
L'afd sous surveillance en allemagne : fausse solution face à l'extrême droite et vraie menace autoritaire
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Vendredi 2 mai, l’Office fédéral de protection de la Constitution (BfV) a annoncé avoir classé l’_Alternative für Deutschland_ (AfD) comme un parti « _extrémiste de droite avéré_ » retenant
que « _la conception du peuple fondée sur l’origine ethnique_ » promue par le parti est « _incompatible avec l’ordre fondamental démocratique et libéral_ ». Cette décision étend la
qualification déjà appliquée à l’organisation de jeunesse de l’AfD, _Junge Alternative_, ainsi qu’aux fédérations du parti dans les Länder de Thuringe, de Saxe et de Saxe-Anhalt. VERS UNE
SURVEILLANCE RENFORCÉE DU PARTI D’EXTRÊME DROITE PAR LES RENSEIGNEMENTS ALLEMANDS Par cette décision administrative, que l’AfD a contesté ce lundi devant le tribunal administratif de
Cologne, cette agence de renseignement s’est unilatéralement octroyé des pouvoirs d’enquête et d’espionnage étendus envers les membres du parti, telles que des écoutes et des recrutements
d’informateurs. Des procédures disciplinaires sont également envisagées envers des fonctionnaires membres du parti. Plusieurs parlementaires envisagent désormais de saisir la Cour
constitutionnelle fédérale de Karlsruhe pour demander l’interdiction pure et simple du parti, demande qui ne peut émaner que du Bundestag, du Bundesrat, ou du gouvernement fédéral.
Toutefois, la CDU et le SPD restent pour l’heure prudents quant à une telle procédure. Le chancelier social-démocrate sortant Olaf Scholz appelant à ne pas se précipiter, tandis que
localement la CDU est divisée quant à la possibilité de négocier des coalitions locales avec le parti d’extrême droite. Si Alice Weidel et Tino Chrupalla, chefs de file du parti, ont dénoncé
« _un coup dur pour la démocratie allemande_ », la décision n’a pas non plus manqué de faire réagir l’extrême droite trumpiste aux Etats-Unis, qui avait apporté son soutien à AfD lors des
élections fédérales allemandes de février dernier. JD Vance évoque ainsi sur X une « _reconstruction du Mur de Berlin_ », tandis que le secrétaire d’Etat, Marco Rubio, fustige une «
_tyrannie déguisée_ » en Allemagne. Des attaques démagogiques et hypocrites venant de politiciens qui critiquent les institutions des classes dominantes uniquement quand elles se heurtent à
leurs intérêts. L’agence de renseignement justifie sa décision par « _l’attitude du parti globalement hostile aux migrants et aux musulmans_ » et relève que « _l’agitation continue contre
les réfugiés ou les migrants favorise la propagation et l’approfondissement de préjugés, de ressentiments et de peurs envers ce groupe de personnes_ ». Des accusations qui euphémisent le
véritable programme du parti, s’agissant d’une organisation promouvant la déportation massive de personnes issues de l’immigration, multipliant les références au nazisme et dont l’un des
dirigeants a été condamné pour avoir repris le slogan nazi « _Alles für Deutschland_ » en meeting en 2023. FAUSSE SOLUTION FACE À L’EXTRÊME DROITE ET VRAIE MENACE CONTRE LES DROITS
DÉMOCRATIQUES Néanmoins, loin de constituer une garantie contre l’extrême-droitisation du champ politique allemand, la décision de renforcer de la surveillance de l’AfD constitue surtout un
précédent important qui ouvre la voie à des mesures similaires contre d’autres partis, notamment les organisations de gauche, d’un poids électoral bien moins important que l’AfD, arrivée
deuxième aux élections fédérales de février dernier. Surtout, elle pourrait conduire à l’interdiction du parti d’extrême droite, un précédent qui permettrait, par la suite, de dissoudre
d’autres partis politiques et de verrouiller les élections. Il ne faut nourrir aucune illusion dans les institutions étatiques, qui sont irréductiblement au service des classes dominantes.
Si elles attaquent aujourd’hui un parti d’extrême droite, dans une période de réarmement et de propagande de guerre intensive contre la Russie, avec laquelle l’AfD voulait renouer des
relations commerciales, elles s’opposeront d’autant plus violemment à des militants anti-militaristes et internationalistes. Il est crucial de combattre le fétiche de l’État de droit, que
les classes dominantes n’ont non seulement aucun scrupule à bafouer, mais qui contient en outre tous les germes nécessaires au développement de l’autoritarisme. Or, comme le montre Eugénie
Mérieau, les régimes autoritaires à l’international sont souvent beaucoup plus proches qu’on ne le pense des « démocraties libérales » européennes : « _J’essaie de démontrer que l’on assiste
à une convergence des régimes autoritaires et démocratiques dans une zone grise, où il n’y a plus une dictature violente d’un côté, et de l’autre démocratie et État de droit, mais des
régimes qui utilisent le droit et les juridictions pour se maintenir au pouvoir_. » La constitutionnaliste Eugénie Mérieau connaît bien ces mécanismes de contrôle des partis politiques par
les cours constitutionnelles. Dans son article « Démocratisation, _lawfare_, autocratisation : quelques leçons d’Asie du Sud-Est », elle cite notamment le cas de la Thaïlande : « _En
Thaïlande, depuis l’avènement de la démocratie en 1997, la Cour constitutionnelle a disqualifié tous les Premiers ministres élus sans exception : Thaksin Shinawatra en 2006, Samak Sundaravej
en 2008, et Yingluck Shinawatra en 2014. Elle a également dissous le parti majoritaire de gouvernement (parti relégué dans l’opposition en période de gouvernement militaire) à deux reprises
en 2007 et 2008 (ainsi que d’autres partis lui étant alliés tout au long des années 2010-2020)_ ». Le cas thaïlandais est particulièrement intéressant puisque les théories juridiques qui
fondent les décisions de la Cour constitutionnelle ont été importées d’Allemagne : « _Le principe libéral est ici porté à l’extrême : celui de la démocratie militante, concept inventé après
le nazisme par le juriste allemand Karl Löwenstein, qui préconise de se protéger des partis antidémocratiques_ ». Il offre ainsi à voir la manière dont les dispositifs au sein de la
République fédérale pourraient être utilisés à l’avenir. À l’image de la procédure de dissolution d’organisations en France, adoptée en 1936 pour autoriser l’État à dissoudre les ligues
fascistes, ces instruments finissent par se retourner contre le mouvement ouvrier, la gauche, et jusqu’aux organisations antifascistes comme l’illustre la procédure de dissolution engagée
contre la Jeune Garde. Les travailleurs et les classes populaires ne peuvent donc pas se placer à la remorque des institutions judiciaires et de l’État pour espérer lutter contre l’extrême
droite, et ce, d’autant moins que, dans le contexte allemand, le prochain chancelier Friedrich Merz adopte des pans entiers du programme de l’extrême droite en durcissant la politique
migratoire.