France-algérie. Que se cache-t-il derrière la crise diplomatique?

France-algérie. Que se cache-t-il derrière la crise diplomatique?


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La crise des relations diplomatiques entre la France et l’Algérie ouverte depuis plus de huit mois a connu un nouveau saut la semaine dernière. Ce mardi 15 avril, l’Elysée annonçait sa


décision d’expulser douze agents diplomatique et consulaires algériens en poste en France. Le gouvernement a rappelé dans la foulée son ambassadeur en poste à Alger « _pour consultation_ ».


Des mesures présentées comme une « _riposte symétrique_ » à la décision prise deux jours plus tôt par Alger de déclarer douze fonctionnaires français du ministère de l’Intérieur _persona non


grata_, en leur donnant 48 heures pour quitter l’Algérie. Le gouvernement Tebboune justifie cette expulsion d’agents diplomatiques français du territoire en réaction à l’arrestation, le 8


avril dernier, d’un agent algérien du consulat de Créteil. Ce dernier figure parmi les trois personnes mises en examen dans le cadre de l’enquête sur l’enlèvement et la séquestration le 29


avril 2024 d’Amir Boukhors, influenceur opposé au régime de Tebboune et à l’origine de révélations sur des faits de corruption dans l’armée. Alors qu’Alger y voit une arrestation politique


qui serait la « _conséquence de l’attitude négative, affligeante et constante du ministre de l’Intérieur français vis-à-vis de l’Algérie_ », le ministre français des Affaires étrangères


dénonce l’expulsion des agents diplomatiques français en niant toute intrication politique dans la procédure judiciaire en cours. Dans le communiqué de l’Elysée annonçant la riposte, le


gouvernement porte les autorités algériennes comme entières responsables « _d’une dégradation brutale de nos relations bilatérales_ ». Mais cette nouvelle séquence dans la crise des


relations diplomatiques entre la France et l’Algérie s’inscrit dans la lignée d’une série de menaces et de mesures de rétorsion des deux camps. UNE CRISE OUVERTE AUTOUR DU SAHARA OCCIDENTAL,


SUR FOND DE SURENCHÈRE RÉACTIONNAIRE La crise actuelle, considérée comme étant la plus grave depuis 1962, trouve ses racines dans le revirement opéré par Macron sur la question du Sahara


occidental. Le 30 juillet dernier, ce dernier a reconnu au nom de l’Etat français la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Ce cadeau de l’impérialisme français au Maroc – qui


marchandise la colonisation du Sahara Occidental auprès d’autres puissances comme les Etats-Unis et l’Espagne – a permis à la France de renforcer ses intérêts dans ce « pays pivot » en


obtenant notamment une série d’accords juteux pour ses multinationales (TotalEnergies, Engie, Veolia…). La question du Sahara occidental est au cœur des tensions entre Rabat et Alger, dont


les relations diplomatiques sont rompues depuis 2021. L’Algérie est un allié historique du Front Polisario. Mais au-delà de la tradition politique de soutien du FLN aux luttes de libération


nationale, le gouvernement algérien a aussi des intérêts économiques à défendre dans le Sahara occidental face à la montée en puissance du Maroc. En ce sens, l’ingérence de l’ancienne


puissance coloniale opérée par le revirement de Macron a ouvert une crise avec le gouvernement Tebboune, qui a dans la foulée retiré son ambassadeur en poste à Paris. La crise, d’abord


diplomatique, s’est exacerbée au fil des menaces agitées et des mesures de rétorsion adoptées des deux côtés. Après l’arrestation mi-novembre à Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem


Sansal, la crise a pris un nouveau tournant autour de l’affaire des « _influenceurs algériens_ » puis de l’instrumentalisation raciste de l’attaque à Mulhouse. Alors que Tebboune maintient


son refus d’accorder des laissez-passer à la France pour l’expulsion de ressortissants algériens illégalisés et sous OQTF, Macron et son gouvernement poursuivent la surenchère réactionnaire


dont Retailleau est le chef de file, allant jusqu’à remettre en cause les accords de 1968 et de 2007. Un processus de désescalade avait été enclenché, d’abord par un échange téléphonique


entre les deux chefs d’Etat, puis par la visite de Jean-Noël Barrot (ministre des Affaires étrangères) à Alger le 6 avril. Une tentative de renouer un dialogue avec l’Algérie, qui reste un


partenaire stratégique pour l’impérialisme français, tant sur le plan géopolitique que commercial et migratoire. Mais l’accalmie fut de courte durée, avec l’expulsion à peine une semaine


plus tard des vingt-quatre agents diplomatiques et consulaires. DERRIÈRE LE BRAS DE FER DIPLOMATIQUE, QUELS ENJEUX POUR L’IMPÉRIALISME FRANÇAIS ET LE GOUVERNEMENT DE TEBBOUNE ? Du côté de la


France, ces tensions diplomatiques entre Paris et Alger s’inscrivent dans un contexte de crise de son impérialisme marquée par un recul de son influence au Sahel avec les retraits


successifs de ses effectifs militaires au Burkina, au Mali, au Sénégal ou encore au Tchad. Le gouvernement entend dans ces coordonnées maintenir et renforcer ses positions au Maghreb, une


région stratégique pour l’impérialisme français et dont l’intérêt se retrouve ainsi renforcé. La France entretient des relations bilatérales étroites avec les pays du Maghreb, mais aussi


multilatérales notamment en matière sécuritaire et militaire avec l’initiative 5+5 Défense. Sur le plan géostratégique, ils lui offrent des moyens de projection sur l’Afrique de l’Ouest. Sur


le volet migratoire, ils occupent une place de premier ordre dans les politiques d’externalisation des frontières de la France et plus largement de l’UE, qui les érige en véritable « 


_gendarmes de l’Europe_ ». Enfin, sur le plan économique, le Maghreb représente un marché important, à l’instar du Maroc qui s’ouvre massivement aux investissements étrangers parmi lesquels


on retrouve un grand nombre d’entreprises du CAC40 et dont les parts de marché ont encore augmenté après 10 milliards d’euros de contrats et d’accords signés entre le roi du Maroc et Macron.


L’Algérie représente de même des opportunités d’investissements importantes pour l’impérialisme français, à l’heure où le pays lance d’importants projets dans le secteur énergétique


notamment, avec la construction d’un corridor d’hydrogène reliant le Maghreb à l’Europe. Comme le souligne Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS, dans leurs relations avec Alger et


Rabat, les deux géants du Maghreb, la France comme les autres partenaires européens cherchent à se positionner stratégiquement et avec prudence sur la question du Sahara occidental, pour


ménager leurs intérêts avec le Maroc et l’Algérie. Si Macron a fait le choix de s’aligner derrière le Maroc sur la question du Sahara occidental, en risquant ainsi de voir se dégrader les


relations avec Alger, cela résulte pour Brahim Oumansour de la prise en compte de deux facteurs : tout d’abord, au fait que le Maroc « _[ait] su développer une coopération très étroite avec


les entreprises françaises_ ». D’autre part, « _à l’absence d’ouverture de l’Algérie aux investissements français, où les autorités ont fait le choix de protectionnisme économique et


d’ouverture à d’autres partenaires concurrents comme l’Italie, la Chine…_ ». Sur le plan intérieur, le gouvernement de Macron est fragilisé par une crise politique inédite. En l’absence de


majorité, il tient en sursis avec l’appui du RN – béquille du régime – pour parvenir à avancer sur ses offensives austéritaires. Dans ce contexte, Retailleau comme Bayrou n’hésitent pas à


surfer sur la crise entre Alger et Paris pour avancer leur agenda réactionnaire et anti-migrant, en espérant du même coup draguer l’électorat du RN. Mais la dégradation des relations


diplomatiques entre la France et l’Algérie, alimentée en grande partie par la surenchère xénophobe du gouvernement, ouvre des contradictions pour l’impérialisme français en mettant à mal les


intérêts de ses groupes capitalistes implantés dans l’ancienne colonie. Michel Bisac, président de la Chambre de Commerce et de l’Industrie Algéro-Français, s’inquiète ainsi des


conséquences de ces tensions diplomatiques pour les 6 000 entreprises françaises implantées en Algérie, et appelle à désamorcer la crise pour préserver les intérêts du capital français dans


l’ancienne colonie : « _On ne s’assoit pas sur 4 milliards et demi d’euros d’exportations françaises vers l’Algérie_ », déclarait-il, en ajoutant que « _si les Algériens veulent remplacer


les produits français par d’autres produits venant de Chine, de Turquie etc., je pense qu’ils n’auront pas de problème_ ». La rumeur d’une rupture des relations commerciales entre Alger et


Paris avait déjà créé un vent de panique dans les milieux d’affaire français. Au _Journal du Dimanche_, Lecornu temporisait à son tour, en affirmant qu’au Sahel, _« sur le terrain militaire,


du renseignement ou du contre-terrorisme, nous avons besoin d’une bonne coordination entre Alger et Paris »_. Du côté de l’Algérie, ce bras de fer diplomatique s’inscrit dans un contexte


d’instabilité politique liée à la fragilité du gouvernement autoritaire en place, marquée par une économie en berne et par la faible légitimité du scrutin de septembre 2024 dont les


résultats sont largement contestés. Sur le plan international, après l’érosion du soutien de la République arabe sahraouie démocratique en Afrique, le tournant opéré par Macron en


reconnaissant - à la suite des États-Unis et de l’État espagnol - la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, vient aussi confirmer l’affaiblissement des positions internationales de


l’Algérie. L’Algérie est aussi isolée sur le plan régional après avoir essuyé un refus de sa demande d’adhésion au groupe des BRICS. De même, la puissance régionale voit ses relations se


dégrader avec les juntes militaires au pouvoir au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Tebboune pourrait ainsi tenter dans les négociations autour de la crise diplomatique ouverte avec la


France de se repositionner en tant qu’acteur régional majeur et de renforcer sa popularité auprès de son électorat, en commençant par dénoncer la surenchère xénophobe de Retailleau. Au-delà


de la question du traitement des ressortissants algériens par la France, Alger joue une autre carte, en exigeant que la puissance coloniale prenne en charge la décontamination des sites


algériens ayant servi lors des essais nucléaires de l’Etat français. Entre 1960 et 1966, 17 essais ont eu lieu dans le Sahara algérien, qui ont perduré après l’indépendance et dont les


déchets radioactifs exposent encore aujourd’hui des milliers de personnes aux radiations. De même, la bourgeoisie algérienne entendrait renégocier l’accord signé en 2001 avec l’Union


européenne, par l’intermédiaire de la France, et qu’elle juge aujourd’hui défavorable. Troisième fournisseur de l’Union européenne en gaz et en GNL (gaz naturel liquéfié), elle veut pouvoir


désormais y exporter librement du ciment, des minerais, des produits agricoles et alimentaires, ce qui n’est pas le cas actuellement. Dans cette passe d’armes qui se limite pour l’heure au


terrain diplomatique où chacun des deux régimes défend ses intérêts réactionnaires, comme nous le soulignions dans un précédent article, « _ce sont les ressortissants algériens qui font


figure de monnaie d’échange et qui sont les premières victimes de l’offensive dictée par la droite conservatrice_ ». Derrière les offensives réactionnaires du gouvernement Bayrou-Retailleau,


les tentatives de rapprochement de la France avec Alger montrent que la puissance impérialiste entend bien continuer à maintenir ses positions en Algérie pour y défendre ses intérêts.