
BTP. Des travailleurs témoignent sur le danger de leur travail après la mort d'un jeune apprenti
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La veille du 1er mai, un adolescent de 15 ans a été victime d’un accident du travail sur un chantier de travaux publics à Saint-Martin-du-Var (Alpes-Maritimes). Il s’appelait Lorenzo, était
apprenti maçon et commençait tout juste son alternance. Percuté par une pelleteuse, cet enfant à peine sorti du collège est mort sur son lieu de travail, laissant sa famille et ses amis en
deuil. Cette tragédie souligne encore une fois l’horreur des conditions de travail dans le secteur : en moyenne, un ouvrier du BTP meurt par jour ouvré des suites d’un accident du travail.
Pour dénoncer cette énième violence du capitalisme et apporter son soutien, Erell, militante à Révolution Permanente et au Poing Levé Rennes, s’est exprimée dans une vidéo publiée sur les
réseaux sociaux qui a suscité de nombreuses réactions. Dans les commentaires, nombreux sont ceux qui sont révoltés et certains dénoncent les accidents du travail qu’eux ou leurs proches ont
subis. Nous avons ainsi récolté de nombreux témoignages qui illustrent la triste banalité de ces événements.
L’espace commentaires a été le lieu d’une certaine libération de la parole mêlant conditions de travail désastreuses, colère importante contre la mise en danger des salariés et la
dénonciation de la précarité dans laquelle les travailleurs du bâtiment évoluent. Un premier raconte son expérience d’il y a plusieurs années sur un chantier : « J’ai 55 ans et quand nous
avions 16 ans, mon ami Sylvain est mort en tombant de son échafaudage. Ce n’est pas nouveau, les entreprises veulent tellement profiter des jeunes qu’ils sont prêts à tout ! ».
Quand ce n’est pas la mort qui attend ces travailleurs, ce sont des accidents les incapacitant : « Mon grand-père bossait sur un chantier avec un échafaudage qui n’était pas aux normes... Il
y a eu des morts et il est resté en fauteuil tout le reste de sa vie ». En plus de l’absence de mesures de sécurité pour les travailleurs, les objets présents sur le chantier peuvent eux
aussi devenir mortels : « Il y a 2 ans, un collègue est mort dans la réserve parce qu’une palette, qu’il a attrapée en hauteur avec le chariot élévateur, lui est tombée dessus. »
À la dangerosité des conditions de travail s’ajoutent les difficultés à se faire reconnaître comme victime d’un accident du travail. Dans un premier témoignage recueilli par Révolution
Permanente, Aline*, intérimaire au moment des faits, raconte la violence psychologique subie après un accident de la route l’empêchant d’embaucher ce jour-là :
« En octobre dernier, j’ai été victime d’un accident de trajet. A l’époque je travaillais en intérim pour une agence d’inventaire. On me proposait entre 3 et 5 missions par semaine, de nuit.
Pour chaque mission, on avait un contrat d’un jour, juste pour un unique inventaire. Un soir, j’ai été renversée par une voiture qui ensuite pris la fuite. C’est un de mes proches qui a
téléphoné à l’agence pour prévenir de mon accident et donc de mon absence pour la mission du jour. L’appel a été inhumain, la responsable d’agence a juste répondu « ok », puis a raccroché au
nez de mon ami. Aux urgences, le médecin a insisté sur le fait qu’il fallait déclarer l’accident du travail. Il a fallu plus d’une semaine pour réussir à contacter l’agence qui refusait de
répondre. Lorsque j’ai enfin pu les avoir au téléphone, on m’a reproché mon absence, on m’a mis la pression pour ne pas déclarer l’accident sous prétexte que « sur le trajet ça compte pas »
et on m’a menacé de ne plus me donner de mission. C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est passé, puisqu’avec l’aide de ma conseillère Pôle emploi, on s’est occupé de faire la déclaration et
je n’ai depuis plus eu aucune mission par cette agence. »
Les obstacles mis sur la route des travailleurs, et plus particulièrement des intérimaires, pour faire reconnaître les accidents du travail (sans quoi les frais médicaux sont payés de leur
poche), renforcent la précarité de leur statut. De plus, comme l’explique Aline*, se battre pour avoir accès à ses droits peut entraîner des discriminations de la part des employeurs.
Dans un autre témoignage, Aurélie*, raconte la mort de son père, engagé il y a une quinzaine d’années sur un chantier d’Alstom Metropolis, une filiale de la multinationale française dédiée
au ferroviaire, à Istanbul. Elle explique comment la violence d’avoir perdu son père dans des conditions horribles et évitables, ainsi que le long procès qui a suivi, ont confisqué à lui et
à sa famille leur droit au deuil :
« Mon père est mort d’un accident du travail en 2008 à l’âge de 52 ans. Il était garnisseur en intérim pour le compte d’Alstom Metropolis. Avec ses collègues, ils étaient en train de poser
des vitres sur le chantier d’une ligne de métro à Istanbul quand il est tombé de la plate-forme à cause d’un garde-corps manquant. Le problème était connu de l’entreprise et les syndicats
avaient signalé à de nombreuses reprises dans le cahier d’hygiène et de sécurité qu’il y avait des risques d’accident voire de mort. S’est ensuivi un procès de presque 10 ans, à cause des
nombreux renvois demandés par les avocats de l’entreprise qui plaidait la relaxe... La double violence. Grâce au soutien de l’inspectrice du travail nous avons fini par avoir gain de cause
mais cela ne répare pas la blessure. Cette perte a été un séisme pour notre famille. Mon père était quelqu’un de particulièrement généreux, dévoué, sensible, avec un sens énorme du
collectif... Rien de tout ça n’est ressorti à l’audience. La justice est vraiment déshumanisante. Aujourd’hui il me manque toujours, je pense que pour ma sœur c’est encore pire. »
Le manque de moyens mis sur la sécurité et les cadences de travail sont autant de causes de ces accidents qui concernent l’ensemble de notre camp social. La France est championne d’Europe en
matière d’accidents du travail, ce que mettent en évidence les données fournies par Eurostat. Face à ce phénomène structurel, aggravé par la politique néolibérale du gouvernement, la
jeunesse ouvrière prend énormément de risques. Selon l’INRS, « En termes de fréquence, c’est-à-dire rapporté au nombre de salariés, ce sont les jeunes qui sont les plus exposés et ils le
sont pour tous les types d’accidents ». À cela s’ajoute la précarité du statut d’apprenti, qui, de la même manière que l’intérim, met une pression à ne pas déclarer les accidents du travail.
Dans un entretien datant d’avril dernier, Elisabeth Borne, ministre de l’éducation nationale, expliquait : « Il faut se préparer très jeune, presque depuis la maternelle, à réfléchir à la
façon dont les élèves se projettent dans une formation et un métier ». Une position qui ne manque pas de ridicule et qui met en lumière la déconnexion d’un gouvernement au service des
patrons face aux enjeux de l’éducation des jeunes. En effet, les multiples réformes des lycées professionnels ainsi que la promotion de l’apprentissage répondent bien à la même logique
patronale, celle de créer une main d’œuvre corvéable à merci, incapable de défendre ses droits en raison de la précarité de son statut. Cela est d’autant plus vrai pour des travailleurs du
BTP qui évoluent dans des conditions dangereuses avec des mesures de sécurité toujours plus minimisées sous pression de la course au profit.
La mort de Lorenzo ainsi que les accidents quotidiens qui touchent les travailleurs sur les chantiers doivent poser la nécessité de revoir de fond en comble les conditions de travail dans
ces secteurs. À commencer par une organisation du travail et des conditions de sécurité décidées par les travailleurs eux-mêmes et non par des logiques économiques d’entreprises imposée par
de grands groupes capitalistes comme Alstom, Eiffage ou encore Bouygues.