Sciences citoyennes : des promesses pas (encore) tout à fait réalisées

Sciences citoyennes : des promesses pas (encore) tout à fait réalisées


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Jamais la connaissance scientifique n’a été plus facilement accessible qu’aujourd’hui. Cela s’explique en partie par les incitations (et bientôt l’obligation) faites aux chercheurs de rendre


accessibles librement et gratuitement les articles qu’ils publient. Et pourtant, de nombreux résultats scientifiques font l’objet de controverses auprès du grand public (alors qu’ils font


consensus dans les milieux académiques, mais c’est une autre histoire). Citons le changement climatique, l’innocuité des vaccins ou l’efficacité thérapeutique de l’homéopathie pour ne


prendre que les exemples les plus clivants. Dans ce contexte d’incompréhension de la science, voire de défiance vis-à-vis de la recherche scientifique, plusieurs voix se sont élevées pour


promouvoir les initiatives de science citoyenne comme un moyen de reconnecter (de réconcilier ?) le public avec la science et les chercheurs qui la font. Est-ce que ça marche ? QU’EST-CE QUE


LA SCIENCE CITOYENNE ? Pour parler de science citoyenne, il faut trois ingrédients : une question scientifique, un (ou des) scientifiques professionnels et des volontaires. Après, tout est


question de dosage. Mettez beaucoup de volontaires coordonnés par quelques chercheurs pour répondre à une question scientifiques, vous aurez de la science citoyenne au science strict. Les


anglais parlent de _crowd sourcing_. Un exemple emblématique est le programme Vigie Nature du Muséum national d’Histoire naturelle. Au contraire, mettez quelques citoyens, avec quelques


chercheurs qui collaborent dans la définition de la question scientifique et dans la mise en œuvre des moyens pour y répondre, vous aurez de la science participative. Par exemple plusieurs


programmes de recherche participative associent très étroitement les agriculteurs et les chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) pour la co-construction d’outils


d’aide à la gestion ou le développement de nouvelles variétés de blés ou de races bovines. Ceci posé, concentrons-nous sur la première catégorie, celle où les volontaires donnent de leur


temps pour fournir des données qui permettront aux chercheurs de répondre à une question formulée par eux, selon une méthodologie mise en place par eux. GAGNANT-GAGNANT… SUR LE PAPIER Pour


les chercheurs (et les instituts qui les emploient…), l’intérêt premier est évident : acquérir beaucoup de données en un temps minimal. Dans les domaines de l’écologie et de l’environnement,


la force de frappe apportée par les citoyens volontaires est cruciale : les chercheurs ne peuvent pas être partout à la fois. Or, s’il s’agit de cartographier l’aire de distribution d’une


espèce, ou d’étudier la dynamique temporelle des populations d’oiseaux, il faudrait qu’ils le soient. De même, dans le domaine de la santé, les études épidémiologiques ont d’autant plus de


poids qu’elles se basent sur un grand nombre de patients. Si l’on cherche les mots clés « citizen science » (science citoyenne) dans la base de données internationale _Web of Science_ (le


_google_ de la recherche scientifique) on obtient pas moins de 3 423 résultats, donc plus de 3 000 articles scientifiques s’appuyant sur des données issues des sciences citoyennes, ou


discutant de ces approches. Un rapide coup d’œil sur les graphiques révèle que leur nombre est à la hausse de manière constante depuis 2010. On pourra critiquer la grossièreté de cette


analyse bibliométrique, mais ces observations suggèrent que oui, les programmes de science citoyenne font avancer les connaissances scientifiques. La science est gagnante. Et les citoyens ?


En toute bonne foi, un scientifique dira « en mettant en place ce programme de science citoyenne, je permets au public de mieux comprendre le fonctionnement de la science ». Et sa collègue


ajoutera que « à l’heure des _fake news_, il est crucial que les citoyens comprennent le fonctionnement de la science pour pouvoir exercer leur esprit critique ». On ne pourra que louer


leurs objectifs. (Je fais partie de ceux qui ont tenu ce discours). ET DANS LA RÉALITÉ ? Les évaluations qui ont été réalisées sur ce que retirent les volontaires de leur participation à des


programmes des science citoyenne mettent un petit bémol sur ces objectifs enthousiastes. Du moins pour les sciences de l’environnement. Prenons l’exemple d’un programme de science citoyenne


visant à l’identification des espèces de plantes exotiques envahissantes le long de chemins de randonnée. Les volontaires ont reçu un court entraînement à l’identification de ces plantes,


puis ont suivi un protocole fourni par les scientifiques responsables du projet. A la fin de leur randonnée, ils ont été invités à répondre à un questionnaire, et ont été recontactés six


mois plus tard. Les résultats de cette étude indiquent que les volontaires ont acquis des connaissances nouvelles sur la biologie et l’écologie des plantes (un bon point !). En revanche, les


chercheurs n’ont noté aucun changement dans la connaissance des participants quant au fonctionnement de la science. D’autres études ont obtenu les mêmes résultats : un effet positif de la


participation à un programme ce science citoyenne sur les connaissances scientifiques, mais pas d’effet sur les connaissances sur « l’entreprise science » en général. En tant que nouvelle


manière de communiquer les résultats de la science, les sciences citoyennes semblent donc remplir leur contrat auprès des différents acteurs : elles créent de nouvelles connaissances


scientifiques que peuvent s’approprier les volontaires. Toutefois, quand elles sont limitées à la collecte massive de données, elles ne semblent pas éclairer les participants sur le


fonctionnement de la science. Comment résoudre ce problème ? ET SI ON IMPORTAIT LES SCIENCES CITOYENNES À L’ÉCOLE ? Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer pourquoi l’impact


des sciences citoyennes sur les volontaires qui y contribuent est plus faible qu’espéré. D’abord, ces programmes recrutent principalement parmi les individus déjà « pro-science », de sorte


que dans cette population, le gain à attendre est peut-être plus faible que dans la population générale. Ensuite, le temps de la recherche est nécessairement un temps long, et plusieurs mois


– voire années – peuvent s’écouler entre la collecte des données et leur présentation sous forme de résultats consolidés. Cela peut-être démotivant. Pour maintenir l’intérêt du public, les


chercheurs doivent apprendre à communiquer autrement. C’est un autre métier ! Pour que les sciences citoyennes remplissent pleinement leurs promesses, si on les importait à l’école ?


Plusieurs programmes passés et en cours ont relevé le défi (oui, le défi, parce que pour un chercheur, retourner à l’école, ce n’est pas toujours naturel). Outre que les élèves peuvent avoir


l’opportunité d’interagir avec des chercheurs, ils sont guidés par leur(s) enseignant(s) qui les accompagne(nt) dans leurs apprentissages, tant conceptuels que méthodologiques, et qui


_traduisent_ les propos des chercheurs. De plus, s’ils sont importés à l’école, les programmes de science citoyenne peuvent atteindre des catégories socioculturelles qui ne se seraient peut


être pas tournées volontairement vers les sciences, citoyennes ou pas, parce que les élèves sont « prisonniers » du choix de leur enseignant d’y participer. Sous leur forme la plus primaire,


les sciences citoyennes ne semblent pas remplir toutes les promesses auxquelles beaucoup de chercheurs qui se lancent dans l’aventure voudraient croire. Pour autant, elles ne trahissent


personne. Elles pourraient même avoir des vertus insoupçonnées. Certaines critiques se sont élevées contre ces approches, elles sont légitimes. Mais elles ont largement contribuer à faire


mûrir ce champ d’investigation, de sorte que l’avenir des sciences citoyennes n’a jamais été aussi prometteur. Et si vous profitiez de la rentrée pour tenter l’aventure ?