
Surveillance vidéo, cadences effrénées, sous-effectif, burn-out … maltraitances au travail chez bodyminute
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La chaîne d’esthétique Bodyminute est mise en cause pour les cadences de travail infernales qu’elle impose aux salariées, poursuivant des objectifs de rentabilité et d’efficacité qui mettent
en danger leur santé physique et mentale. Depuis 2022, l’entreprise harcèle l’influenceuse Laurène, qui avait critiqué les services de la chaîne d’esthétique, dans une courte vidéo sur
TikTok. Bodyminute y mène une campagne de communication très agressive à son encontre, suscitant un bad buzz. Sur le réseau social, le sujet a donné lieu à de nombreuses réactions de
clientes et d’esthéticiennes passées par la chaîne. Sous une vidéo publiée début février par une ancienne employée, les témoignages d’ex-salariées écœurées pleuvent : « _un véritable
cauchemar _ », « _traumatisant _ », « _le pire job de ma vie _ ». Le travail à la chaîne, les méthodes managériales brutales et le non-paiement des heures supplémentaires sont en cause, à
l’heure où le PDG Jean-Chritophe David (fils du multimillionnaire Jean-Louis David) prétend défendre les 2 200 salariées des 450 salons franchisés face aux critiques qui se multiplient sur
les réseaux. Si les « _esthéticiennes prennent cher _ » comme l’avance le patron, ce n’est pas à cause des critiques qu’elles reçoivent de la part de clientes insatisfaites, mais à cause des
cadences de travail qu’il leur impose. Les prestations sont chronométrées, et les employées sous pression constante. Par exemple, une épilation doit durer entre 10 et 15 minutes, pas
davantage. Flavie, qui a quitté la chaîne après un burn-out et une dépression, explique que les temps indiqués suffisent rarement : « _Souvent c’est 10 minutes top chrono pour un maillot. Le
concept c’est pas que ce soit bien fait, c’est le rapide et l’approximatif. _ ». Les managers passent en cabine vérifier les temps, exigeant des salariées qu’elles aillent toujours plus
vite, pour prendre plus de clientes. Lola, qui a mis un terme à son apprentissage après un burn-out également, évoque le stress constant et les rappels à l’ordre : « _Toutes les 10 minutes
ont toquait à ma porte pour me demander mon temps. On me disait devant les clientes que j’étais trop lente, et que si ça continuait on me reprendrait pas _ ». Dans l’enchaînement des
rendez-vous, les pauses déjeuners ne sont pas toujours respectées. Flavie raconte l’enfer du salon qu’elle a quitté cet automne, où elle était la seule employée. Pendant des mois, sa
patronne l’oblige à assurer tous les rendez-vous, sans pause : « _J’avais 15 minutes par-ci par-là où je mangeais un peu, quand il n’y avait pas de clientes. Sinon j’enchaînais comme une
folle. _ ». La surveillance par caméra permet aux managers de traquer la moindre minute jugée non rentable. Les salariées peuvent recevoir messages et appels de leur part pour les inciter à
aller plus vite, alors même qu’elles ne sont pas sur place. D’après plusieurs témoignages, il arrive que les salles de pause soient vidéo-surveillées. Lola évoque ces moments de répit,
lorsqu’il n’y a pas de clientes et que le ménage est déjà fait, où les employées s’assoient et reçoivent immédiatement un appel de la cheffe leur intimant de se remettre au travail. Des
témoignages de cet ordre se retrouvent sur TikTok et il semble que la surveillance constante des moindres faits et gestes des employées fasse partie des méthodes de management de la chaîne.
Le fait de travailler en sous-effectif explique en partie la pression à terminer vite les prestations : Pauline, qui a passé six mois en alternance dans un salon de taille moyenne il y a
plusieurs années, se souvient avoir souvent effectué à deux le travail de trois ou quatre personnes. Les journées à rallonge sont fréquentes, et les employées ne connaissent pas toujours
leurs horaires à l’avance. Flavie, qui travaillait seule, tenait le salon de l’ouverture à la fermeture et multipliait les journées de 10 heures sans pause déjeuner alors que son contrat
était un 35 heures par semaine : « _ J’ouvrais à 9h40 et je rentrais à 22h. Tout ça pour le Smic. _ ». Ses heures supplémentaires non déclarées n’étaient pas rémunérées et les primes
normalement accordées aux salariées sur la vente des produits ne lui ont jamais été versées. Lola aussi effectuait des heures supplémentaires non payées et illégales, son contrat
d’alternance n’était pas respecté. Le modèle économique de la chaîne repose sur l’emploi de nombreuses alternantes qui effectuent le même travail que les salariées, mais pour un tiers du
Smic. Ces jeunes femmes effectuent ainsi du travail sous-payé et sont souvent « _ formées sur le tas _ », ne bénéficiant pas toujours de la formation que l’entreprise doit leur fournir.
Certains centres de formations interdisent ainsi à leurs élèves d’effecteur leur alternance chez Bodyminute, connu pour ces pratiques. Flavie a commencé chez Bodyminute, alors qu’elle
préparait son CAP. Elle estime que la chaîne ne forme pas les alternantes, et n’a pas obtenu son diplôme comme beaucoup d’autres. Il arrive ainsi que l’entreprise fasse rater des cours aux
apprenties, pour pallier le manque de personnel. Après avoir travaillé dans trois Bodyminute différents, elle déplore : « _ Combien de filles de 16 ans j’ai vu pleurer là-bas ! _ ».
D’épuisement et de stress, Lola s’effondre un jour devant des clientes. La patronne menace alors de ne pas la garder à l’institut. Lorsque son médecin la met en arrêt maladie et lui prescrit
des anxiolytiques, celle-ci poursuit le chantage et lui assure appeler tous les instituts pour que Lola ne retrouve pas de place d’alternance par la suite. Ces méthodes de management
brutales semblent fréquentes, au vu des nombreux témoignages émanant de Bodyminute différents. Par ailleurs, c’est bien la politique de la chaîne qui pousse à faire du chiffre sur le dos des
salariées. Si le patron prétend se soucier de leur bien-être, plusieurs empoyées rapportent travailler dans des « _conditions horribles _ », « _ sans chauffage _ ». Les douleurs de dos sont
fréquentes et les tables sur lesquelles s’allongent les clientes ne sont pas toutes adaptées à la taille des esthéticiennes. Lola est grande et explique devoir se pencher et plier les
jambes toute la journée, sa manageuse lui refusant l’accès à la seule cabine comportant une table adaptable. Après plusieurs années de travail pour la chaîne, Flavie conclue : « _ Y a pas
une seule collègue qui m’ait dit ‘‘je me sens bien’’ _ ». Si Bodyminute repose sur la promotion d’un certain modèle de corps féminin, glabre et lisse, c’est aussi une féminité blanche et
mince qui est valorisée, au-delà du marketing. Safia raconte avoir subi du racisme et de la grossophobie lors d’un entretien d’embauche il y a un mois, pour un CAP : « _ On m’a posé
énormément de questions sur mes origines, par rapport à mon prénom, pourquoi j’étais pas légèrement bronzée. Et à la fin, elle m’a dit que le physique que j’ai dérangerait face à l’apparence
de Bodyminute, car je ne suis pas fine _ ». Une internaute rapporte du profilage racial : suite au premier entretien, une esthéticienne aurait été sommée d’inscrire N ou A (pour Noire ou
Arabe) sur les fiches. Une ancienne salariée nous raconte avoir été témoin d’un cas de discrimination islamophobe dans le salon où elle travaillait, où une jeune femme voilée se serait vue
refuser le poste pour des raisons « _ d’image de l’institut _ ». Dans le contexte actuel de harcèlement de Laurène, influenceuse ayant publié une vidéo d’humour critiquant les services de
Bodyminute en 2022, l’entreprise axe sa communication sur le fait que les salariées soient quasi exclusivement des jeunes femmes. Elle prétend vouloir protéger leur « _ dignité _ » et leur «
_ estime de soi _ » face aux critiques, se maquillant en défenseuse des femmes. Depuis plusieurs mois, la chaîne est en procès contre Laurène et a révélé son adresse et ses coordonnées.
Elle incite par ailleurs les salariées à participer à la campagne de communication agressive sur les réseaux sociaux, à partir de vidéos générées par intelligence artificielle et mettant en
scène une fausse influenceuse (en réalité un deepfake). Ainsi, Jean-Christophe David s’est rendu l’année dernière dans le salon où travaillait Lola pour parler aux employées de l’argent
investi sur TikTok, leur demandant en personne de s’abonner et de liker les posts, prétendant que cela serait vérifié. Contactée par mail, l’entreprise n’a pas répondu à notre sollicitation.
La surveillance, les cadences intenables et les méthodes managériales brutales ont eu des séquelles sur la santé physique et mentale de nombreuses jeunes esthéticiennes. Les conditions de
travail poussent vers la sortie des professionnelles épuisées, parfois contraintes à changer de métier. C’est le cas de Pauline, qui travaille maintenant dans le transport. Elle conclue : «
_Quand j’ai vu l’ampleur, toutes ces filles qui témoignaient sur TikTok j’ai réalisé que c’était pas que là où j’étais. On a l’impression que ça arrive que chez nous alors que pas du tout,
il était temps que les gens sachent. _ ». Contre l’instrumentalisation du féminisme et contre l’exploitation, soutien aux travailleuses de l’esthétique !