
Comment sortir l’action publique d’une logique strictement financière ?
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Le dernier remaniement ministériel du 20 juillet 2023 a donné lieu à son lot traditionnel de discours de passation de pouvoir, dont ceux, à Bercy, de Gabriel Attal, en partance pour
l’Éducation nationale, et de son successeur Thomas Cazenave à la fonction de ministre délégué chargé des comptes publics. Ce passage de relais s’est voulu inscrit dans la continuité. Le
nouveau ministre a ainsi déclaré vouloir poursuivre le travail de désendettement de son prédécesseur : > « Le redressement des finances publiques et le retour du déficit > sous la
barre des 3 % d’ici 2027 sont nos priorités. » Jusqu’à présent, la transformation de l’action publique en France a surtout été guidée par les principes d’un _New Public Management_ dont on
peut douter de son caractère novateur (déployé au milieu des années 1980 dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande). Fondé sur les pratiques du
secteur privé (notamment des industries automobile comme General Motors et chimique comme Dupont de Nemours), il promeut davantage de discipline dans l’utilisation des ressources
financières, une intensification de la concurrence public/privé et public/public, la fragmentation des structures publiques en unités évaluables ainsi qu’une grande attention portée à la
définition d’objectifs et aux résultats. LOGIQUE D'ÉCONOMIES Pour mettre en application ces principes, l’État français a notamment déployé des dispositifs de contrôle de gestion dans
l’ensemble de la fonction publique (hôpitaux, lycées, universités, collectivités territoriales, ministères de la Défense, de la Justice, de l’Intérieur, de la Culture, etc.) : découpage de
l’ensemble de l’administration en centres de responsabilité, mise en place de nombreux systèmes de calcul des coûts, création d’un nombre incommensurable d’indicateurs, développement de
systèmes de _reporting_ et quasi-généralisation du « benchmarking » (comparaison des différents acteurs). [_Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour
mieux comprendre les grands enjeux du monde_. Abonnez-vous aujourd’hui] L’orientation financière donnée à ces dispositifs a incité les décideurs publics français à voir la transformation de
l’action publique davantage sous l’angle des économies budgétaires que sous celui de l’efficacité du service public. Si le redressement des finances publiques et le retour du déficit sous la
barre des 3 % restent les priorités de Bercy, il faut espérer que les dispositifs employés pour transformer l’action publique ne détournent pas davantage les décideurs publics de leurs
missions et priorités originelles : être au service du patient, de l’élève, de l’étudiant, du citoyen… ------------------------- _ READ MORE: PARTOUT DANS LE MONDE, LA RÉSILIENCE DES
SYSTÈMES DE SANTÉ AFFAIBLIE PAR LES RÉFORMES NÉOLIBÉRALES _ ------------------------- En effet, l’action publique guidée par l’intérêt général et le bien commun différencient
fondamentalement les organisations publiques de celles du privé. Un collectif de 21 praticiens de structures publiques et d’universitaires français, belges et canadiens s’est penché sur
cette question dans un ouvrage paru en 2023 : « Repenser le management des organisations publiques sous le prisme du contrôle de gestion » (Éditions Vuibert). Il ressort de ces fructueuses
réflexions et nombreux points de vue que, si les décideurs publics continuent à mobiliser des dispositifs de contrôle, les réduire à leur seule dimension financière (efficience et économie
du _New Public Management_) constitue un écueil majeur à éviter. LOGIQUES HYBRIDES La conception la plus répandue du contrôle de gestion dans le monde (y compris dans le secteur marchand)
s’inscrit en effet dans une visée plus ambitieuse : assurer que les ressources sont allouées et utilisées avec efficacité et efficience pour la réalisation des objectifs organisationnels. Il
s’agit donc de l’utilisation de ces dispositifs de contrôle par les décideurs publics _en priorité_ pour les guider dans la réalisation de leur mission originelle : servir l’intérêt général
dans le respect des biens communs. Dans cette perspective, le contrôle de gestion devrait favoriser une lecture « hybride » de l’action collective s’il ne s’enferme pas dans une logique
financière. Il est porteur d’une diversité de logiques qui font la performance publique. En particulier, ce contrôle de gestion « hybride » peut déployer des objectifs multidimensionnels
hiérarchisés et non seulement budgétaires ; adapter des instruments de gestion issus du secteur privé aux singularités de chacune des organisations publiques qui les utilisent ; de mobiliser
ces dispositifs non seulement à des fins de vérification de la mise en œuvre des politiques publiques mais aussi de changement de long terme en encourageant les initiatives individuelles
des agents. Par exemple, une ville de l’ouest de la France de 140 000 habitants, associée à une communauté d’agglomération de 30 communes, s’est engagée dans la révision de ses politiques
publiques. Pour définir les grandes orientations, la ville s’est appuyée conjointement sur un contrôle de gestion à orientation _diagnostique_ et un contrôle de gestion à orientation
_interactive_ formalisé par le spécialiste américain en sciences du management Robert Simons en 1994. Le premier visait la formalisation de contrats d’objectifs multidimensionnels entre la
direction générale et les différents services, ainsi que l’animation du suivi des actions proposées et retenues par les élus. Le second était focalisé sur des réunions de dialogue de gestion
regroupant les cadres et les employés pour décider des améliorations à apporter aux grandes orientations. Ces logiques hybrides visent à limiter le risque de myopie des décideurs publics,
c’est-à-dire celui d’une focalisation excessive sur des questions budgétaires. Penser le contrôle de gestion publique sous l’angle de l’hybridité constitue donc bien le corollaire de la
recherche de l’intérêt général qui s’inscrit, par définition, dans une vision multidimensionnelle de l’action publique. Penser le contrôle de gestion publique suppose d’impliquer les acteurs
– élus, agents, usagers – dans un dialogue constructif qui vise à traiter les divergences inhérentes à cette vision, c’est-à-dire de s’appuyer sur les fondements de la démocratie.