Barbecue, soit. Mais d’où vient le charbon de bois ?

Barbecue, soit. Mais d’où vient le charbon de bois ?


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Mais d’où vient le charbon de bois des barbecues ? Voilà une question que l’estivant insouciant ne se pose certainement pas. Et pourtant, entre importations africaines, opacité législative,


tricherie des grandes marques, la filière suscite de nombreuses questions. Enquête sur l’origine du mystérieux charbon de bois.


Bien installé dans votre chaise longue, vous sirotez un rosé au son des cigales et du grésillement des brochettes sur le barbecue… Votre regard divague et tombe sur le sac de charbon de


bois. Vous êtes-vous déjà demandé d’où il vient ? Derrière les noirs cailloux, on ne pense pas souvent à imaginer la forêt.


Sauf que ces deux derniers pays n’ont quasiment pas de forêts. Erreur ? « Non, en fait ces pays importent du charbon par containeurs. Il est ensaché sur place, puis vendu en France », assure


Pierre-Olivier Watrin. Il faut donc aller voir où la Belgique et les Pays-Bas se fournissent. « En recroisant les informations, nous sommes arrivés à estimer que 37 % du charbon consommé en


France vient du Nigeria. C’est plus que la production française », poursuit le chargé de campagne. Du charbon utilisé très majoritairement pour les barbecues des particuliers.


Pour vérifier ces chiffres, l’organisation a testé au hasard des sacs de charbon de bois achetés dans différentes grandes surfaces françaises, en analysant les indications apportées sur le


sac et son contenu. Du côté de l’origine, il y a ceux qui ne l’indiquent pas, ceux qui marquent Belgique, et les Français qui affichent fièrement leur drapeau bleu-blanc-rouge. Quand on


ouvre les sacs, il est facile de repérer la provenance du charbon : le bois tropical est plus dense, plus lourd, donc souvent vendu au kilo plutôt qu’au litre. L’ONG a même trouvé certains


tricheurs, qui indiquent une provenance européenne alors que le bois vient clairement des tropiques.


Pourquoi le Nigeria, et plus généralement les importations africaines, posent-t-elles problème ? D’abord, cela est dû à la façon de fabriquer le charbon en Afrique : le bois fait sa


combustion dans des meules de terre (des tas de bois recouverts de terre), où l’air passe encore. Cela laisse échapper les gaz dans l’atmosphère. Alors qu’en Europe, les procédés industriels


utilisent des déchets de scieries, carbonisés dans des fours qui permettent de récupérer et de réutiliser les gaz. Par ailleurs, pour la même quantité de bois, la première méthode permet


d’obtenir environ deux fois moins de charbon que la seconde méthode.


Ensuite, « le problème est que le Nigeria est l’un des pays avec le plus fort taux de déforestation, dénonce Fabien Girard, directeur de TFT France. Là-bas, la façon dont les gens


travaillent, c’est que chacun fait sa meule, la met sur le bord de la route, puis des camions les ramassent et les amènent au port. On n’a aucune traçabilité là-dessus : le bois a-t-il été


prélevé dans des zones protégées ? des enfants y travaillent-ils ? l’argent sert-il à financer des mafias ? »


Une opacité que la législation européenne n’oblige pas à éclaircir. « En 2013, l’Union européenne a mis en place des règlements pour que la totalité des importations de bois en Europe soient


légales, mais le charbon a été exclu, ou oublié », déplore le directeur.


Pour appuyer ses soupçons, TFT cite un rapport des Nations Unies (p.68 à 83) qui explique comment le commerce du charbon finance diverses milices en République démocratique du Congo ou les


Shebabs, groupe islamiste installé en Somalie. « En Afrique de l’Est, Centrale et de l’Ouest, les profits liés au commerce illégal de charbon sont estimés entre 2,4 et 9 milliards de dollars


 », explique le document.


Autre rapport sur lequel s’appuie TFT, celui du ministère allemand de la coopération économique et du développement. « La production de charbon a été identifiée comme une cause majeure de la


déforestation dans de nombreux pays africains, en particulier dans les zones péri-urbaines », affirme-t-il.


« Il faut responsabiliser le marché », en conclut Fabien Girard. Mais aucun des deux rapports ne cite ni le Nigeria, ni les exportations vers les pays européens. TFT refuse par ailleurs de


nous donner le détail de son étude et de son analyse des sacs de charbon de bois. On ne va pas froisser la grande distribution, tout de même…


Comment vérifier les dires de TFT ? A Reporterre, on doute, car l’ONG travaille avec les producteurs de charbon de bois français, menacés, notamment, par la concurrence des importations


africaines à bas coût. Nadège Simon, présidente du Syndicat national du charbon de bois, le reconnaît ouvertement : « On a besoin que la presse en parle, c’est le seul moyen de faire


pression sur la grande distribution qui est toujours tentée d’aller vers les prix les plus bas ».


Reporterre interroge les ONG travaillant sur la déforestation : Greenpeace, Amis de la Terre, WWF. A chaque fois, c’est la même réponse. Non, la filière charbon, on ne connaît pas… Du côté


des chercheurs, pareil, impossible de trouver un expert de la filière charbon en Afrique de l’Ouest.


On contacte les producteurs de charbon français, qui auront peut-être plus d’informations ? Choux blanc, tous nous citent les chiffres de TFT, puis affirment ne pas connaître la filière


africaine puisqu’ils ne travaillent pas avec.


Finalement, la réponse nous vient d’un importateur belge, Giovanni Afflisio, fondateur de Solcarbon. 80 % de ses importations viennent d’Afrique, dont 70 % du Nigeria, car Solcarbon a un


actionnaire implanté là-bas. « Il s’occupe de la fabrication dans des villages dédiés à la carbonisation et de la récolte du charbon », détaille-t-il. Mais il nie l’impact sur la


déforestation. « Je peux vous assurer que personne au monde ne couperait un arbre pour en faire du charbon de bois alors qu’il peut le valoriser en bois d’œuvre », assure-t-il. Autrement


dit, si des zones protégées sont rasées, c’est à cause des importations de bois de qualité, pas du charbon.


« Les exportations représentent une goutte d’eau dans la production de charbon de bois en Afrique, ils ne sont pas prêts à investir. Alors nous travaillons sur le terrain, nous faisons


nous-même les investissements pour contrôler l’approvisionnement en charbon de bois vers l’Europe depuis plusieurs années », poursuit-il. Au Nigeria, il raconte avoir créé des exploitations


forestières : « Pour chaque arbre coupé, nous en replantons trois. »


En revanche, il l’avoue, en dehors du Nigeria où travaille son actionnaire, « c’est très compliqué de contrôler ce qui se passe au-delà de l’intermédiaire ». Il se fournit aussi au Bénin et


en Côte d’Ivoire.


« C’est le prix que veut bien payer le client qui détermine nos approvisionnements, répète-t-il. Nous sommes en mesure de répondre à tous types de demandes. » S’il tente de tracer l’origine


de son charbon, c’est notamment suite à une requête de l’un de ses gros clients. « Mais pour ceux qui veulent du produit à bas coût, nous ne pouvons pas assurer la traçabilité des sources. »


Et il avertit : « Réglementer la filière du charbon de bois, cela veut dire être prêt à le payer 30 à 40 % plus cher... »


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