Le « malaise français » dans la fonction publique fédérale
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Christian J. Y. Bergeron does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant
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Au Canada, il y aura toujours une distinction historique entre les francophones et les anglophones, mais cette diversité culturelle et linguistique devrait conduire à une société fondée sur
l’équité et l’inclusion. Pour ce faire, les compétences dans les deux langues officielles sont importantes.
Selon un récent sondage du Commissariat aux langues officielles réalisé auprès de 10 828 fonctionnaires fédéraux de cinq régions administratives différentes (Ottawa-Gatineau,
Nouveau-Brunswick, régions bilingues du Québec, régions bilingues de l’Ontario), plus de 44 % des francophones sont mal à l’aise d’utiliser le français au travail, alors que ces mêmes
francophones ne sont que 11 % à éprouver le même malaise concernant l’utilisation de l’anglais.
De ce 44 % de francophones, plus de 37 % ressentent spécifiquement un malaise à s’exprimer en français lors de réunions de travail. Nous pourrions penser que c’est en raison de l’insécurité
linguistique à s’exprimer en français dans un milieu où l’anglais prédomine, mais c’est davantage en raison des difficultés organisationnelles à travailler en français.
Les principales raisons évoquées sont que leurs collègues anglophones ne sont pas à l’aise en français (89 %) et que le français n’est pas souvent utilisé dans leur milieu de travail (38 %).
Cependant, les répondants ont aussi évoqué la crainte d’être perçus comme un « fauteur de troubles » s’ils parlent français (32 %). D’ailleurs, certains francophones hésitent à demander une
supervision en français (19 %) parce que leur superviseur n’est pas assez à l’aise en français (74 %), par crainte d’être perçu comme des fauteurs de troubles (54 %) ou de déranger leur
superviseur (36 %).
En somme, ces francophones ressentent un malaise à s’exprimer en français parce que leurs collègues anglophones ne maîtrisent pas la langue française et que s’ils « osent » demander une
supervision en français ou prennent le risque de s’exprimer dans leur langue maternelle lors de réunions, certains auront la sensation d’être considérés comme des fauteurs de troubles.
« La liberté de s’exprimer en français dans la fonction publique doit être un droit reconnu et applicable, sans avoir la crainte d’être considéré comme un « rebelle » de la langue française.
»
Le sondage ne permet pas de comprendre pourquoi un nombre si important de francophones évoquent ce sentiment dans leur milieu de travail dit bilingue. Est-ce parce qu’ils ont déjà été
considérés comme des fauteurs de troubles ? Encore, est-ce parce qu’ils ont intériorisé le fait que la langue française n’a pas le même statut que l’anglais au Canada et qu’il est préférable
de fonctionner en anglais pour ne pas « s’attirer des problèmes » ?
Le contexte linguistique difficile ne met pas uniquement en cause le rapport de force inégalitaire entre les deux langues officielles.
Plus de 39 % des anglophones sondés disent ressentir un malaise à s’exprimer en français. Les principales raisons évoquées sont : le manque de pratique en français (69 %), le fait d’être
jugés ou que l’on corrige leur accent et leurs erreurs en français (61 %). Ils affirment aussi ressentir une gêne lorsque leurs collègues francophones poursuivent la discussion en anglais
lorsqu’ils essaient de s’exprimer en français (42 %).
Ces raisons évoquées nous montre qu’il y a présence d’insécurité linguistique à utiliser le français chez les anglophones sondés. L’insécurité linguistique agit sur les pratiques langagières
et « influence le choix de parler telle langue plutôt que telle autre ou telle variété (différent accent) plutôt que telle autre, la décision de prendre la parole ou de se taire ».
La gêne de s’exprimer en français devant des collègues de travail peut être provoquée par des événements intrinsèques et extrinsèques. Une personne peut évaluer que son français n’est pas
assez bon (raison intrinsèque) ou craindre que d’autres personnes fassent des remarques « désobligeantes » sur l’accent et la qualité de la langue française (raison extrinsèque). Le manque
de pratique en français alimente l’insécurité linguistique et à son tour, l’insécurité linguistique ne fait qu’augmenter les stratégies d’évitement pour pratiquer le français.
Il peut être difficile de pratiquer le français pour les anglophones, si certains collègues francophones les jugent, les corrigent ou poursuivent la discussion en anglais. Le rapport de
force entre les deux groupes linguistiques semble ici s’inverser. Le cas de figure suivant peut exister dans la fonction publique : un francophone hésite à s’exprimer en français, car il
craint d’être considéré comme un fauteur de troubles, mais il n’hésite pas à reprendre son collègue anglophone lorsqu’il essaie de s’exprimer en français. Alors ? Comment s’en sortir ?
Autant chez les francophones que les anglophones, il semble exister un « malaise français » dans la fonction publique des régions administratives où le bilinguisme est requis. À la défense
des anglophones qui veulent améliorer leur compétence en français, mais qui vivent de l’insécurité linguistique, il faut dire que « le français est une langue très prescriptive, qui est
régie par l’Académie française qui a établi les normes du français standard [et qui dit] que tout ce qui s’éloigne de la norme peut être considéré moins légitime. »
Certes, la formation en langue française et les occasions de pratiquer cette langue doivent être mieux harmonisées dans un contexte de travail où la langue anglaise est prédominante. Mais
les francophones ont aussi leur part à jouer en étant plus inclusifs avec les apprenants de la langue française. En d’autres mots, les anglophones qui veulent apprendre et pratiquer le
français doivent être en mesure de le faire sans discrimination, tout comme les francophones qui veulent communiquer et travailler en français.
« Les langues reflètent l’identité d’un peuple. Elles sont partie intégrante des cultures ». Les langues officielles et leurs cultures respectives définissent le Canada. Or la diversité
linguistique au Canada, à commencer par une meilleure reconnaissance du français, ne doit pas valoriser implicitement ou explicitement que la « différence francophone » est considérée comme
un problème.
Bref, la liberté de s’exprimer en français dans la fonction publique doit être un droit reconnu et applicable, sans avoir la crainte d’être considéré comme un « rebelle » de la langue
française. In fine, il s’agit de faire la promotion de la langue française dans un contexte où la langue anglaise occupe une place très importante dans la fonction publique canadienne.