100 ans de la mort de camille flammarion : l'astronome passionné par le paranormal

100 ans de la mort de camille flammarion : l'astronome passionné par le paranormal


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_Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir n°940, daté juin 2025._ Printemps 1924. Dans la librairie d'Ernest Flammarion, les glaneurs découvrent le dernier livre d'un


des plus grands auteurs à succès du XIXe siècle : _La Mort et son mystère_, une trilogie de son frère Camille Flammarion qui s'achève sur le volume intitulé : _Après la mort_. Cette


œuvre testamentaire fait la synthèse de décennies de méditation sur les _"graves problèmes _" de l'existence de l'âme et de sa survivance. Flammarion a 82 ans. À la


veille de sa mort en 1925, l'astronome compile inlassablement les témoignages qui lui parviennent du monde entier, pour établir la preuve des phénomènes liés à ce qu'il appelle la


_"force psychique _". Le thème de ce livre traverse tous ses ouvrages du début à la fin de sa carrière d'auteur. Dès 1862, dans _La Pluralité des mondes habités_, le jeune


Camille, alors élève astronome à l'observatoire de Paris, s'appuie sur ses observations astronomiques pour tracer les conditions de possibilité d'une vie extraterrestre sur


les planètes du Système solaire. Mais à ce sujet, il rêve déjà de _"mondes supérieurs _" où _"le venin de la mort _" et _"le trépas glacé _" ne sont qu'un


voyage menant à des retrouvailles, _"le départ d'une âme vers des familles aimées _". Son premier succès de librairie porte en germe une ambition qui animera toute une vie de


savant et de vulgarisateur : percer les mystères de l'inconnu. En effet, la science des corps célestes, qui confirme au XIXe siècle son tournant vers les mathématiques et la physique,


entre dans l'ère d'une astronomie de l'invisible. Les découvertes les plus récentes démontrent sans cesse combien nos sens sont limités pour rendre compte de toutes les


dimensions de l'Univers que nous habitons. En 1846, Urbain Le Verrier découvre une planète jamais observée, Neptune, par la seule puissance du calcul. À cette même période,


l'application de la spectroscopie à l'observation astronomique perce le mystère de la composition chimique des étoiles, ce qu'on pensait impossible quelques années plus tôt.


_"Nous ne saurons jamais étudier par aucun moyen [la] composition chimique [des étoiles], ou leur structure minéralogique _", affirmait le philosophe Auguste Comte dans la


dix-neuvième leçon du _Cours de philosophie positive _(1835). La preuve que si ! Parmi les faits scientifiques les plus médiatisés, la prédiction des éclipses ou du retour des comètes - dont


celle de Halley au sujet de laquelle Victor Hugo écrira un poème - confirme encore l'intérêt d'une pratique abstraite de l'astronomie dans laquelle le sensible n'est


plus indispensable à l'investigation savante. Lire aussiEn Europe au Moyen Âge, une astronomie à courte vue Mais quant aux savoirs sur l'invisible (l'infiniment grand,


l'infiniment petit, ou les forces nouvelles telles que l'électricité), une guerre idéologique divise l'opinion savante. Pour certains, la science dispute aux religions leur


prétention à expliquer le monde. En retour, les questions qui ne peuvent faire l'objet d'aucune observation ni expérimentation directes doivent être abandonnées par la science.


C'est la position rigoriste adoptée par Auguste Comte, et brandie par les matérialistes qui refusent de considérer ces nouveaux points d'intérêts comme des phénomènes. Pour


d'autres, au contraire, la science doit s'adapter aux nouvelles questions qui passionnent les foules, y compris celles qui touchent à l'histoire spirituelle de


l'humanité. Camille Flammarion illustre bien cette voie, et espère obtenir par ses travaux la réconciliation tant espérée entre les religions et la science. Dans ce contexte, lesdites


"sciences occultes" connaissent un succès spectaculaire au moment même où la carrière d'astronome et de vulgarisateur de Camille Flammarion prend son essor : le magnétisme se


met en scène sur le théâtre du médecin et magnétiseur Franz Anton Mesmer ; la mode des tables tournantes s'empare de l'Europe ; la célèbre médium Eusapia communique avec les morts


dans des "séances" publiques et privées ; _Le Livre des esprits _d'Allan Kardec (1857) donne un cadre théorique à tous les espoirs des spiritualistes. Certaines personnalités


d'envergure souscrivent à l'idée d'une communication des âmes défuntes et s'initient aux tables tournantes. Victor Hugo, à qui le jeune Camille Flammarion envoya dès sa


parution _La Pluralité des mondes habités_, s'était passionné pour cette pratique à Guernesey. Dans un article de presse, Camille Flammarion s'est d'ailleurs vanté


d'avoir eu entre les mains les précieux "cahiers rouges" dans lesquels Victor Hugo et ses proches avaient consigné les procès-verbaux de séances spirites ( _Les Annales


politiques et littéraires_, 7 mai 1899). PERCER PAR LA SCIENCE LE SECRET DES FORCES DE L'ESPRIT Dans les _Mémoires biographiques et philosophiques d'un astronome _(1912), Camille


Flammarion raconte son enthousiasme initial pour le livre de d'Allan Kardec. Au début des années 1860, il participe à _"toutes les séances de la société spirite_". Il y


rencontre des personnalités célèbres et influentes : Arsène Houssaye, Théophile Gautier, et surtout l'éditeur Didier, qui publia sa seconde édition de _La Pluralité_. À la même période,


il fait paraître en deux séries des "études d'outre-tombe" intitulées _L'Autre monde_, rapport de séances spirites menées par la médium Mademoiselle Huet. À la mort


d'Allan Kardec, Camille Flammarion est même proposé pour devenir président de la Société, mais le caractère religieux de ses adeptes ne peut lui convenir : c'est par la science


qu'il entend percer le secret des forces de l'esprit. Camille Flammarion n'est pas isolé dans cette démarche d'appréhension rationnelle des phénomènes paranormaux. Dans


_L'Inconnu et les_ _problèmes psychiques _(1900), il se dit inspiré par les travaux de la Société d'études psychiques de Londres (Royaume-Uni), qui publie un ouvrage sur les


phénomènes d'esprits frappeurs en 1866. Quelques années plus tard, ce sont les savants Pierre et Marie Curie qui tentent de percer le mystère par la méthode scientifique en observant la


médium Eusapia selon un protocole expérimental. Camille Flammarion en fait de même, dans une expérience menée en novembre 1898 à Juvisy… qui prouvera seulement le caractère frauduleux et


théâtral des séances de la célèbre spirite ( _lire l'encadré ci-dessous _). L'engagement de l'astronome pour démontrer l'existence des _"forces naturelles inconnues


_" (dont relèveraient les esprits, la télépathie ou le don d'ubiquité) peut apparaître aujourd'hui comme la marque d'un manque d'esprit critique. Mais il ne faut pas


négliger le contexte dans lequel s'inscrivent ces "recherches", et la nature assez remarquable du protocole employé pour les mener. En effet, lorsque Camille Flammarion


entend tirer au clair la nature des faits relatifs au spiritisme, il en appelle aux témoignages de ses lecteurs dans la presse, au moyen d'une annonce. S'ensuit un déferlement de


lettres, cartes postales et notes privées dont il s'efforcera de faire une synthèse, avec force citations, dans _L'Inconnu et les problèmes psychiques_. C'est une nouvelle


forme de science populaire qui s'ébauche, mettant à contribution les récits des lecteurs comme la matière et le produit d'une recherche collective sur les phénomènes occultes. Une


véritable expérience de science participative ! Pour lui, la preuve est alors établie de la réalité de ces nouveaux "phénomènes" par deux effets principaux : le nombre de


témoignages (écrasant, donc, selon lui, validant), et la sensation personnellement ressentie de la sincérité de ces témoignages, en effet souvent bouleversants. Malgré les apparences


d'une démarche scientifique, la preuve qu'il s'efforce d'apporter relève donc de la croyance, plus que de l'expérience… IL RECONNAÎT À LA FIN DE SA VIE LA FRAGILITÉ


DE SES CONCLUSIONS Sa démarche n'en demeure pas moins profondément sincère. De fait, Camille Flammarion affirmera toujours que lui-même n'a jamais personnellement vécu les


"phénomènes" qu'il étudie. Son ami et ancien camarade de classe Charles Burdy, qui lui avait promis de se manifester après sa mort, n'est apparemment pas parvenu à le


faire… _"Jamais je n'ai reçu de lui la moindre manifestation d'aucun genre _", écrit-il dans ses _Mémoires_. Au sujet des tables tournantes en particulier, il déduit de


l'expérience vécue par Victor Hugo et ses proches qu'en l'absence de médium prestidigitateur, _"la réunion des personnes assemblées pour faire ces évocations crée,


momentanément, une personnalité psychique qui les résume _", et qu'il rapporte à _"notre être subconscient, notre moi subliminal _", qui agirait _"un peu comme dans


le rêve _". D'une certaine façon, l'astronome est moins convaincu par le spiritisme que… par les concepts qui fonderont la psychanalyse. Dans les derniers textes de sa vie, et


avec une honnêteté sans faille, Camille Flammarion reconnaît que les conclusions de tant d'années d'études demeurent fragiles. Il l'avoue dans les _Mémoires _: _"Ces


recherches, comme mes lecteurs le savent, n'ont pas résolu jusqu'à présent le grand problème ; mais elles nous conduisent à admettre l'existence de forces inconnues et de


facultés de l'âme encore inexpliquées. _" Laissant en suspens la possibilité d'une survivance de l'âme après la mort, il écrit : _"Nous vivons au milieu d'un


monde invisible. _" Lire aussiÂme et esprit : pourquoi croit-on en leur existence et a-t-elle été prouvée ? Même si les "expériences" menées par Camille Flammarion sur ces


"phénomènes" ont pu miner la crédibilité scientifique de ses travaux dans la postérité, il importe de replacer cet intérêt dans un mouvement général d'engouement pour les


phénomènes de l'esprit. Le spiritisme, avec lequel l'astronome prit rapidement ses distances sous sa forme parareligieuse, lui permit toutefois d'être placé au centre


d'un réseau de sympathisants, indispensable dans sa trajectoire savante et auctoriale. On sait que nombre de ses connaissances et amis avaient pratiqué les tables tournantes, et nul


doute que ce qui s'apparentait à un divertissement de salon facilita les rencontres utiles ou enrichissantes, bien au-delà de la question spirite. Mais il reste encore beaucoup de


choses à découvrir sur ce thème… Et peut-être Camille Flammarion s'était-il simplement trompé de méthode ? Aujourd'hui, ce n'est pas la science expérimentale, mais la


philosophie et l'anthropologie qui s'emparent de la question des morts et qui s'efforcent d'expliquer leur présence agissante parmi les vivants, dans les traces de


Vinciane Despret ou Grégory Delaplace. Il ne s'agit plus de "force psychique", mais plutôt d'héritage, de construction culturelle, d'imaginaire intérieur et de


rituels solidaires. Quant à l'astronomie de l'invisible, portée par les travaux sur la matière noire ou l'Univers profond, elle perdure et s'enrichit de nouveaux secrets…


EUSAPIA CONFONDUE PAR UN CHEVEU En novembre 1898, l'astronome invite la médium Eusapia à une expérience visant à prouver l'existence des phénomènes spirites. Celle-ci impose


plusieurs conditions. Entre autres prérequis, une table positionnée à un angle de la pièce et un rideau derrière lequel sont disposés divers objets (une petite guitare, un tambourin, une


sonnette, une pomme…), tous à portée de main de la médium. La séance devant se produire à la clarté de la Lune et d'une faible lampe, une obscurité quasi totale est requise. Il est


précisé qu'Eusapia n'a pas consenti à _"se faire déshabiller, dans le but de faire contrôler ses vêtements" _avant la séance. Or, l'un des points forts de


l'expérience est le déplacement d'objets, prétendument provoqué à distance par la force médiumnique de l'opératrice. Tandis qu'un pèse-lettre vient de s'abaisser


spectaculairement entre les mains tendues d'Eusapia, un "contrôleur" de l'opération, M. Matthieu, se saisit d'un cheveu, habilement noué entre les doigts de la jeune


femme, et qui lui tombe sur la main. Ce cheveu est encore conservé aux archives de Juvisy dans une enveloppe intitulée : _"Cheveu d'Eusapia, fraude du 12 novembre 1898"_. _La


médium italienne Eusapia Palladino (1854-1918), ici au centre lors d'une séance de spiritisme, était réputée pour faire léviter les tables. Crédits : GENERAL PHOTOGRAPHIC AGENCY /GETTY


IMAGES_ _Par Elsa Courant, chargée de recherche CNRS au Centre d'étude de la langue et des littératures françaises à Sorbonne Université._