Management brutal et militarisation, les fondements de la répression syndicale à magellium-artal

Management brutal et militarisation, les fondements de la répression syndicale à magellium-artal


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Depuis plusieurs semaines, notre entreprise, Magellium-Artal, est secouée par une lutte contre un licenciement brutal. Nadia*, une collègue syndiquée CGT, lanceuse d’alerte sur ses


conditions de travail, a été licenciée pour « insuffisance professionnelle ». Derrière cette formulation bien connue des directions RH, c’est tout un mode de management, une logique


d’entreprise et un contexte politique qu’il faut interroger. UNE LANCEUSE D’ALERTE ET SYNDIQUÉE CGT LICENCIÉE BRUTALEMENT Le 16 avril dernier, notre collègue, syndiquée CGT, recevait une


lettre de convocation à un entretien préalable au licenciement, sans qu’aucun signe ne l’ait laissé présager. Elle faisait partie d’une équipe d’une quinzaine de salariés qui avait


collectivement alerté la direction sur des situations de harcèlement moral et de souffrance au travail, une prise de parole courageuse, à laquelle elle avait contribué. Notre section


syndicale CGT, créée il y a trois ans et demi, a tout de suite pris la mesure de cette attaque. Si nous avons pu riposter, c’est parce que nous avions construit, depuis le début de la


section, des assemblées générales régulières, où les salarié·es débattent et décident ensemble. C’est sur cette base que nous avons organisé la solidarité autour de notre collègue qui, dès


son entretien disciplinaire, a pu compter sur le soutien de 40 collègues qui l’applaudissaient alors qu’elle se rendait à son entretien accompagnée de moi-même. Au cours de cet entretien, la


direction a démontré l’inanité de son dossier, n’avançant aucune justification plausible à la procédure entamée. Pire, elle n’a pas hésité à utiliser à son encontre le témoignage fourni par


ma collègue lors de l’enquête pour suspicion de harcèlement moral visant son chef d’unité. La parole d’une victime retournée contre elle : un geste d’une rare brutalité. Mais qui ne fait


que révéler la logique structurelle d’un mode de management fondé sur le mépris des salarié·es et la disqualification de toute expression critique. UN MANAGEMENT DU MÉPRIS… Ce licenciement


n’est pas un cas isolé, ni une affaire d’ordre individuel, contrairement à l’idée que tente d’imposer notre direction. Il s’inscrit dans une politique managériale fondée sur le mépris des


salarié·es et la considération de ces derniers seulement comme des variables d’ajustement. Ce n’est pas une analyse idéologique ou abstraite : début 2024, à la suite de la perte d’un


contrat, huit techniciens employés comme opérateurs de saisie ont été poussés vers la sortie par le biais de ruptures conventionnelles. En réalité, aucun choix réel ne leur a été laissé : en


réunion CSE, le DRH a assumé que ceux qui refuseraient la rupture seraient de toute façon licenciés. Quelques mois plus tard, de nouveaux opérateurs de saisie étaient pourtant recrutés pour


les besoins d’un autre projet. Cette gestion en flux tendu de la main-d’œuvre reflète une logique purement comptable : quand la charge augmente, les salarié·es sont pressurisé·es,


félicité·es pour leurs efforts mais sans retour sur leur feuille de paie. Cela fait trois ans que nous réclamons une augmentation générale à la hauteur de l’inflation dans un contexte où les


bénéfices sont en hausse constante. Mais dès que l’activité ralentit, ce sont les salarié·es qu’on sacrifie, en leur faisant porter la responsabilité d’une baisse de productivité. L’enquête


interne menée à la suite de l’alerte collective lancée par l’équipe dont faisait partie ma collègue licenciée, a mis en évidence une situation de sous-charge faisant suite à une période de


forte activité - ayant mené à des situations de stress intense. Depuis, huit membres de cette équipe ont quitté l’entreprise, certains via des ruptures conventionnelles, d’autres licenciés,


d’autres encore partis d’eux-mêmes. Les premières victimes de ce management brutal et utilitariste sont souvent les femmes qui, assurant encore une grande partie des tâches de reproduction


sociale, sont davantage susceptibles de voir leur productivité remise en cause. Plutôt que de viser à des mesures qui chercheraient à résoudre les inégalités de genre qui existent dans


l’entreprise, ce type de management tend à les approfondir et à faire peser sur les salariées une pression supplémentaire alimentée par la direction elle-même. En 2020, une ancienne salariée


des ressources humaines a attaqué Magellium pour licenciement abusif. La décision de justice est édifiante. On y trouve des propos tenus par les plus hauts responsables de l’entreprise — le


président et le DRH — qualifiant une salariée de « grosse feignasse », de « gros veau », et une autre de « connasse ». Le président va jusqu’à se moquer d’un potentiel recours d’une


salariée « femme enceinte et d’origine étrangère », qu’il caricature dans un mail aussi sexiste que raciste. On ne parle pas ici de documents confidentiels découverts par miracle. Nous y


avons eu accès parce que le DRH, dans un mail envoyé à toute l’entreprise pour justifier le licenciement de notre collègue, s’est vanté que Magellium-Artal avait gagné deux procès aux


prud’hommes sur trois. Il a ainsi lui-même incité les salarié·es à aller regarder ce fameux « tiers perdu ». Et quand on le lit, on comprend une chose : il n’y a pas l’ombre d’un regret ou


d’une remise en question. Juste une logique cynique de tableau Excel : gagner un maximum de contentieux, et disqualifier tous ceux qui résistent. Le fait que ce soit cette même direction qui


décide seule de ce qui est recevable ou non dans une enquête pour harcèlement moral interroge profondément et pose la nécessité de commissions d’enquête autonomes, élues par les salarié·es,


pour traiter des alertes RPS (risques psychosociaux) et des cas de harcèlement. Le mépris pour les salarié·es s’est aussi incarnée très récemment. Alors que 75 % des salarié·es de


Magellium-Artal sont des hommes, nous avons porté collectivement en NAO la revendication d’un congé menstruel pour les collègues souffrant de règles invalidantes. Après un retour


initialement favorable, c’est le PDG lui-même qui a opposé un veto sans justification. Avec le recul, ce refus expose une ligne claire  : la direction n’est prête à aucune mesure visant à


améliorer la dignité des salarié·es, encore moins quand elle touche à des enjeux féministes. Néanmoins, le débrayage qui a suivi cette décision de la direction et auquel 40 salariés ont


participé montre qu’au sein même de cette majorité masculine, les luttes féministes trouvent des alliés, celle de nos collègues avec lesquels nous travaillons au quotidien et nous réunissons


en assemblée générale, et que c’est collectivement que nous devons continuer à les mener. … QUI NE TOLÈRE AUCUNE CONTESTATION Ce type de management capitalise sur l’isolement des


salarié·es, l’individualisation des situations et l’éclatement des solidarités. Il fonctionne d’autant mieux que les salarié·es restent seuls face à leur charge, à leur souffrance, à leur


doute. À l’inverse, ce que nous avons construit, à travers les assemblées générales, c’est la possibilité de mettre en commun les expériences de travail, de reconnaître leur dimension


structurelle, et de faire émerger une force collective capable de les affronter. Ainsi, quand notre collègue Achraf a été menacé de sanction pour avoir refusé de s’excuser après


l’humiliation publique d’un client, c’est une assemblée générale et une motion collective de soutien qui a permis de faire reculer la direction. Après l’entretien préalable de notre collègue


Nadia*, nous avons pu être réactifs et organiser en seulement 4 jours un rassemblement appelé par 50 organisations politiques, syndicales et associatives auquel 150 personnes ont participé.


Cette capacité d’organisation, cette mise en commun des colères et des refus, c’est précisément ce qui fait peur à la direction. Depuis la création de notre section CGT, nous avons fait


face à des entraves systématiques : tentative d’interdiction d’un tract, interdiction d’une assemblée générale, e mails mensongers adressés à toute l’entreprise pour décrédibiliser notre


activité syndicale. L’affaire du licenciement de notre collègue s’inscrit dans cette continuité : frapper l’un·e pour intimider tou·tes les autres, désamorcer toute contestation, rétablir le


silence. Ce n’est donc pas seulement notre collègue qui est attaquée mais une tradition syndicale combative qui a mis au centre la solidarité entre les salariés. Et pour cela, la direction


use de mesures d’exception : licenciement brutal basé sur un manque de productivité infondé et jamais formalisé, détournement du témoignage d’une victime, coupure des accès aux moyens


d’entreprise avant même la réception de la lettre de licenciement. S’il s’inscrit dans une dynamique déjà connue de répression syndicale, ce licenciement marque un seuil franchi dans la


violence, à mettre en lien avec un contexte politique plus large, où les attaques contre les libertés syndicales s’intensifient, dans un climat de militarisation croissante et de répression


des contestations. UNE RÉPRESSION POLITIQUE DANS UN CONTEXTE DE MILITARISATION Le licenciement de notre collègue arrive quelques semaines après le rachat de Magellium-Artal par le fonds


d’investissement Weinberg Capital Partners, orienté défense. Si ce rachat a, à juste titre, créé beaucoup d’inquiétude chez les salariés, il ne peut être considéré en dehors du contexte de


course au réarmement auquel on assiste en Europe. En effet, inculquer une idéologie nationaliste et guerrière à une génération d’ingénieurs qui a lutté pour le climat, pour sa retraite et


qui a manifesté en soutien à la Palestine, nécessite sa mise au pas. Et cela commence par ses éléments les plus contestataires, ceux qui s’organisent dans des syndicats et dénoncent leurs


conditions de travail. La répression syndicale, le mépris des salarié·es, le management par la peur, ne sont pas des problèmes propres à Magellium-Artal. Ils sont les symptômes d’un contexte


politique plus large. Celui où le gouvernement appelle à « l’économie de guerre » et à « l’effort collectif », où main dans la main avec le patronat, il se prépare à des attaques d’ampleur


contre les travailleurs, contre les militants syndicaux et politiques. Aujourd’hui, les militants pro-palestiniens sont réprimés, poursuivis en justice, demain ce seront tous ceux qui


refuseront de se ranger derrière un projet nationaliste et guerrier. Dans le contexte actuel de réarmement massif, le secteur de l’aéronautique et du spatial occupe une place stratégique


centrale. À Toulouse, les ingénieurs se retrouvent en première ligne de cette bascule vers l’économie de guerre. Face à cela, nous avons une responsabilité historique : refuser que nos


savoir-faire, nos compétences techniques, soient mobilisés au service des logiques de guerre et des intérêts impérialistes. Refuser de devenir les rouages dociles d’une industrie qui prépare


la destruction. Au contraire, nous pouvons choisir de mettre notre intelligence, notre créativité et notre expertise au service de la santé publique, de l’éducation, de la culture, de


réseaux de transports pour tous et de la production de biens communs respectueux de l’environnement. Pour cela, à rebours d’une alliance patriotique avec ceux qui nous exploitent, c’est une


alliance avec les exploités, ici et ailleurs qu’il faut construire, contre la guerre, l’exploitation et la répression.