Ressource en eau: les collectivités resserrent le robinet du foncier

Ressource en eau: les collectivités resserrent le robinet du foncier


Play all audios:


"Propriété à vendre avec source". Il faudra désormais regarder à deux fois ce type d’annonce avant de se porter acquéreur d’un bien en zone périurbaine. Depuis la promulgation par


décret, en septembre 2022, d’un droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine. Son entrée en application va permettre aux collectivités


de préempter les ventes de surfaces agricoles situées sur les aires de captage d’eau potable. Un coup de vis supplémentaire du législateur, et une plus grande latitude pour les


collectivités, qui n’auront pas à vivre le cas d’école du domaine des Sources de la Siagne, dans le pays de Grasse. L’EAU DES HABITANTS DE GRASSE ET DE CANNES Un cauchemar enduré, en juillet


2021, par le maire de Saint-Vallier-de-Thiey, Jean-Marc Délia, lorsqu’il apprend la vente à un particulier de cette propriété de 122 hectares, pour 2,9 millions d’euros. Le domaine des


Sources, qui abrite deux sources du petit fleuve côtier La Siagne, alimente en eau potable les administrés de sa commune et les foyers d’une grande partie de l’ouest du département des


Alpes-Maritimes, entre les villes de Grasse et de Cannes. L’effet d’une douche froide pour l’édile! _"Lorsque l’agence immobilière m’a informé que le prix baissait et que la vente était


imminente, c’est devenu mon combat. Je dormais domaine des Sources, je cherchais désespérément des financements"_, témoigne le conseiller régional et premier vice-président de la


communauté d’agglomération du pays de Grasse, rappelant _"l’action déterminante et historique"_ de la Safer sur ce dossier. Pour sauver le bien, l’opérateur foncier a pris ses


responsabilités dès le 20 juillet, date à laquelle la notification de la vente arrive sur son bureau. ACTION D’URGENCE INÉDITE _"Devant l’importance stratégique du site pour la


ressource en eau potable des populations, il fallait agir vite. Nous avons aussitôt fait le point avec les élus et réalisé une préemption partielle environnementale sur 119 hectares


(uniquement sur les terres car la Safer ne peut préempter des bâtiments non agricoles, Ndlr), pour 400.000 euros. Deux mois plus tard, le notaire nous mettait en demeure d’acquérir la


totalité du bien. Nous l’avons racheté sans avoir imaginé au préalable de schéma de rétrocession", _explique Thomas Barralis, directeur départemental de la Safer Paca. Cette action


d’urgence inédite a mobilisé, pendant deux ans et demi, 2,9 millions d’euros des capacités de stockage de la Safer Paca (de 32 millions d’euros en 2022) Avant que l’opérateur foncier ne


donne enfin les clés du domaine des Sources au département des Alpes-Maritimes, en avril dernier. Mis à disposition de l’agglomération grassoise pendant cinq ans, ce site emblématique va


permettre de sensibiliser les habitants aux enjeux liés à la ressource en eau, grâce à des actions pédagogiques._ "Il faut que l’on pense l’eau différemment, que l’on passe de la


cueillette de l’eau à sa culture. Le petit Cannois qui va à l’école pourra, en une journée, aller sur un site remarquable voir la rareté et la fragilité de l’eau qui coule dans son


robinet_", se félicite Jean-Marc Vélia. Le cas du domaine des Sources pourrait rapidement essaimer en France, avec la promulgation du nouveau droit de préemption sur les aires de


captage qui met la balle dans le camp des collectivités. En Bourgogne-Franche-Comté, le syndicat départemental d’énergies de l’Yonne vient de se saisir de ce dispositif, l’affaire est en


cours. QUESTIONS À LAURENT VINCIGUERRA, DIRECTEUR GÉNÉRAL DÉLÉGUÉ DE LA SAFER PACA L’une des premières actions d’envergure du nouveau directeur général délégué de la Safer Paca, a concerné


la préemption du domaine des Sources de la Siagne, sur la commune de Saint-Vallier-de-Thiey (Alpes-Maritimes). Aujourd’hui, ce dispositif inédit se trouve renforcé par le droit de préemption


des collectivités sur les aires de captage. LE DISPOSITIF D’URGENCE, QUI A PERMIS DE SAUVER LE DOMAINE DES SOURCES DE LA SIAGNE, EST INÉDIT DANS L’HISTOIRE DE LA SAFER PACA. CE TYPE


D’ACTION POURRAIT-IL EST RECONDUIT ? C’est la première opération d’envergure menée en Région pour la préservation de la ressource en eau. Mais nous continuerons d’être vigilants, si demain


une transaction semblable se présentait, avec un investisseur privé qui envisagerait de mettre la main sur un bien à fort enjeu eau pour les populations. Cela étant dit, l’acquéreur initial


du domaine des Sources souhaitait acheter la propriété parce qu’elle lui plaisait, pas parce que les sources de la Siagne s’y trouvaient. LA RESSOURCE EN EAU FAIT-ELLE L’OBJET DE PRESSIONS


DANS LES TRANSACTIONS FONCIÈRES ? Au plan national, la Safer est intervenue en 2022 sur 5 000 hectares pour la préservation de la ressource en eau, nous avons préempté 5 % des dossiers, les


autres ont été traités à l’amiable. Nous n’observons pas, pour le moment, de volonté de la part d’investisseurs privés, de capter cette ressource eau. En revanche, les évènements de


sécheresse récents ont vraiment mis en lumière un fait : l’eau que l’on pensait un bien acquis quand la ressource était abondante, est devenue un sujet d’incertitude. La question de l’accès


sécurisé à l’eau se pose de plus en plus dans les transactions : les candidats à l’installation se projettent désormais sur des perspectives de 10, 20 à 30 ans avant d’acquérir un bien. QUE


VA APPORTER LE NOUVEAU DROIT DE PRÉEMPTION DES COLLECTIVITÉS SUR LES AIRES DE CAPTAGE ? La Safer a toujours travaillé en bonne intelligence avec la profession agricole pour la gestion


collective de la ressource en eau. En zone périurbaine cependant, sur des modèles de cessions microparcellaires, il peut y avoir des risques de détournement d’usage qui génèrent des


pollutions : acquisition de terrains pour des usages de loisir par des investisseurs privés qui ont une méconnaissance complète du territoire sur lequel ils arrivent et qui se positionnent


dans des secteurs sensibles au niveau de la qualité de l’eau, ou phénomène de cabanisation non encadré par la loi. Dans ces cas précis, la maîtrise foncière par les collectivités devient


pertinente. Mais elle ne sera efficiente que si l’on ne fonctionne pas en silo : de plus en plus d’élus ne sont pas issus du milieu agricole, il y a une méconnaissance réciproque des sujets.


Il faut que les collectivités, la profession agricole, les représentants des chambres d’agriculture et des Safer se mettent autour de la table pour trouver des solutions efficaces.