
Une firme exploitant des travailleurs agricoles étrangers en procès à Marseille
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Après dix ans d’enquête, le tribunal a requis la dissolution de Terra Fecundis, chargée de fournir de la main-d’œuvre aux agriculteurs français. Cinq ans de prison ont été requis contre les
dirigeants, jugés pour « travail dissimulé en bande organisée et marchandage de main-d’œuvre ».
Qui dirigeait ? Qui faisait quoi ? Qui payait les salaires et accompagnait les salariés au quotidien dans les exploitations ? À la barre, les prévenus, bredouilles, peinent à expliquer le
fonctionnement de Terra Fecundis, une entreprise fournisseuse de main d’œuvre à de nombreux agriculteurs français. Pour la défense, cela démontre une désorganisation de cette société
familiale espagnole. Pour le procureur, ce fonctionnement « occulte » est là pour éluder la part de responsabilité des uns et des autres. Car depuis lundi 17 mai, devant le tribunal
correctionnel de Marseille, l’entreprise est jugée pour « travail dissimulé en bande organisée et marchandage de main-d’œuvre » entre 2012 et 2015.
Quatre jours de procès longs et techniques pour répondre à cette question : s’agit-il de travail détaché en bonne et due forme ou de travail dissimulé ? Dans le public sont assis plusieurs
inspecteurs du travail à l’origine de fermetures de lieux d’hébergement insalubres. À leurs côtés, la direction des Urssaf notamment.
Au terme de la procédure, le procureur a réclamé la dissolution de l’entreprise Terra Fecundis et une amende de 500.000 euros — le maximum prévu par la loi. Les trois dirigeants fondateurs
ont été condamnés à cinq ans de prison dont quatre avec sursis, l’interdiction définitive de gérance et d’exercice dans le secteur de la prestation de service en lien avec fourniture de
main-d’œuvre, ainsi qu’une amende de 80.000 euros. Les plaidoiries de la défense se poursuivent vendredi 21 mai.
Les parties civiles — les Urssaf (Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales), la Caisse nationale de sécurité sociale, des syndicats des salariés
et du secteur ainsi que la famille d’Elio Maldonado, travailleur équatorien décédé sur une exploitation en 2011 — se sont attachées à démontrer que l’activité de l’entreprise espagnole
était en fait stable, permanente et continue sur le territoire français. En bref, qu’il ne s’agit pas de travail détaché tel qu’encadré par les règles européennes. L’entreprise aurait dû
s’acquitter du paiement de ses cotisations sociales en France (et non en Espagne) : le préjudice à la Sécurité sociale estimé par l’Urssaf s’élève à plus de 112 millions d’euros entre 2012
et 2015.
« Les grands absents à cette audience sont les travailleurs victimes de ce système », a observé Vincent Schneegans, avocat du syndicat CFDT. Au cours de sa plaidoirie, il a lu le témoignage
d’une travailleuse colombienne employée par Terra Fecundis qui fait enfin entendre la voix des premiers concernés, au bout de quatre jours d’audience. Elle y raconte les conditions de
logement « horribles ». Cela vient confirmer des images diffusées lors de l’audience montrant des logements insalubres datant de 2016. Pour la défense, « c’est hors sujet et cela ne fait pas
partie de la période de l’enquête ! » Pour Xavier Leonetti, procureur du ministère public, « les conditions d’hébergement et de travail ne font que contextualiser la personnalité des
prévenus. [...] Ce sont les deux bouts de la chaîne qui sont touchés : les travailleurs et la solidarité nationale garantie par la Sécurité sociale ».
Les dizaines d’entreprises agricoles utilisatrices des services de Terra Fecundis et épinglées pour des irrégularités ne sont, elles non plus, pas à la barre des prévenus. En embauchant
plusieurs centaines de travailleurs et en fournissant une grande partie de l’infrastructure de logement à l’entreprise, certaines d’entre elles sont pourtant des maillons essentiels au
fonctionnement de l’entreprise. Xavier Leonetti justifie cette absence en indiquant l’existence, en parallèle, d’autres procédures pénales impliquant certaines de ces sociétés. Une audience
aura notamment lieu en mars 2022 contre cinq entreprises agricoles du Gard devant le tribunal de Nîmes pour traite d’êtres humains, logement indigne et soumission de personnes vulnérables.
Dans ce dossier, la défense dénonce un « acharnement » de la justice française contre Terra Fecundis depuis dix ans et regrette qu’aucune information judiciaire n’ait été ouverte lors d’une
enquête jugée « elle aussi, occulte ». Me Mousset, avocat de Celedonio Perea Coll, associé de Terra Fecundis, dénonce quant à lui « un dossier très peu contradictoire n’ayant associé la
défense que très tardivement au processus d’enquête ».
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