
Les pisseurs de glyphosate publient des résultats alarmants
- Select a language for the TTS:
- French Female
- French Male
- French Canadian Female
- French Canadian Male
- Language selected: (auto detect) - FR
Play all audios:

Soutenez Reporterre, même pour un euro, en moins de deux minutes. Merci.
Les tout premiers résultats de la Campagne Glyphosate sont alarmants : près de 7 000 personnes ont participé à l’action débutée en 2018 en urinant dans un bocal. Et 99,7 % d’entre eux
présentent des traces importantes de cet herbicide dangereux.
Installer des paravents pour que les participants puissent se déshabiller sereinement, accueillir l’huissier de justice, émarger, étiqueter, faire chauffer les tubes pleins d’urine et
sceller le tout. On est loin des banderoles et des slogans des actions habituelles. Pendant deux ans, les militants engagés dans la Campagne Glyphosate France ont organisé des collectes
d’urine pour détecter les résidus de la molécule du glyphosate. Ce produit herbicide dangereux pour la santé et l’environnement reste autorisé, malgré les promesses d’Emmanuel Macron. Les
premiers résultats de la campagne, qui viennent d’être publiés, sont alarmants : 99,7 % des 6 796 participants [1] présentent des traces de cet herbicide dans leurs urines.
En moyenne, 1,17 nanogramme de glyphosate par millilitre (ng/ml) a été retrouvé sur ces personnes âgées de 6 mois à 94 ans, « soit un taux près de douze fois supérieur à la norme
[européenne] de qualité de l’eau qui est de 0,1 ng/ml ». Le plus fort taux atteint même 7,01 ng/ml. Des chiffres édifiants, à la hauteur de cette campagne de longue haleine.
De juin 2018 à janvier 2020, ces 6 796 participants sont arrivés à 6 heures du matin un samedi, à jeun, pour passer aux toilettes et effectuer un prélèvement. « C’était un moment
surréaliste, sourit Jérôme Niay, ingénieur en agroalimentaire qui a orchestré la pisserie de Rennes en juin 2019. Vivre ensemble ce moment incongru et ensuite partager le petit-déjeuner,
cela crée des liens forts et durables. » Toutes les personnes qui sont venues ce samedi matin de 2019 se sont revues cinq mois plus tard pour déposer d’un bloc leur plainte au tribunal de
Rennes. « Maintenant, on attend le procès, qui n’est pas encore prévu. » Il faudra en effet être patient, probablement compter des années. « Avec mon travail, dit l’ingénieur en
agroalimentaire, j’ai l’habitude de travailler sur des dossiers pendant trois ou cinq ans, la durée de la campagne ne me faisait pas peur. »
En Bretagne, une association dédiée aux collectes d’urine a été créée : les Pisseurs involontaires de glyphosate, les Pig, allusion aux nombreux élevages porcins de la région. Ensuite,
chaque territoire a pu créer sa propre association pour gérer les flux d’argent. Chaque participant a déboursé 90 euros pour l’analyse d’urine, 135 avec le dépôt de plainte.
Patrick Chatelet, par exemple, a ainsi pu organiser une collecte dans la salle polyvalente de Dolo, dans la campagne des Côtes-d’Armor : « Les gens te donnent de l’argent et attendent des
résultats concrets. Il fallait assurer. »
Au moment de prendre sa retraite en 2018, Patrick s’est installé à Plédéliac, près de Lamballe. Déjà engagé à Greenpeace lorsqu’il vivait à Dunkerque, où il était « plus impliqué dans les
actions que dans le suivi des dossiers », il a voulu rendre utile son temps disponible : « Je ne voulais pas rester inactif. » Un ami lui a parlé de la pisserie de Pontivy, la première de
Bretagne en février 2019, qui a servi de test et formé les référents locaux sur le protocole à suivre. « Je pensais y aller pour prendre des infos et les transmettre ensuite à quelqu’un
d’autre. » Finalement, Patrick s’est impliqué plus que prévu, « ça m’a bien pris la tête », sourit-il.
Pas très loin de chez lui, Laëtitia Rouxel, elle, s’est chargée de mettre en place une collecte à Dinan, en juin 2019. « C’était stressant, il y avait un huissier, il fallait bien respecter
le protocole. » Peu de temps après, les résultats d’analyse sont arrivés et il a fallu les envoyer aux participants. « Pour notre collecte à Dinan, le taux de glyphosate allait de 0,50 à
2,50 ng/ml d’urine », se souvient Laëtitia. Encore bien au-dessus du seuil de 0,1 ng/ml autorisé pour les résidus toxiques agricoles dans l’eau potable. « C’est un jeune homme de 15 ans qui
a eu le taux de 2,50 ng/ml. Ça l’a bousculé, il était en colère. Moi, j’ai failli faire tester ma fille qui avait 2 ans et demi à l’époque. J’ai renoncé, j’avais peur que ça me secoue trop.
»
Et puis il y a eu les dépôts de plainte : « On est allés au tribunal de Saint-Malo presqu’un an après, c’était long, mais ce sont des étapes qui structurent le groupe. »
Habituée aux pétitions, manifestations et actions spectaculaires, Laëtitia a eu vent de la Campagne Glyphosate en voyant une affiche dans les toilettes d’un salon bio. Le lieu idéal pour
faire la promotion des pisseries. « J’ai trouvé que c’était une super idée, qu’aller en justice pouvait être efficace. » Elle espère que « cette future action judiciaire aura l’effet d’un
bulldozer ».
À Rennes, Jérôme Niay en est également convaincu : « En allant sur le terrain juridique, on enlève le caractère émotionnel de la contamination. On pose les éléments du débat avec des faits
objectifs et scientifiques. » Patrick Chatelet, de Plédéliac, espère aussi beaucoup du procès dont la date se fait attendre. Tout comme Isabelle Georges, qui s’occupe de la coordination à
l’échelle de la Bretagne. Pour elle, cette action judiciaire « est du concret. On provoque le changement, on ne le réclame pas ». Durant deux ans, elle a passé des soirées à composer une
carte recensant les pisseurs bretons, avec « un point par personne ». Un travail minutieux « qui permet de se rendre compte qu’on est loin d’être seul ». De se rendre compte, aussi, de
l’ampleur du problème : « Nous avons démontré que tout le monde était imprégné de glyphosate. On le voit dans les urines. »
En Bretagne, 26 pisseries ont été organisées depuis 2018, 800 prélèvements effectués et 708 plaintes déposées. En France, 175 pisseries ont été mises en place dans 63 départements, 6 848
prélèvements d’urine ont été effectués (dont 6 796 ont pu être analysés) et près de 5 000 plaintes déposées. 800 autres sont encore à déposer avant d’engager tous ensemble le procès.
Et pourtant, les 6 796 pisseurs, dont l’âge moyen est de 51 ans, ne sont pas représentatifs de la population française. La plupart d’entre eux vivent en zone rurale, font du sport, fument
peu et 20 % se déclarent végétariens. La moitié de la cohorte mange largement bio, et lorsqu’elle consomme de la bière, du vin ou un jus de fruits, il est bio plus de la moitié du temps. «
Il est à craindre que les résultats sur l’ensemble de la population française soient beaucoup plus inquiétants », s’interroge ainsi la Campagne Glyphosate dans son rapport.
Personne ne modifie ce que nous publions. Nous n’avons ni actionnaire, ni propriétaire milliardaire — seulement une équipe d’irréductibles journalistes, pleine de détermination.
[1] Au total, 6 848 personnes ont effectué un prélèvement, mais 52 d’entre eux n’ont pas pu être utilisés et analysés.