
Les écoles d'ingénieurs dans le viseur de l'armée : refusons de mettre nos savoirs au service du réarmement!
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Appel à l’effort de guerre, course au réarmement, discours patriotiques : Macron et la bourgeoisie ont lancé une grande offensive militariste. Pour mener à bien une escalade guerrière qui
exige de mettre le plus de compétences possible au service de la militarisation, ils vont chercher à puiser directement dans la jeunesse ingénieure. Si ce secteur est historiquement lié à
l’armée, ses liens avec le complexe militaro-industriel risquent d’être renforcés, et avec eux le matraquage idéologique pour embrigader les étudiants. L’État cherche à nous mettre au
service d’une armée qui opprime les peuples aux quatre coins du continent africain, dans l’Océan Indien ou au Pacifique, et à nous faire travailler pour des industriels qui s’enrichissent
dans les conflits guerriers. Mais alors que le secteur connaît une politisation, avec des phénomènes de questionnement du rôle social et politique des ingénieurs, notamment sur le terrain
écolo, il y a un enjeu à faire entendre une voix anti-impérialiste contre la militarisation, à partir des compétences acquises dans nos formations. POUR MENER L’ESCALADE GUERRIÈRE, L’ÉTAT ET
LES INDUSTRIELS PARIENT SUR LES ÉCOLES D’INGÉNIEURS Le 4 mars dernier, le ministre des Armées a annoncé la construction d’un Pôle de recherche de l’Agence ministérielle pour l’intelligence
artificielle de défense (AMIAD) sur le campus de l’école d’ingénieurs Polytechnique, en expliquant que ce bâtiment a pour « _vocation d’être une passerelle entre le ministère des Armées et
l’École, réaffirmant la militarité de cette dernière_ ». Cette déclaration, qui rappelle l’intégration de l’École Polytechnique au ministère des Armées, traduit la volonté plus large de
l’État de mettre les écoles d’ingénieurs au service de l’escalade guerrière. L’inauguration du Pôle de recherche au sein de la prestigieuse école numéro 1 des classements nationaux et l’une
des sept grandes écoles militaires françaises par Sébastien Lecornu a trois objectifs clairs : « _Favoriser le développement de l’IA de défense [...], attirer de jeunes talents vers
l’intelligence artificielle appliquée à la défense [...], et renforcer la notoriété du ministère des Armées en contribuant aux publications de référence internationales_ ». Autrement dit,
former plus directement des ingénieurs pour les besoins de l’armée, dans un secteur d’innovation que le gouvernement a identifié comme prioritaire dans la compétition avec les autres
puissances impérialistes. Ces priorités adressées à l’école Polytechnique ont vocation à donner le ton pour l’ensemble du secteur de formation, prisé aussi bien par l’armée que par les
industriels de la défense. Le délégué général pour l’Armement, Emmanuel Chiva, explique cet intérêt : « _Le corps des ingénieurs de l’armement est une pépite pour le ministère des Armées.
Leur technicité et leur capacité de management de grands projets sont extrêmement précieuses (…) que ce soit à la DGA (direction générale de l’armement), pour l’ensemble du ministère et bien
au-delà, au sein de la fonction publique ou de l’industrie_ ». De façon explicite, l’État conçoit les étudiants ingénieurs comme une future main-d’œuvre qualifiée qu’il pourra mettre à son
service et la mobiliser selon ses intérêts et ceux des grands industriels. Un projet qui dépasse le modèle de Polytechnique mais concerne tout le secteur : partout en France, les formations
d’ingénieurs sont étroitement liées à l’armée ou l’industrie de la défense, qui cherchent à modeler le fonctionnement des écoles selon leurs intérêts. À Toulouse, capitale de l’industrie de
l’armement, l’ISAE-SUPAERO, école très cotée dans l’ingénierie aérospatiale, est directement sous tutelle du ministère de la Défense. Sa directrice sort même d’une brillante carrière à la
Direction Générale de l’Armement. Dans ces conditions, l’école est courtisée par cette industrie : on constate que près de 19 entreprises du secteur de la défense investissent plus de 10 000
€ par an dans l’école, et certaines comme AIRBUS, GIFAS et Safran atteignent plus de 2 millions d’euros de dons. Un investissement rentable : selon un sondage publié sur LinkedIn, parmi les
15 949 anciens élèves de l’école, plus de 26% travaillent pour des entreprises guerrières. Un système de chaire est mis en place, permettant aux investisseurs de participer au développement
des champs de compétences et de valoriser l’image de leur entreprise, grâce à une visibilité renforcée auprès des étudiants. Sur neuf entreprises participantes, huit d’entre elles
contribuent au monde militaire. Ce modèle n’est pas isolé. L’antenne de Toulouse de l’INSA, une des principales formations pour ingénieurs généralistes, procède de façon similaire, avec un
système de « Partenaires premium ». En échange de financements de la part d’entreprises privées, l’école leur permet en retour de mettre en valeur leurs offres de stages et d’emplois, et
d’intervenir pédagogiquement au sein des formations. Sur les quatre partenaires premium de l’école, trois font partie des géants de l’industrie de l’armement (Alten, Capgemini et Collins
Aerospace). Cet outil permet donc aux entreprises de la défense d’orienter les enseignements des étudiants pour répondre directement à leurs besoins de main-d’œuvre, par une politique de
réseautage, vendue comme un rayonnement supplémentaire de l’école. C’est tout un système éducatif qui s’est construit autour du secteur lucratif de l’armement : « _Avec les gouvernements
successifs qui à chaque fois baissent les budgets de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, les directions vont chercher de l’argent là où il y en a_ » nous explique Paul, étudiant à
l’INSA Toulouse. Ainsi, il devient ordinaire d’étudier une technologie spécifique à une entreprise de la défense, ou encore qu’un employé de Collins Aerospace vienne animer des cours
d’orientation. De la même façon, les étudiants de l’INSA sont encouragés à participer aux formations de Cisco, une entreprise de cybersécurité qui joue un rôle central dans la colonisation
de la Cisjordanie. L’industrie de l’armement observe de près les écoles d’ingénieurs et les finance généreusement pour qu’elles jouent un rôle clé, de vivier de recrutement, au service du
complexe militaro-industriel. Un complexe en plein essor, qui par la voix de Patrice Caine, le président de Thales se félicite de la période de risque de conflit guerrier à l’international,
vantant un « _contexte on ne peut plus porteur pour les industriels français de l’armement_ » alors que depuis le début de la guerre en Ukraine, la France est devenue le deuxième pays
exportateur d’armement au monde, avec près de 18 milliards d’euros d’exportation d’armes en 2024, soit 9% du marché mondial. Dans le même sens, les marchands de mort français profitent bien
du génocide à Gaza : en juin 2024, l’entreprise Thales aurait fourni à Israël deux transpondeurs équipant les drones Hermes 900, impliqués dans les bombardements de civils à Gaza et de
l’hôpital de Khan Younes. En décalage avec les atrocités dont l’armée française, Dassault, et Thales se rendent complices, les étudiants sont habitués à écouter les mérites de ce secteur
tout au long de leur cursus. L’industrie réalise aussi du greenwashing par le développement de « technologies vertes », à l’image du nitrure de gallium (GaN), un semi-conducteur « écolo »
présent dans les radars de surface de la firme, dont certains ont des capacités balistiques. Un moyen d’un côté de perfectionner son arsenal et de l’autre d’apporter une réponse
ultra-cynique aux aspirations écologiques des ingénieurs. FORMATIONS, STAGES, PERSPECTIVES DE CARRIÈRE : L’OMNIPRÉSENCE DE L’ARMÉE ET DE LA DÉFENSE Cette omniprésence de l’industrie de la
défense ou de l’armée dans les formations d’ingénieurs, des financements aux opportunités d’emploi en passant par les enseignements, sert à marteler aux étudiants que faire carrière dans la
défense n’a que des avantages. Ce discours s’appuie également sur les difficultés récentes de débouchés pour le métier d’ingénieur, avec des diplômés qui peinent désormais à trouver un
emploi fortement rémunéré en sortie d’études, tandis que l’armement affiche un dynamisme économique. Nous avons rencontré plusieurs étudiants en école d’ingénieurs qui témoignent de
l’efficacité de la propagande des marchands d’armes. « _Beaucoup ont dépolitisé l’armement. Un pote fait son stage en disant en rigolant qu’il fabrique des missiles_ » raconte Gaspard,
étudiant à l’INSA de Lyon. En 2023, la Direction Générale de l’Armement (DGA) est venue donner sur leur campus une conférence dont l’enjeu principal était de renforcer le dialogue entre
étudiants et industrie militaire. « _On a tous reçu un mail pour nous avertir que la Marine Nationale avait créé une base temporaire pour recruter des jeunes à Lyon, le mail signé par la
direction de notre département nous poussait à y aller et s’y intéresser_ » révèle Léon. À Toulouse, l’INSA a aussi entretenu des liens avec la Marine Nationale, à travers des ambassadeurs
étudiants faisant le relais entre l’école et la marine de guerre. Des étudiants se sont vu proposer des « opérations immersion » à l’école navale, pour s’initier aux enjeux maritimes de la
France et les comprendre grâce à des mises en situation et des interventions. Il est coutume de recevoir des offres de stage pour la DGA, Thales ou encore MBDA, le deuxième du marché mondial
des missiles. « _Une fois toutes les deux semaines, on nous propose de visiter les sites de Safran, MBDA, Thales, etc._ » raconte Mathis, étudiant à SUPAERO. Dans son école, la tradition
veut que chaque année, les futurs ingénieurs soient invités à participer à un concours pour intégrer l’Armée. En 2024, les élèves du département Génie Civil et Urbanisme de l’INSA Lyon ont
reçu un mail de campagne de recrutement d’ingénieurs militaires d’infrastructures de la SID (Service d’Infrastructures Militaires). Gaspard, étudiant à l’INSA, raconte que lors du forum des
entreprises organisé chaque année sur son campus pour décrocher des offres de stage, les propositions d’entreprises étaient restreintes à deux domaines bien précis : « _on a le choix de
faire du nucléaire ou de l’armement_ ». Le message martelé est clair : la défense est le secteur le plus simple pour trouver du travail après ses études. Partenariats, stages, conférences...
le discours des militaires est ainsi omniprésent dans les écoles d’ingénieurs, et avec lui la propagande nationaliste et la mise sous silence des crimes commis par l’armée française aux
quatre coins du globe. La délivrance du diplôme d’ingénieur elle-même ne dépend pas uniquement de l’école, mais doit être validée par la Commission des titres d’ingénieur, une instance où
les entreprises ont aussi leur mot à dire. Le ministère des Armées est lui-même partenaire de cette commission. Pour autant, le lien entre les écoles et le secteur de l’armement est
insidieux, et la majeure partie des élèves ne pensent pas être impliqués à ce point dans l’industrie militaire. Léon explique la séparation abstraite entre civil et militaire, qui fait
oublier les utilisations possibles des technologies conçues : « _dans l’aéro, des gens défendent que Safran certes fait des armes mais aussi du civil, et qu’ils peuvent avoir le choix de
travailler uniquement dans le civil. De mon point de vue, des technologies vont être mutualisées, si quelque chose fonctionne dans le civil, ce sera aussi utilisé dans le militaire_ ».
L’aspect technique et spécifique du travail d’ingénieur permet également de séparer les différents aspects, sans avoir conscience de la finalité de ce qui est produit et du rôle indirect
joué dans la chaîne de production des armes : « _Beaucoup disent qu’ils ne vont pas travailler dans l’armement, mais seulement fabriquer des puces par exemple, et ce n’est pas ça qui tue.
Alors que pourtant ce sont ces puces qui vont être retrouvées dans des drones israéliens_ ». Contre la séparation construite entre exécution technique et décision politique dans l’ingénierie
Mia, membre du collectif Insalien.nes En Lutte, appelle à une responsabilisation des ingénieurs : « _Les ingés font des tâches techniques sans savoir pourquoi, et de toute façon, sans se
poser plus de questions sur la finalité. Je pense qu’il faudrait responsabiliser et faire prendre conscience, parce que je ne pense pas qu’un ingénieur qui fabrique une bombe se rende
compte, quand il voit des images de peuples qui se font bombarder à l’autre bout du monde, que c’est en partie parce qu’il a participé à parfaitement optimiser cette bombe_ ». Un appel à
interroger la place des ingénieurs dans les processus de production, nécessaire face à la propagande militariste intense qui attend le secteur. Ces questionnements doivent aussi amener à
repenser le rôle des ingénieurs, qui ne doivent pas se penser au service des entreprises et de leurs directions, mais au côté des travailleurs, en critiquant le fonctionnement et les
finalités de leurs entreprises. Un chantier que la politisation naissante dans les écoles d’ingénieurs permet d’aborder. ÉCOLOGIE, PALESTINE… : UN SECTEUR EN VOIE DE POLITISATION, IL FAUT
S’ORGANISER CONTRE LE MILITARISME ! Ces dernières années, face à la crise climatique, de plus en plus d’ingénieurs en formation ont remis en question leurs études, et les relations entre
leurs écoles et des entreprises écocides. Une réflexion qui touche également le sens de leur formation, et a pu se traduire en appels à la « désertion » du métier d’ingénieur. Plus
récemment, cette politisation s’est également exprimée dans la lutte contre le génocide à Gaza, avec des mobilisations sur certains lieux d’études, comme à l’INSA de Toulouse. Elle a pu
également s’exprimer contre le militarisme en général, à l’image d’un récent communiqué du collectif Insalien·nes En Lutte à Lyon, qui affirmait : « _Nous ne participerons pas à leur guerre_
», « _nous nous devons de nous y opposer, nos compétences ne doivent pas participer à construire un monde guerrier_ ». Face à la contestation, les directions d’établissements ont répondu
par la répression : des élèves témoignent avoir subi plusieurs intimidations de la part de la direction de leur école, passant par des coups de téléphone menaçants, la suppression du compte
YouTube d’INSA Toulouse en Lutte et du compte Instagram d’INSA Lyon en Lutte, ou encore l’annulation d’évènements en soutien à la Palestine. Récemment, un membre du collectif INSA Toulouse
en Lutte a été convoqué par la police dans le cadre d’une enquête sur le mouvement de solidarité avec la Palestine. Avec l’offensive militariste et étant donné l’importance que la
bourgeoisie donne aux étudiants ingénieurs pour la mener à bien, cette répression des voix dissonantes risque de s’accentuer. Pour y faire face, les étudiants ingénieurs qui refusent que la
technique soit déployée au service des massacres et de la barbarie devront chercher à briser la séparation que construisent les directions des écoles d’ingénieurs entre leurs établissements
et le reste du mouvement étudiant et social, et construire des alliances avec les collectifs étudiants d’autres facs, avec les collectifs de soutien à la Palestine, les organisations écolos,
les syndicalistes combattifs. Si des phénomènes de questionnement du rôle social et politique des ingénieurs ont émergé, le rejet du militarisme ou de l’impérialisme français est loin
d’être l’état d’esprit général. Or le refus de quelques-uns du militarisme ne saurait stopper la marche à la guerre. Dans ces coordonnées, plutôt que des initiatives minoritaires ou
individuelles, c’est un travail patient de désintoxication de la propagande militariste quotidiennement assénée dans les formations, et la défense d’autres horizons pour les sciences et la
technique qui apparaît comme une priorité. Un travail qui pourrait appuyer sur le rôle néfaste du militarisme français aux quatre coins du monde, chercher à déconstruire le lieu commun que
la meilleure manière de préserver la paix est d’accumuler les moyens de se faire la guerre, ou encore souligner l’absurdité écologique que représente cette course au réarmement en pleine
crise climatique et extinction de masse. Un travail qui pourrait se mener à partir de comités étudiants contre le réarmement dans les écoles d’ingés et facs scientifiques, en alliance avec
des travailleurs et syndicalistes qui cherchent à lutter contre la militarisation dans leurs secteurs.