Alexis michalik, interview d'un conteur d'histoire

Alexis michalik, interview d'un conteur d'histoire


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Quand il ne prépare pas son prochain spectacle (qu’il écrit et met en scène), il tourne lui-même pour la télévision, le cinéma ou travaille à l’écriture de son premier roman, prochainement


publié chez Albin Michel. Malgré un emploi du temps bien chargé mais rondement mené, Alexis Michalik, qui présente actuellement sa toute nouvelle création, Edmond, au Théâtre du


Palais-Royal, prend le temps de boire un thé le long du canal de l’Ourcq, quartier où il a élu domicile et où il nous a donné rendez-vous. POUR DÉBUTER CET ENTRETIEN, PEUX-TU SIMPLEMENT ME


DONNER TROIS MOTS, PAS FORCÉMENT DES ADJECTIFS, QUI TE DÉCRIERAIENT ? (il réfléchit). Faisons simple : Théâtre, Cinéma et Télé. PLUS JEUNE, TU AS REFUSÉ UNE PLACE AU CONSERVATOIRE NATIONAL.


QU’EST-CE QUI POUSSE UN JEUNE ACTEUR À REFUSER UNE TELLE OPPORTUNITÉ ? C’était il y a longtemps… Il y a 13 ans. A l’époque, j’avais déjà joué dans _Roméo et Juliette_ monté par Irina Brook.


Et au moment d'intégrer le Conservatoire, certaines choses ne m'ont pas plues : des méthodes de travail, mais aussi, certaines personnes. Je n'ai tout simplement pas eu envie


d’arrêter de travailler pendant trois ans pour apprendre auprès de personnes dont la vision du théâtre n’était pas la mienne… Alors j’ai refusé et c’est là que j’ai commencé à mettre en


scène.  PARLONS D'AILLEURS D'IRINA BROOK ET DE _ROMÉO ET JULIETTE_. VOUS AVIEZ NOTAMMENT JOUÉ À CHAILLOT ET LES DEUX NOMS ASSOCIÉS (IRINA BROOK/CHAILLOT) SONT QUAND MÊME UNE BELLE


PORTE D’ENTRÉE AU THÉÂTRE PUBLIC. AUJOURD’HUI, TU AS UN NOM DANS LE THÉÂTRE PRIVÉ. LES HASARDS DE LA VIE ? Oui, les hasards de la vie… C’est aussi que nous avons joué pendant un an cette


pièce et personne du théâtre public ne m’a proposé un rôle ou une audition, donc à partir de là… ET QUEL SOUVENIR GARDES-TU DE TON TRAVAIL AVEC IRINA BROOK ? Un super souvenir. C’est


indéniablement elle qui m’a donné le goût de la mise en scène. Dans son travail, elle commence toujours une création par former une troupe. Durant la première partie du travail, on fait des


jeux. On joue à la balle au prisonnier, on fait des impros, de la musique… Ensuite, on entre dans le texte véritablement. Elle prend des gens très différents, des acteurs, des danseurs,


français ou non. Elle prend des individualités et forme une troupe hyper hétéroclite. A ce niveau-là, elle fonctionne complètement comme Peter Brook (_son père, ndlr_). Et elle est très


ouverte aux diverses propositions des acteurs, rien n'est figé. Moi, je sortais du lycée, on m’avait appris qu’il y avait un texte, qu’il fallait le dire devant un public et parler


fort. Tout à coup, j’ai découvert que tout était possible. Que si tu avais envie de prendre une guitare à la place d’une scène, c’était ok. Pour moi ça a été la découverte d’une certaine


forme de mise en scène : s’emparer d’un texte, le tordre, le transformer et en faire ce qu’on veut. PEU DE TEMPS APRÈS, TU AS MONTÉ UNE PIÈCE QUI S’APPELAIT _R&J_, UNE ADAPTATION LIBRE


DE _ROMÉO ET JULIETTE_. EST-CE QUE C’ÉTAIT EN QUELQUE SORTE TA RÉPONSE À TON TRAVAIL PRÉCÉDENT AVEC IRINA BROOK ? Non pas vraiment. La réalité c’est que avant cela, j’avais monté_ Le Mariage


de Figaro_ par amour du texte. J’avais envie de monter cette pièce en particulier et j’ai adoré ça. J’ai adoré être chef d’équipe, le fait de gérer les acteurs et d’amener une vision. Et


comme mon travail a plu au public, j’ai continué. J'ai monté _Une mégère à peu près apprivoisée_ et une pièce contemporaine, qui m’a appris que je n’avais pas forcément envie de


travailler sur des auteurs vivants autres que moi-même. _R&J_ est venu après. On voulait le monter à trois acteurs, et on s’est demandé quelle était la pièce la plus connue du monde


qu’on pourrait monter à trois acteurs. _Roméo et Juliette_ tombait sous le sens. Vu que je connaissais déjà bien la pièce, j’ai rapidement su ce que je voulais en faire, ce que je pouvais


couper, etc. Finalement, je me suis assez vite détaché de l’héritage Irina tout en étant empreint de comment j’avais travaillé avec elle. C'était devenu ma marque de fabrique : prendre


un classique et le revisiter. A tel point que je ne croyais pas vraiment au théâtre contemporain. J’étais persuadé que les auteurs classiques avaient déjà tout écrit. Puis j’ai découvert


Wajdi Mouawad. J’ai découvert qu’on pouvait, aujourd’hui, faire quelque chose de Shakespearien, qui peut raconter une histoire très forte en dépassant les époques tout en étant ancré dans le


réel.  AU REGARD DE TON PARCOURS, ON Y DÉCOUVRE AUSSI BIEN DE LA MISE EN SCÈNE QUE DE LA RÉALISATION, DU CINÉMA, DU THÉÂTRE ET DES SÉRIES TÉLÉVISÉES, DE L’ÉCRITURE… QUEL REGARD PORTES-TU


SUR CETTE DIVERSITÉ ? J’aime bien tout faire. Pour moi, dans la vie, les gens très heureux sont ceux qui n’ont pas de frustration et dans ce métier, il y en a souvent. Les grands acteurs de


théâtre aimeraient faire du cinéma, ceux du cinéma ont la frustration de ne pas être considéré au théâtre… Moi j’ai la chance de pouvoir jouer un peu sur tous les tableaux et qui plus est


dans des projets de qualité.  TES DEUX PIÈCES PRÉCÉDENTES, _LE PORTEUR D’HISTOIRE_ ET_ LE CERCLE DES ILLUSIONNISTES_, ONT CHACUNE ÉTÉ RÉCOMPENSÉES PAR DES MOLIÈRES. EN RÉALITÉ, DANS TA VIE


DE CRÉATEUR, QU’EST-CE QUE ÇA CHANGE ?  Sur le coup, c’est super. J’adore les cérémonies et tout le monde a rêvé de recevoir un prix comme celui là. Mais en réalité, les spectacles


marchaient déjà très bien avant ça. Mais c’est plus facile pour les tournées, pour vendre des dates, c’est pas mal sur une affiche… Moi, ça me caractérise tout de suite dans une interview.


Je suis devenu « le mec aux deux Molières ». Vis à vis du milieu, ca m’a fait entrer dans une certaine catégorie… Mais c’est génial, je ne m’y attendais pas, tout a été très vite.  Il y a


des gens qui sont nommés cinq fois sans jamais rien gagner, et moi j’ai tout gagné la première année ! EST-CE QUE ÇA A ÉTÉ UN STRESS EN PLUS POUR TA NOUVELLE CRÉATION,_ EDMOND_ ? Non, le


stress ne vient pas de là. Dans mon travail, le stress vient quand je ne suis pas sur de ma pièce. Je suis assez objectif sur ce que je fais, alors je vois tout de suite ce qui ne fonctionne


pas. Par exemple, pour _Le cercle des Illusionnistes_, j’étais beaucoup plus stressé que pour _Edmond_. Quand je lisais le texte, je ne le trouvais pas bon, je trouvais que quelque chose


n’allait pas. Finalement, il a beaucoup été changé au cours des répétitions, et c’est vraiment à la générale que j’ai pu souffler. Là pour _Edmond_, je suis plus confiant, le texte est plus


solide. QUAND J’AI ASSISTÉ AUSSI BIEN AU_ PORTEUR D’HISTOIRE_ QU’AU _CERCLE DES ILLUSIONNISTES_, J’AI EU LA SENSATION D’ÊTRE UNE PETITE FILLE À QUI ON RACONTE UNE HISTOIRE, DES ÉTOILES


PLEINS LES YEUX. EST-CE QUE TU ÉTAIS LE GENRE DE PETIT GARÇON À L’ÉCOLE QUI PASSAIT SON TEMPS À ÉCRIRE, RACONTER DES HISTOIRES ?  Non et justement ! Je pense que j’ai toujours eu des choses


à dire et qu’on ne m’écoutait pas beaucoup. J’ai grandi dans une famille où il faut s’imposer pour parler et certains gamins étaient beaucoup plus drôles que moi… Donc non, je n’étais pas le


petit rigolo, je n’étais pas celui qui faisait marrer la bande. Et vu que personne dans mon entourage ne me disait que ce que j’écrivais était particulièrement bien, je n’y croyais pas


trop. Je ne pensais pas que l’écriture puisse devenir autre chose qu’un hobbie, même si ado déjà j’écrivais des petits romans, des scénarios, pour le plaisir. Quand _Le Porteur d’histoire_ a


commencé à fonctionner, ça a été une surprise et un bonheur. J’ai compris que je pouvais avoir une place, qu’elle était légitime et que certaines personnes peuvent être intéressées par ce


que j’avais à raconter. CE CÔTÉ FAIT D'ILLUSIONS, DE MYSTÈRES, D’INTRIGUES ET DE FÉÉRIE QU’ON RETROUVAIT DANS LES PIÈCES PRÉCÉDENTES, LE RETROUVE-T-ON ÉGALEMENT DANS _EDMOND _?


C'est différent. Les deux précédentes étaient marquées par une écriture éclatée et différentes époques qui s’entre-mêlent. Tout ça, ce sont des choses qu’on a peu l’habitude de voir, où


alors chez Simon McBurney et ses narrations éclatées, chez Wajdi Mouawad et son écriture très « épopée » où beaucoup de choses se passent dans le passé, les torsions d’espace temps


empruntées au cinéma, chez Iñárritu notamment. Ajoutez à ça une logique de théâtre privé avec un spectacle qui dure 1h30 et des "cut" entre chaque scène comme au cinéma (pas de


décor unique, par exemple) et pas de baisse de rythme, pour éviter l’ennui. Tout ça, ça sera évidemment dans _Edmond_ puisque c’est ma manière à moi de raconter quelque chose. Cependant, ce


n’est pas une pièce aux époques éclatées, c’est plus traditionnel, en costume, en 1897… COMMENT PARLERAIS-TU D'EDMOND, EN QUELQUES MOTS, SANS NATURELLEMENT RIEN EN DÉVOILER DU SPECTACLE


? Ca parle d’un mec qui est entrain d’écrire _Cyrano de Bergerac_. Tout le challenge était de mettre Cyrano dans Edmond. Comment intégrer l’esprit et l’émotion qu’on ressent en voyant


Cyrano dans sa propre écriture. A la base, je voulais faire d’_Edmond_ un film. J’avais le scénario en tête depuis 5 ans, et puis, j’ai vu, à Londres, la pièce faite à partir du film


_Shakespeare in Love_. Je me suis rendu compte que la seule chose dommage dans cette pièce, c’est qu’on connaissait déjà le film. A l’inverse, le problème n’aurait pas existé : il n’est pas


embêtant de tirer un film d’une pièce de théâtre. J’ai donc décidé de faire _Edmond_ une pièce. Et un jour, l'idée serait d'en faire du cinéma... SI TU DEVAIS EN CHOISIR UN :


PHILIPPE TORRETON OU GÉRARD DEPARDIEU ? C’est difficile de choisir. Les deux sont tops. Mais il y en a d’autres, Vuillermoz notamment… Mais moi, je créé mon propre Cyrano. SI TU DEVAIS CITER


QUELQUES SOUVENIRS DE THÉÂTRE EN PARTICULIER ? Je me souviens de Declan Denollan aux Bouffes du Nord, qui jouait _Comme il vous plaira_ qu'avec des hommes, _Mnemonic_ de Simon


McBurney, fondateur pour moi et dans ma vision des choses. _La Nuit_ de Mouawad dans La cour d’honneur à Avignon, de _Forêts_ à Malakoff… Et de comédies musicales, j’aime beaucoup les


comédies musicales. A Londres, _West Side Story_ au Châtelet… Et _Le Costume_ de Peter Brook aux Bouffes du Nord, _Le Mariage de Figaro_ de Sivadier à Nanterre… Mes parents m’ont donné une


super éducation théâtrale, et globalement, j’ai retenu dans le théâtre subventionné les pièces les plus narratives, fondatrices de ma vision actuelle du théâtre. ET FINALEMENT, QU’EST CE QUE


TU AIMES DANS LE THÉÂTRE PRIVÉ ? Tout est un peu plus simple. Et j’aime que le spectacle puisse être programmé pendant plus longtemps que prévu si il fonctionne. Mais évidemment, si demain,


l’Odéon m’appelle, je ne dirai pas non ! POUR FINIR CETTE INTERVIEW, ET VU QUE NOUS SOMMES ACTUELLEMENT À DEUX PAS DE LA VILLETTE, EST-CE QUE TU ES DÉJÀ ALLÉ À LA PHILARMONIE ? Pas encore.


J’ai offert des billets à tout le monde, mais moi, je n’y suis pas encore allé ! Mais j’ai hâte. LE DERNIER CONCERT QUE TU AS VU AU ZÉNITH ? Manque de pot, je ne suis pas très concert… Je


vais beaucoup au cinoche, je vais évidemment beaucoup au théâtre, mais pas très concert… Je ne crois pas être déjà allé au Zenith, d’ailleurs. ALORS PARLONS PLUTÔT CINÉMA. SI TU DEVAIS


DÉCIDER DE LA PROGRAMMATION DU CINÉMA EN PLEIN AIR DE L’ÉTÉ, QUELS FILMS TU Y METTRAIS ? _West Side Story,_ parce que je l’ai vu là-bas et c’était super… Et mes films préférés ! _American


Beauty_, _Le Dictateur_ de Chaplin, _To be or not to be_ de Lubitsch, _Chantons sous la pluie_, _Amélie Poulain_,_ Irréversible_… _INFOS PRATIQUES :_ _EDMOND, AU THÉÂTRE DU PALAIS ROYAL, du


15 septembre au 30 novembre 2016._ _Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 16h30._ _Tarifs : de 17 à 60€_ _Réservations : 01 42 97 59 46_ Copyright image : Chloé Bonnard