les disques où les artistes se mettent vraiment à nu. Je pense à mes héros, Patti Smith, Sufjan Stevens, Léonard Cohen, Bob Dylan ou David


Bowie. Sur certains albums, ils enlèvent tout le superflu, tu te retrouves avec des chansons les plus brutes possibles. J'adore ça. Le brutal, en musique en tout cas, et dans la


douceur, parce que ce sont souvent des artistes qui font une musique très douce. Avant j'étais soit trop dans la douceur, soit trop dans la pop. J'ai l'impression d'avoir


fait le disque de mes rêves.


L'ALBUM SEMBLE EFFECTIVEMENT TRÈS PERSONNEL. AVEZ-VOUS DÉLIBÉRÉMENT CHOISI D'ALLER PLUS LOIN DANS L'ÉCRITURE DE VOS TEXTES ?


Oui, j'ai tout lâché en termes de texte. À chaque fois que j'écrivais une phrase, je me disais : va encore plus loin. Arrête de te cacher. C'est un album catharsis. J'ai


eu une enfance hyper compliquée, une adolescence encore plus compliquée, et si je chante avec ma voix d'homme de quarante ans, je chante encore des blessures qui sont issues de ces


premières années de vie. Aujourd'hui, j'observe mon fils et je me rends compte que j'ai encore des choses à dire sur tout ça.


À LIRE AUSSI AIME SIMONE : « MA MUSIQUE PEUT ÊTRE LA PROCHAINE POP »LE TITRE DE L'ALBUM, « WHAT WE LEAVE BEHIND », SEMBLE D'AILLEURS TRÈS SIGNIFICATIF. 


Oui, c'est ce qu'on laisse derrière soi. Je voulais vraiment tirer un trait une bonne fois sur le passé qui me pèse depuis toujours. Évidemment, je parle de mon divorce dans cet


album, je voulais me débarrasser de ça et repartir dans la vie. J'ai l'impression de me laver dans l'océan de toutes ces choses positives ou négatives du passé mais qui ont


trop d'influences sur le présent et le futur. [embedded content] CET ALBUM EST CONSIDÉRABLEMENT PLUS SOMBRE QUE VOS PRÉCÉDENTS TRAVAUX. ÉTAIT-CE UN CHOIX DÉLIBÉRÉ ?


Il y a un malentendu. Depuis vingt ans, les gens pensent que les tubes des Cocoon sont des chansons plutôt guillerettes. Elles sont faussement joyeuses la plupart du temps, et les albums,


très sombres. Il y a des monstres, des meurtres, des maladies, des dépressions. Je suis un grand grand fan de tous les auteurs qui abordent ces sujets. Quand je consomme un film ou un jeu,


il faut que ça soit noir, il faut que ça soit sombre, que ce soit tordu.


C'est vrai que les gros tubes de Cocoon sont ceux où j'essayais de mettre de la joie, de la lumière. Mais la seule différence avec les autres disques, c'est que celui-là, je


me suis dit que je ne voulais aucun compromis là-dessus. Du coup, on se retrouve avec un album « monocolore ». Grisâtre, voire noirâtre.


VOS PRÉCÉDENTS ALBUMS PRÉSENTAIENT SOUVENT UN CONTRASTE ENTRE DES MÉLODIES JOYEUSES ET DES PAROLES PLUS SOMBRES. COMMENT ABORDEZ-VOUS CETTE DICHOTOMIE DANS VOTRE TRAVAIL ?


Ce qui m'a toujours beaucoup plu, c'est justement cette dichotomie entre le texte et la musique. Ce qui m'a beaucoup amusé par le passé, c'est de prendre une musique très


joyeuse et de chanter des horreurs dessus. Ça me fait penser à Miyazaki, qui est un de mes héros. Dans chacun de ses films, notamment _Totoro_, qui est tout de même un film pour les


enfants, en filigrane, il y a une maman à l'hôpital qui va peut-être mourir.


À LIRE AUSSI MIYAZAKI, NOTRE BON GÉNIEC'est un peu ça Cocoon... ça a été longtemps un maquillage que, aujourd'hui, je n'ai plus envie de porter. J'ai plus souvent


maquillé ma peine en utilisant des métaphores ou des chansons qui finalement, sur le moment, fonctionnent. Mais au bout d'un moment, le maquillage, ça tombe toujours un peu.


J'adore ces chansons, mais... Je mettais mon masque de clown quelque part.


MALGRÉ L'ÉVOLUTION DE VOTRE MUSIQUE, ON RECONNAÎT TOUJOURS VOTRE SIGNATURE ARTISTIQUE. POURQUOI AVOIR CONSERVÉ LE NOM COCOON ALORS QUE VOUS ÊTES DÉSORMAIS EN SOLO ?


C'est vraiment le nom que j'ai choisi à l'époque. J'ai commencé seul puis j'ai fait un casting où j'ai rencontré plusieurs chanteuses. Il y en a une, Morgane


Imbeaud, qui a été là sur le premier et le deuxième album. Et c'est là où il y a eu une médiatisation massive. Le duo avec Morgane a déjà vingt ans, mais il a été assez marquant. La


preuve, on parle encore de cette période où il y a cette méprise que Cocoon est un duo. [embedded content] BEAUCOUP DE GENS ASSOCIENT ENCORE COCOON À UN DUO, NOTAMMENT À CAUSE DU SUCCÈS DE «


 CHUPEE  ». COMMENT VIVEZ-VOUS CETTE PERCEPTION ?


J'arrivais en studio, exactement comme aujourd'hui avec mes chansons, et après on arrangeait. À ce moment-là, je trouvais que le mélange de voix féminine et masculine fonctionnait


bien… Au bout d'un moment, d'elle-même, Morgane s'est sentie un peu de trop. En plus je partais sur le troisième album, un album sur mon fils... Elle avait vraiment envie de


faire ses propres chansons, c'est ce qu'elle a toujours dit. On a été médiatisés pour un vrai tube, ça ne me dérange pas, mais à chaque fois je dois remettre l'église au


centre du village.


SUR CET ALBUM, VOTRE APPROCHE SONORE EST TRÈS PARTICULIÈRE. VOUS UTILISEZ DES CASSETTES ABÎMÉES ET DES INSTRUMENTS ÉTEINTS. QU'EST-CE QUI VOUS A POUSSÉ VERS CETTE ESTHÉTIQUE ?


Les instruments éteints c'est un son génial. Notamment un piano électrique que j'adore. Mais quand tu l'éteins... C'est parti d'une chanson sur un grand ami


pianiste, qui est décédé. Et je me suis dit : « Tiens, je vais éteindre l'électricité, comme si le piano lui-même était mort. » J'enregistrais ça avec mon téléphone et je me suis


dit : « C'est bien crade, j'adore. » Ça a donné toute la direction artistique de cet album. Plus c'est crade, plus j'adore. C'est une réaction aussi aux albums


qu'on a faits avant, le son était un peu trop propre.


À LIRE AUSSI KIDS RETURN : LES HÉRITIERS FRANÇAIS D'OASIS ET DE PHOENIX RÉINVENTENT LA POPCOMMENT S'EST DÉROULÉ VOTRE PROCESSUS CRÉATIF POUR CET ALBUM ? VOUS SEMBLEZ AVOIR CHANGÉ


VOTRE APPROCHE PAR RAPPORT À VOS PRÉCÉDENTS PROJETS.


Mon ordinateur est devenu juste ce qui devrait être sa fonction principale, c'est-à-dire un enregistreur, un endroit où je dépose mes idées. J'ouvre les sessions, elles n'ont


pas vraiment de plug-in dessus. Juste une compression parfois. Tout l'arrangement coulait de source. Tout l'album a été enregistré en un mois, c'était terminé. J'ai


accumulé énormément de matériel. Quand je m'y mets, je perds totalement la notion du jour et de la nuit. J'avais l'impression d'être une sorte d'alpiniste, un peu


coupé du monde, à ne répondre à aucun téléphone, à être juste dans la création. 


Quand j'ai démarré cet album, j'ai fait venir tous mes musiciens habituels. Je leur ai montré les maquettes, on a commencé à jouer, à faire du Cocoon. À un moment, je leur ai dit :


« On est en train de se faire chier, non ? » On était comme dans une espèce de pantoufle géante. J'ai tout envoyé à un producteur avec qui je rêvais de faire le disque, Renaud Letang.


Une pointure. Il a été clair : « Vous êtes en train de faire de la grosse merde. »


Donc là, j'ai posé ma guitare. J'ai tout recommencé tout seul, sans groupe, sans rien et en me disant : « Qu'est-ce qu'il a voulu dire ? Qu'est-ce qui est mauvais


dans chacun de mes projets, dans chacune de mes démos ? » J'ai vite compris que c'était un problème de son et qu'il fallait que je le règle seul.


VOTRE ALBUM A ÉTÉ TRÈS BIEN REÇU ET VOUS JOUEZ DÉSORMAIS DANS DES SALLES PRESTIGIEUSES COMME PLEYEL À PARIS. COMMENT ADAPTEZ-VOUS VOTRE MUSIQUE INTIME À CES GRANDS ESPACES ?


Pleyel et l'auditorium de Lyon sont des salles construites pour l'écoute pure. Je suis ravi de passer maintenant dans cette catégorie-là d'écoute, d'acoustique. J'ai


beaucoup travaillé avec des bandes et des cassettes et tout ça. Je me suis racheté ces objets-là parce que je me suis rendu compte que je travaillais tout le temps avec mon ordinateur


depuis vingt ans et que j'entends maintenant le moindre plug-in. Et donc je me suis dit qu'à partir de maintenant, je créerai mes propres sons détruits, de cassettes, de bandes. Ça


a donné des sons impossibles à reproduire, donc j'ai envie de le faire sur scène aussi.


COMMENT VOYEZ-VOUS L'ÉVOLUTION DES FORMATS MUSICAUX FACE À L'INFLUENCE DES RÉSEAUX SOCIAUX ?


L'évolution est structurelle. À mes débuts, une chanson radio durait trois minutes trente, avec un refrain arrivant vers la trentième seconde, après une intro et un couplet.


Aujourd'hui, le format est réduit à deux minutes vingt – nous avons perdu plus d'une minute de musique. Cette accélération se retrouve partout. Il y a quelques années, la tendance


« sped-up » a émergé : des tubes comme ceux de Frank Ocean étaient réenregistrés en version accélérée, donnant cette voix de souris que l'on préfère à l'original jugé trop lent. La


création de ces fonctionnalités d'accélération est une catastrophe pour l'appréciation artistique. Le plus ironique, c'est quand on me félicite pour l'intimité et


l'honnêteté de mon album, comme si c'était exceptionnel.


À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre Je travaille actuellement sur deux projets. D'abord, le premier best-of de Cocoon qui sortira avant la fin de l'année – un projet


particulier où je réinterprète toutes mes chansons d'une manière spécifique. Ensuite, je finalise un nouvel album prévu pour début 2026. Pour _What We Leave Behind_, j'ai


délibérément écarté toutes les chansons plus lumineuses que j'avais composées durant cette période. Je voulais un album résolument sombre. J'ai conservé ces morceaux plus


ensoleillés pour ce prochain album prévu pour 2026.


_COCOON, « WHAT WE LEAVE BEHIND », YUM YUM RECORDS, MAI 2025._