
Comment la loi anti-fast fashion a-t-elle été vidée de sa substance ?
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COMMENT LA LOI ANTI-FAST FASHION A-T-ELLE ÉTÉ VIDÉE DE SA SUBSTANCE ?
Plus d'un an après avoir été votée par les députés, la proposition de loi censée réduire l'impact environnemental de la fast fashion et de l'ultra fast fashion arrive enfin
entre les mains des sénateurs. Mais depuis sa mise sur pied par la députée Horizons Anne-Cécile Violland, le texte a beaucoup évolué, et certains dénoncent une coquille vide.
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Adoptée à l'unanimité par les députés en mars 2024, la proposition de loi prévoyait notamment d'imposer à l'industrie un malus, qui devait être indexé sur un score
environnemental. Celle-ci devait également être interdite de publicité. Dans le viseur, entre autres : les géants chinois Shein et Temu. Mais, mi-mars, le texte a été largement amendé par la
commission du Développement durable du Sénat.
Parmi les remaniements majeurs : le fait que le malus qui pourrait être imposé aux plateformes concernées ne soit plus indexé sur le score environnemental d'un vêtement, mais qu'il
dépende de la « durabilité des pratiques commerciales des producteurs mesurée sur la probabilité qu'un produit devienne un déchet ». Qui plus est, le montant de ce malus à payer par
les entreprises (qui devait être de cinq euros en 2025 et jusqu'à dix euros en 2030) n'est plus inscrit dans la proposition de loi. Quant à l'affichage environnemental (une
sorte de note similaire au Nutri-Score pour les produits alimentaires), celui-ci ne serait pas obligatoire.
Ce n'est pas tout : l'interdiction de publicité ne porte désormais plus que sur le recours aux influenceurs pour faire la promotion de l'ultra fast fashion, un point qui
pourrait évoluer. Du moins, c'est ce qu'espère le gouvernement, qui est en faveur d'un amendement prévoyant de rétablir l'interdiction totale de publicité – ce, malgré
les risques d'anticonstitutionnalité, car cet amendement pourrait contrevenir à la liberté de communiquer et d'entreprendre.
Des modifications que les associations de la coalition Stop Fast-Fashion critiquent dans un communiqué publié récemment : « Alors que cette proposition de loi a déjà été largement affaiblie
en commission sénatoriale et sous la pression des lobbies », elles s'alarment d'une loi qui « risque de ne devenir qu'une coquille vide, sans portée dissuasive, bien loin de
la potentialité de transformation du secteur qu'elle incarnait au sortir de l'Assemblée nationale ».
Elles fustigent notamment l'action du « gouvernement lui-même » qui « s'attaque frontalement à un pilier du texte : les pénalités financières en fonction de l'impact
environnemental de chaque produit [originellement basées sur l'éco-score]. Via un amendement, le gouvernement veut supprimer la pénalité progressive [de 5 euros par produit en 2025 à 6
euros par produit en 2026, puis 10 euros en 2030] existant actuellement dans la loi pour la renvoyer au “cahier des charges” et à l'éco-organisme Refashion qui n'a pour
l'instant jamais établi de pénalités supérieures à 0,09 euro ». Côté gouvernement, on répond que le système prévu initialement ne répondait pas aux modalités et aux types de produits
vendus par l'industrie de l'ultra fast fashion, et que ne pas préciser d'entrée de jeu un montant pour ces pénalités permet de s'adapter aux évolutions de prix.
Concernant l'affichage environnemental, sur lequel doit être indexé le malus prévu par le texte, celui-ci s'appuie, d'après Stop Fast-Fashion, sur une « formule extrêmement
floue, qui ne correspond à aucune réalité juridique ». Et de conclure : « Le risque est donc d'avoir une loi qui mette en place des pénalités mais sans les fixer, sur la base de
critères flous, laissant les mains libres aux marques donneuses d'ordre pour profiter des nombreuses zones d'incertitude. »
Stop Fast-Fashion souligne également que « ce recul coïncide avec un lobbying renforcé de la part de Shein. La marque a massivement envoyé au Sénat une étude d'impact dénonçant la
hausse potentielle des prix des vêtements les plus polluants, notamment du fait des pénalités élevées ».
À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre Mi-mars, Donald Tang, président de Shein, rendait visite à la France. L'occasion, pour lui, d'assurer que son groupe avait une politique
de tolérance zéro concernant le travail forcé. Qui plus est, dans un récent article, _Le Point_ décryptait déjà comment le secteur recrutait récemment un trio français, espérant constituer
une parade efficace au texte actuellement en constitution : ont été embauchés par Shein Christophe Castaner, ancien ministre de l'Intérieur sous Emmanuel Macron ; Nicole Guedj, ancienne
secrétaire d'État sous Jacques Chirac ; et Bernard Spitz, à la tête de la Fédération des assurances et du pôle international du Medef, et président du think tank social-libéral Les
Gracques.
Le tout, dans un contexte économique où la fast fashion et l'ultra fast fashion pèsent toujours plus lourd dans l'industrie du textile : entre 2010 et 2023, le nombre de vêtements
mis sur le marché en France est passé de 2,3 milliards à 3,2 milliards.